Edito de la revue PROKLA n°159, 2010

A-M-A’ s’ouvre avec un article de la PROKLA issu de son numéro spécial consacré à Marx en 2010 (vous pourrez trouver des extraits de cet article d’Alex Demirovic ici). Voici ici reproduit une partie de cet édito qui resitue la pertinence d’une réflexion sur Marx dans un contexte qui n’est pas fondamentalement différent depuis 2010.

Avec la crise financière de 2008 et la crise économique qui a suivi en 2009, l’intérêt du public pour Marx s’est soudainement accru. Alors qu’il n’y avait plus eu de cours sur la théorie marxienne depuis longtemps dans les départements d’économie et de sciences sociales des universités allemandes, et que depuis des années, les médias mainstream ne sortaient Marx que lorsqu’ils voulaient à nouveau prouver qu’il était dépassé, ce regain d’intérêt était certes remarquable, mais à y regarder de plus près, pas si surprenant. Alors que depuis des décennies la théorie néoclassique dominante chantait les louanges des marchés prétendant qu’ils ne généreraient jamais de crise s’ils étaient suffisamment dérégulés et flexibilisés, la crise est soudainement revenue. Et les gouvernements, qui considéraient depuis longtemps les principes du néolibéralisme comme un sens commun indiscutable, ont eu recours à des mesures interventionnistes allant jusqu’à la nationalisation des banques, afin d’atténuer au moins les effets immédiats de la crise, mais tout comme les nombreux experts qui les conseillaient, ils n’étaient pas sûrs que le pire n’était pas encore à venir. Dans cette situation, on pouvait se demander si le vieil homme à la grosse barbe n’avait pas eu raison de diagnostiquer que les crises n’étaient pas des accidents propres aux entreprises, mais des conséquences nécessaires du capitalisme. Et s’il avait déjà eu raison avec ce diagnostic, peut-être que le reste de sa critique du capitalisme était-il également valable ?

Une grande partie des débats médiatiques sur Marx ont donné l’impression qu’il s’agissait avant tout de dissiper de tels soupçons : oui, peut-être que Marx a vu juste sur la crise, mais malgré cela, on ne peut plus faire grand-chose avec la théorie marxienne dans son ensemble aujourd’hui – voici ce qui ressort de nombreuses interventions. Personne n’a pu expliquer pourquoi la théorie néoclassique, dont les représentants ont remporté tant de prix Nobel au cours des 40 dernières années et qui constitue toujours l‘enseignement standard dans les départements de sciences économiques, aurait été plus à même de rendre compte de ces phénomènes. Dans de nombreux groupes d’étudiants et de syndicalistes, s’interroger sur la puissance explicative de la théorie marxienne a été l’occasion d’une réflexion approfondie sur Marx. Des cours de lecture du Capital (en général dépourvus de tout lien institutionnel) ont eu un temps le vent en poupe et existent encore en partie aujourd’hui.

Dans ce numéro de PROKLA, nous ne voulons toutefois pas discuter de Marx en tant que théoricien de la crise, ce qui a déjà été fait dans toute une série de livres et d’articles, mais plutôt interroger les potentiels de sa théorie au-delà de la critique de l’économie politique au sens strict. Aussi importante que soit la critique de l’économie politique, elle ne constitue qu’une partie d’un projet plus vaste, la critique de la domination, qui ne peut pas être réduite à la théorie économique. Une théorie sociale visant l’émancipation doit aller plus loin.