Comment la lutte de classe a créé Noël

Comment la lutte de classe a créé Noël 1

Souvent présenté comme une récupération chrétienne de fêtes païennes, le Noël tel que nous le fêtons semble n’avoir qu’une longue histoire diffuse dont il serait impossible véritablement de dater le commencement. Pourtant, cette manière de le fêter est intimement liée à la naissance de notre société moderne, du capitalisme industriel, et du salariat généralisé.

Notre Noël moderne est une invention du capitalisme victorien. Au Royaume-Uni, avant l’avènement du capitalisme industriel, tous les travaux, à l’exception du soin des animaux, s’arrêtaient et ne reprenaient que le « lundi de la charrue », le premier lundi après la douzième nuit. Cette tradition des « Douze jours » était largement répandue en Europe depuis le Moyen Âge 1. Pendant cette période s’appliquaient des règles strictes, notamment l’interdiction de filer, ce qui était normalement fait par des femmes. Un rituel consistait à placer des fleurs autour des rouets pour empêcher leur utilisation.

La révolution industrielle a bouleversé ces anciennes traditions rurales. Le capitalisme industriel, basé sur l’exploitation de la main-d’œuvre salariée, a supprimé les fêtes religieuses et populaires traditionnelles. Les jours non travaillés se retrouvent en première ligne de mire : en 1761, la Banque d’Angleterre reconnaissait encore 47 jours fériés annuels, alors qu’en 1834, le nombre de jours fériés reconnus par la Banque n’était plus que de quatre. En 1833, la nouvelle loi sur les fabriques (« Factory Act ») stipulait que les travailleurs britanniques n’avaient légalement droit qu’à deux jours fériés en plus du dimanche : Noël et le Vendredi saint.

Cela soulève une question intéressante. La période allant des années 1820 au début des années 1840 est le moment où la Grande-Bretagne victorienne a inventé le Noël moderne – avec des cartes, des arbres décorés, le dîner à la dinde et les rennes volants. Pourtant, ce furent les décennies de pauvreté et de dégradation industrielles extrêmes. Et par conséquent, ce sont les décennies où la Grande-Bretagne s’est le plus rapprochée de la révolution prolétarienne. L’invention moderne de Noël coïncide exactement avec le massacre de Peterloo 2, la grève générale et le soulèvement de 1820 en Écosse, les Chartistes, la loi de réforme de 1832 et le mouvement anti-esclavagiste de masse.

Cette étrange conjoncture sociale pourrait s’expliquer par le fait que la nouvelle bourgeoisie – effrayée par la colère de la classe ouvrière et par une éventuelle révolution – tente de s’entourer d’un sentiment mythique de valeurs familiales et de sécurité. Et puis, il y a le fait que la bourgeoisie naissante – qui se dissimulait derrière ses rideaux – avait maintenant de l’argent à dépenser pour Noël. Résultat : le capitalisme victorien, avec son nouveau penny post et ses trains de banlieue à vapeur pour faciliter les réunions de famille, était dans une position privilégiée pour inventer le premier festival capitaliste de la consommation.

La sentimentalité du Noël victorien a servi à inoculer à la classe moyenne la réalité de la pauvreté et de l’exploitation que la bourgeoisie avait imposées à la masse des travailleurs condamnés aux nouveaux bidonvilles victoriens. Charles Dickens a publié A Christmas Carol en décembre 1843, deux ans avant La condition de la classe laborieuse en Angleterre d’Engels. Les deux hommes avaient lu des rapports officiels publiés par le Parlement sur l’étendue de la pauvreté de la classe ouvrière contemporaine et avaient été fortement marqués. Cela a amené Engels à écrire un appel à la révolution. Dickens, de son côté, a créé un exutoire pour la mièvrerie et l’hypocrisie de la classe moyenne en appelant la bourgeoisie à donner aux pauvres, en formulant cet espoir : « Si seulement nous fêtions tous Noël, les pauvres ne se révolteraient pas ! ».

Oui, Noël est devenu un cauchemar consumériste. Oui, il a été créé par la bourgeoisie victorienne. Mais pour l’instant, ne nous faisons pas trop d’illusions sur la période de Noël. Si nous ne pouvons pas les détruire, au moins nous pouvons faire de cette sécrétion de la lutte de classe l’occasion de créer des solidarités et des collectifs qui soient en rupture avec les structures familiales traditionnelles, ou pour celles et ceux qui le peuvent, pour utiliser ces structures comme caisse de résonance révolutionnaire.

1Extraits d’un article de George Kerevan, publié le 18/12/2020, pour le site conter.scot., traduction publiée la première fois sur le site de l’UPC, Union pour le Communisme:(https://upc.ouvaton.org/upc/blog/2020/12/24/comment-la-lutte-des-classes-a-cree-noel/)

2Voir à ce sujet, le magnifique film de Mike Leigh, Peterloo, 2018.

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