Notes de lecture. Alain Bihr, La logique méconnue du Capital, 2010.

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Cet ouvrage remarquable d’Alain Bihr, à qui l’on doit notamment l’impressionnante œuvre portant sur la « Préhistoire du capitalisme », est paru en 2010 aux éditions Page 2. Il réussit l’exercice assez complexe de résumer les trois livres du  Capital en quelques 120 pages. Ce travail de synthèse permet à qui n’a pas lu les trois livres du Capital d’en avoir un aperçu à la fois précis et didactisé de manière concise. A conseiller donc vivement à qui veut s’initier à la logique qui articule les trois livres, mais peut-être plutôt à des personnes ayant déjà lu au moins le Livre I.

 

On trouve malheureusement deux erreurs fondamentales à la compréhension de la production marchande et de la substance de la valeur. D’une part, une lecture historique du début du Capital, une compréhension très répandue dans le « marxisme », et sans cesse démentie par Michael Heinrich, ou encore Rolf Hecker (voir la recension de son livre Springpunkte ici). Celle-ci consiste à affirmer : « Marx l’envisage [le rapport marchand] dans sa forme immédiate la plus simple (logiquement) et la plus ancienne (historiquement), le troc. » (p. 17). On voit ici qu’en plus d’affirmer que la marchandise ou l’échange marchand dont il est question au début du Capital serait la marchandise également dans des sociétés dans lesquelles ne règne pas le mode de production capitaliste (en contradiction donc avec la première phrase du Capital, ainsi qu’avec l’affirmation quelques paragraphes plus loin (« pour la forme sociale spécifique qui nous intéresse… »)), la notion d’ « immédiateté » est problématique : est-ce une immédiateté sensible ? Mais alors dans ce cas, comment comprendre qu’elle est synonyme de « simplicité logique », comme le suggère l’ajout ? Michael Heinrich nous invitera notamment à la plus grande prudence sur la compréhension de cette apparente simplicité logique, et surtout à bien la distinguer de la marchandise telle qu’elle nous apparaît dans l’expérience quotidienne.

D’autre part, on trouve défendue la thèse substantialiste qui veut que ce soit une quantité de travail concret dépensée qui détermine la quantité de valeur (p. 18-19). Cette compréhension substantialiste est problématique à de nombreux égards, et nous ne pouvons ici que renvoyer à l’ensemble des contributions de Michael Heinrich, mais aussi de Trai Han Hac par exemple, qui prennent bien soin d’éviter ce type de lecture. Ne pas saisir la spécificité de la formation de la valeur dans l’échange marchand ne permet donc pas de comprendre la nature de l’institution qu’est le marché et l’ensemble des « services de coordination » qu’il fournit.

Cette présentation est par ailleurs problématique sur le point de la « baisse tendancielle du taux de profit », mais ce n’est qu’une conséquence d’une lecture substantialiste de la théorie de la valeur.

A part ces quelques soucis théoriques, à vrai dire assez typiques du marxisme, l’ouvrage n’en perd pas moins un intérêt majeur pour qui justement veut confronter sa compréhension des concepts fondamentaux du Capital à une pensée fine et claire.

I.J.