Archives de catégorie : Théorie marxiste
La rupture écologique dans l’œuvre de Marx. Analyse d’une métamorphose inachevée du paradigme de la production (Timothée Haug)
Thèse soutenue en avril 2022.
« Pour paraphraser l’ouverture du Capital, on pourrait dire que la richesse de l’œuvre de Marx se présente à nous comme une immense accumulation d’interprétations. Derrière ce nom, « Marx », on trouve d’abord l’épaisse couche de sens déposée par l’histoire des usages politiques et polémiques que l’on fit de son texte pour orienter les luttes ou fonder la ligne du Parti. On peut distinguer deux grandes stratégies à l’œuvre dans l’ensemble de ces lectures qui contribuèrent à forger l’héritage théorique dans lequel se situe cette recherche. »
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André Boetto, MARX ET LA QUESTION DES MACHINES (documents pour une séance du séminaire Marx, 27/11/23)
La pensée de Marx a été souvent associée à une forme de glorification du progrès technique voire de « déterminisme technologique ». Dans cette séance nous proposons de mettre à l’épreuve la validité de cette thèse en retraçant dans ses lignes générales l’évolution du rapport de Marx à la technique des années 1840 jusqu’au Capital.
Recension: Marx’s Ethical Vision de Vanessa Chris Wills (2024)
La question de l’éthique marxienne et dans l’histoire du mouvement ouvrier est centrale. Elle a en particulier été soulevée par des auteurs français, aux antipodes desquels se trouvent Althusser et Rubel. Un livre vient nous apporter une vision particulière, dont on peut cependant d’ores et déjà identifier certains écueils, comme l’importance conférée à la dialectique, ou au matérialisme historique. Ne nous y arrêtons pas et lisons la recension parue sur Marx & Philosophy et rédigée par Sam Ben-Meir.
A-t-on (vraiment) bien lu Engels ? – Christophe Darmangeat
Un billet de Christophe Darmangeat (LaHuttedeclasse) – Avec le titre de ce billet, je paraphrase celui d’un article de Florian Gulli, récemment paru dans la revue La Pensée, et qui propose de revenir sur le livre d’Engels, L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État. Selon Florian Gulli (dont je profite au passage pour saluer l’intérêt et la rigueur de ses écrits, par exemple sur les questions du racisme ou de l’intersectionnalité), Engels aurait souvent été mal lu, sur deux points essentiels. Le premier est la situation des femmes dans les sociétés préétatiques ; le second concerne les raisons du passage à la patrilinéarité, ce qu’Engels appelle, à la suite de Bachofen, la « défaite historique du sexe féminin ».
Recension: La fin de l’utopie, Herbert Marcuse, 1968
La fin de l’utopie, Herbert Marcuse, 1968
Le livre La fin de l’utopie est un compte rendu d’une série de conférences-débats tenue par Herbert Marcuse à l’Université libre de Berlin Ouest du 10 au 13 juillet 1967.
Une reproduction de l’allocution introductive du philosophe précède les échanges avec les personnes présentes. Parmi eux se trouve notamment Rudi Dutschke, le syndicaliste, mais de nombreuses autres personnalités de la gauche radicale, maoïste ou anti-parlementaire allemande. Il est étonnant de remarquer que l’un des ouvrages cités régulièrement dans les échanges est Le livre des abolitions de Karl Korsch qui vient tout juste de paraître aux éditions de l’Asymétrie.
Variations marxologiques: Kliman vs Heinrich, par Matthijs Krul
Article paru en 2013 sur Notes and Commentaries
Cette note de lecture de 2013 a généré une série de réactions, nous commençons ici à les traduire.
Les annales de l’économie politique marxiste, y compris sa critique, font état d’un grand nombre d’arguments abscons, opaques et carrément distants sur des points de détail. Cela est dû en grande partie à l’habitude persistante des arguments marxistes de prendre la forme de disputes sur le « vrai Marx », sur ce que Marx a « vraiment dit », plutôt que d’être des arguments sur les mérites des théories en tant que telles.
Comment lire le Capital de Marx ?, Michael Heinrich – recension
Recension de Ksenia Arapko1
Dans la préface de la première édition du livre I du Capital, Karl Marx écrit : « En toute science, c’est toujours le début qui est difficile. C’est donc la compréhension du premier chapitre, notamment de la section qui contient l ‘analyse de la marchandise, qui causera le plus de difficulté 2 ». Il n’est donc pas étonnant que face à ce début difficile, Louis Althusser ait, comme il est bien connu, encouragé le premier lecteur à mettre de côté la première section sur « Les marchandises et la monnaie » et à n’y revenir qu’après avoir lu le reste de l’ouvrage. Et même alors, de le faire « avec d’infinies précautions, […], en sachant qu’elle restera toujours extrêmement difficile à comprendre, même après plusieurs lectures des autres sections, sans le secours d’un certain nombre d’explications approfondies 3 ».
Lire les Grundrisse. à propos du livre de David Harvey, A Companion to Marx’s Grundrisse, Verso, 2023.
Les Grundrisse
Dans les écrits portant sur Marx, nombreux sont ceux qui font référence aux Grundrisse, manuscrits de Marx rédigés entre 1857 et 1858. On retrouve ce texte dans la littérature marxiste évoqué par citations, comme on le fait souvent pour les écrits de Marx, mais plus particulièrement avec ses manuscrits non publiés. Ainsi, comme les Manuscrits de 1844, on pioche aisément de ça de là une très belle citation ou formule, qui peut être en soi excellente, il faut le dire. Mais bien souvent ce « syndrôme des manuscrits » comme on pourrait appeler cette tendance au cherry picking, revient à piocher dans un tas de citations sans forcément faire grand cas du statut spécifique du texte, ni de son contexte théorique et critique. Il ne s’agit pas d’affirmer qu’il faudrait gloser plus sur le texte, mais plutôt d’être plus au clair avec ce qu’on y cherche, c’est-à-dire ce qu’on cherche à prouver, à montrer. C’est ce qu’on pourrait appeler l’intention parfois aussi politique, stratégique, elle-même prise dans des rapports sociaux bien contemporains, qui porte l’interprétation du texte.
Edito de la revue PROKLA n°159, 2010
A-M-A’ s’ouvre avec un article de la PROKLA issu de son numéro spécial consacré à Marx en 2010 (vous pourrez trouver des extraits de cet article d’Alex Demirovic ici). Voici ici reproduit une partie de cet édito qui resitue la pertinence d’une réflexion sur Marx dans un contexte qui n’est pas fondamentalement différent depuis 2010.
Le problème de la transformation, ce « caillou dans la chaussure du marxisme », entretien avec Adolfo Rodriguez-Herrera, auteur de Travail, valeur et prix, 2021.
Adolfo Rodriguez-Herrera est actuellement professeur d’histoire de la pensée économique à l’Université du Costa Rica (UCR). En 1994, il défend sa thèse à Louvain-La-Neuve (Belgique) sur l’histoire du problème de la transformation avec dans le jury Bruce Roberts, Suzanne de Brunhoff et Jacques Gouverneur. Si Adolfo Rodriguez-Herrera envisageait initialement une thèse sur le développement dans les pays socialistes (sous la direction de Jean-Philippe Peemans), ce projet devra être abandonné, notamment en raison d’un manque patent de données.
Le livre Travail, valeur et prix. Reprise et clôture d’un débat centenaire (1885-1985) à la lumière des textes marxiens publié dans la collection l’Esprit économique de L’Harmattan en 2021 est une version remaniée de cette thèse. La partie algébrique sur les différentes corrections de la procédure de Marx a été supprimée et deux chapitres ont été ajoutés, l’un sur l’origine de la discussion chez Ricardo et l’autre sur la mesure de la valeur (le temps de travail socialement nécessaire) parce que cet aspect n’avait pas été suffisamment traité dans la littérature alors qu’il est essentiel pour comprendre la relation entre travail, valeur et prix. Si la base du texte est donc un texte de 1994, un travail substantiel a été réalisé pour aboutir à cette version. Le livre a également été publié en espagnol aux Presses universitaires de l’Université nationale du Costa Rica (EDUNA).
Recension : Michael Quante, Der unversöhnte Marx. Die Welt in Aufruhr, Mentis, 2018.
Ce petit ouvrage paru en 2018 aux éditions Mentis est composé de trois articles rédigés par l’auteur pour des revues et des journaux, accompagnés d’une interview de l’auteur réalisée en 2017, ainsi que d’une imposante introduction rédigée à cette occasion. Michael Quante est particulièrement connu en Allemagne pour son édition commentée des Manuscrits de 1844 chez Suhrkamp parue en 2009, ainsi que pour son « Manuel Marx » coédité avec David Schweikhard (Marx Handbuch. Leben – Werk – Wirkung, 2015).
Recension : Terre et capital. Pour un communisme du vivant, Paul Guillibert, éditions Amsterdam, 2021.
L’ouvrage est la thèse de philosophie (remaniée) de Paul Guillibert (université Paris-Nanterre). Dans ce livre, l’auteur entend « actualiser le projet communiste » pour l’adapter à l’urgence climatique en intégrant les non-humains dans l’équation stratégique. Pour cela, il serait nécessaire de se libérer de certains présupposés qui sont associés à la notion de communisme telle qu’elle s’est développée à partir des écrits de Marx, à l’instar du productivisme. Il s’agit pour l’auteur de transformer l’ordre existant en prenant en compte les non-humains, en intégrant les conditions environnementales de l’histoire humaine. L’auteur défend un « communisme vivant » qu’il définit à partir de L’Idéologie allemande comme un mouvement « attentif aux formes immanentes du mouvement réel d’abolition de la valeur » 1. Pour Paul Guillibert, il faut « inscrire à l’agenda du communisme la défense des ‘communs multispécifiques’ » 2. Il entend ainsi tracer une troisième voie entre l’anti-naturalisme des sciences sociales et le naturalisme naïf du retour à la terre.
Recension de Critique de l’économie politique. Une introduction aux trois livres du Capital de Marx de Michael Heinrich par Estela Fernández Nadal
Le texte qui suit est une recension de l’édition espagnole du livre de Michael Heinrich Critique de l’économie politique. Une introduction aux trois Livres du Capital de Marx paru en France en novembre 2021 aux éditions Smolny.
Le livre de Michael Heinrich a le double mérite d’être une médiation permettant d’accéder à l’œuvre-phare de Karl Marx, rédigée dans une langue claire et accessible, et d’en proposer, dans le même temps, une interprétation dense et érudite. Non seulement l’auteur évite les simplifications et les schématismes, mais en outre il pénètre les complexités et les paradoxes de la pensée marxienne qui ont été la source de discussions et de polémiques inépuisables ; enfin, il apporte toujours une position argumentée et fiable, solidement ancrée dans une profonde connaissance des textes de Marx.
Recension : Kohei Saïto, La nature contre le capital. L’écologie de Marx dans sa critique inachevée du capital (Syllepse & Page 2, 2021).
Introduction
Ce livre se présente comme une réponse à la vague de littérature sur l’écologie chez Marx qui a déferlé depuis la fin des années 1990. L’objectif de toute contribution sur l’œuvre de Marx portant sur cette question spécifique consiste à déconstruire l’idée selon laquelle Marx serait productiviste, cultiverait un fétichisme des forces productives, ou bien encore serait « prométhéen » au sens où il aurait « une foi inébranlable dans le progrès allant jusqu’à penser qu’avec le développement de la technologie, l’être humain serait en mesure de manipuler le monde avec de plus en plus d’efficacité et de plus en plus à sa convenance » 1.
Cependant il s’agit aujourd’hui aussi de répondre aux contributions qui se sont justement données pour tâche de déconstruire cette idée, et Kohei Saïto estime que leur point commun est qu’elles cherchent à révéler la nature écologique de la critique marxienne du capitalisme en s’appuyant sur des passages isolés dans l’œuvre de Marx, et donc donnent ainsi l’impression « que celui-ci ne s’occupait de cette thématique que sporadiquement, et non systématiquement » 2. Il s’agit également de répondre à l’idée répandue maintenant dans les recherches marxologiques – et initiée par Alfred Schmidt dans son étude sur le concept de nature chez Marx – que ce dernier aurait simplement repris la théorie du métabolisme de Moleschott 3, ou encore subit l’influence de Ludwig Büchner 4.
La logique de l’apparence chez Marx. Sur l’interprétation de Clara Ramas San Miguel du fétichisme et de la mystification capitalistes, par Óscar Cubo Ugarte
Depuis la traduction en langue espagnole des œuvres de Michael Heinrich a lieu un véritable renouveau de la lecture de Marx dans le monde hispanophone. Cet article rend compte des articulations principales des lectures qui en résultent, en particulier celle proposée par Clara Ramas San Miguel.
RÉSUMÉ. Les notions de fétichisme et de mystification constituent les deux aspects fondamentaux de l’analyse par Marx des formes d’apparence propres aux sociétés capitalistes. Ces concepts ont une valeur architectonique dans la structure interne du projet de Marx d’élaborer une critique de l’économie politique. Ce travail prétend exposer et discuter les apports interprétatifs ouverts par le livre de Clara Ramas San Miguel, Fétiche et mystification capitalistes. La critique de l’économie politique de Marx, publié en 2021 aux éditions Siglo XXI.
Une nouvelle lecture de Marx : Michael Heinrich, par Óscar Cubo Ugarte
Récension du livre de Michael Heinrich, Critique de l’économie politique. Une introduction aux trois livres du Capital de Marx, faisant suite à sa parution en Espagne en 2008, article publié dans Logos. Anales del Seminario de Metafisica, vol. 42, 2009.
La parution en castillan du texte du professeur Michael Heinrich (Freie Universität Berlin) aux éditions Escolar y Mayo est une double raison de se réjouir pour le lecteur hispanophone : en premier lieu, parce que c’est la première parution en castillan d’un texte de Michael Heinrich, qui est l’un des auteurs les plus remarquables de ce que l’on connaît en Allemagne comme la « nouvelle lecture de Marx ». Et en second lieu, parce qu’est mise à la disposition du public une splendide traduction en espagnol de César Ruiz Sanjuán, qui est à la fois le prologue et la contextualisation de l’œuvre et du travail du professeur évoqué. Il s’agit d’une lecture critique des trois volumes du Capital de Karl Marx qui se distancie clairement du « marxisme dogmatique » et de ses simplifications économicistes et déterministes, lesquelles firent de cette œuvre de K. Marx la source d’inspiration principale d’une « économie politique marxiste » qui servit à justifier la réalité politico-sociale de ce qu’on a appelé le « socialisme réel ».
La théorie de la forme et le développement des formes : Fétichisme, méthodologie et théorie sociale dans les nouvelles lectures de Marx, Par Chris O’Kane
Par Chris O’Kane 1
Introduction
À bien des égards, le livre Sur le marxisme occidental de Perry Anderson est emblématique du traitement du marxisme occidental, du moins dans la littérature anglophone. Comme les contributions de Jay et Jacoby, pour Anderson, le marxisme occidental a pris fin dans les années 1960. Si l’on peut dire qu’une telle périodisation enregistre le recul de Marx par ceux qui se sont appropriés l’héritage du marxisme occidental – comme la deuxième génération de la théorie critique de l’École de Francfort – ou ceux qui ont rejeté ses « méta-récits » pour un ensemble de méta-récits plus suspects – c’est-à-dire la condition postmoderne – elle néglige aussi les développements souterrains ultérieurs de la pensée marxiste. Néanmoins, la comparaison que fait Anderson, entre parenthèses, entre Theodor W. Adorno et Louis Althusser peut être considérée comme apportant un éclairage sur les similitudes frappantes entre les deux nouvelles lectures de Marx élaborées par les étudiants d’Adorno et d’Althusser, qui ont été effectivement ignorées par les chercheurs anglophones (et francophones ?). Dans ce qui suit, j’étaye ces similitudes. Je tente également d’ébranler les motifs d’incompatibilité entre ces nouvelles lectures. Enfin, j’indique certaines façons dont ces deux nouvelles lectures ont été utilisées pour se compléter de façon fructueuse dans la récente théorie marxienne allemande.
Introduction à Marx, Pascal Combemale, La Découverte, 2006 (2018).
Parsemé d’encadrés mettant le focus sur des notions-clés en proposant des synthèses sur les débats actuels et anciens sur ces notions, l’ouvrage déroule l’oeuvre et la vie de Marx sans considérer son œuvre « comme un système clos, achevé, sans failles » 1. Cette approche de l’évolution de la théorie et de la critique de Marx est essentielle et peut correspondre à une certaine analyse de l’élaboration du Capital en deux phases: la première étant celle des six livres, qui s’étend des années 1850 aux années 1861-1863, incluant les Grundrisse, la Contribution et les Théories sur la plus-value, et la seconde, le Capital en quatre livres, s’étendant de 1863 à 1881, incluant les Notes sur Wagner 2. Cependant, l’auteur ne parvient pas toujours à tenir cette promesse dans sa « reconstruction », il identifie par exemple un « fil directeur » qui pourrait être la « critique de l’aliénation, à condition de ne pas en faire un invariant anthropologique » 3.
3 articles sur Karl Marx (1948-1950) – Maximilien Rubel
Un ensemble d’articles essentiels de Maximilien Rubel, à lire ici: Pdf à lire ici.