Capitalisme vs. Etat ? Du « changement » selon la gauche anticapitaliste, Michael Heinrich, 2011

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par Michael Heinrich, 2011

Publié sur le site palim-psao.

En Allemagne, Die Linke1 a mis en débat son projet de programme2 de gouvernement, dont l’adoption officielle est prévue à l’automne 2011, en vue des élections législatives de 2013. Dans cet article3, Michael Heinrich4 aborde la question des rapports entre capitalisme et Etat et se demande si le « changement » annoncé par Die Linke est davantage qu’un slogan creux. Au fil des notes de bas de page, nous nous pencherons en parallèle sur les programmes affichés, dans la perspective de 2012, par les principales formations françaises se revendiquant de l’anticapitalisme, que ce soit explicitement (Nouveau parti anticapitaliste5, Parti ouvrier indépendant6, Lutte ouvrière7) ou du bout des lèvres (Front de gauche8).

L’histoire des partis de gauche qui rêvèrent, au siècle dernier, d’en finir avec le capitalisme est singulièrement tragique. Ou bien ils s’éloignèrent de plus en plus de leur position critique initiale, à l’instar des sociaux-démocrates, se contentant d’administrer l’appareil politique et de veiller à écarter les obstacles à l’accumulation du capital ; ou bien, comme la plupart des partis communistes, ils persistèrent dans leur refus du capitalisme, mais défendirent bec et ongles un modèle de socialisme extrêmement répressif et autoritaire, qui ne supportait pas d’être lui-même l’objet de la moindre critique. Crispés sur une opposition radicale aussi bien au capitalisme qu’au « socialisme réel », ces derniers partis finirent en général par sombrer dans l’insignifiance politique – à supposer qu’ils en soient jamais sortis.

Au vu d’une telle trajectoire historique, nous avons de bonnes raisons de nous montrer sceptiques et de prendre nos distances à l’égard des partis de gauche vers lesquels se tournent aujourd’hui tant de militants syndicaux et de mouvements sociaux. On comprend également que, dans son programme, Die Linke, d’une part, affirme rejeter toute forme autoritaire de socialisme et, d’autre part, déclare ouvertement dès le préambule : « Nous luttons pour changer le système, car le capitalisme [est] fondé sur l’inégalité, l’exploitation, l’expansion et la concurrence »9.

Quel capitalisme ?

La suite est, cependant, plus ambiguë. L’ultime paragraphe, par exemple, vise uniquement le « capitalisme dérégulé », tandis que partout ailleurs ce sont les « marchés financiers »10 qui constituent le principal objet de la critique. Et s’il est vrai qu’au début du chapitre intitulé « Le socialisme démocratique au XXIe siècle », il est dit que « le capitalisme n’est pas la fin de l’histoire », on apprend pourtant peu après que Die Linke milite pour un système économique au sein duquel pourraient cohabiter différentes formes de propriété : « étatique et locale, sociale et privée, coopérative, etc. »11.

Le parti n’aura pas à militer bien longtemps pour mettre en place cet amalgame de formes de propriété, qui constitue, depuis pas mal de temps déjà, un aspect du capitalisme réellement existant. Quant à la visée anticapitaliste, elle est totalement répudiée avec cette phrase : « La poursuite du profit privé peut favoriser l’augmentation de la productivité et l’innovation technologique, aussi longtemps qu’aucune entreprise n’est assez puissante pour dicter le prix et le volume de l’offre »12. La critique du capitalisme formulée dans le préambule aurait-elle déjà trouvé son plein accomplissement dans un simple renforcement des lois anti-trust ? L’apologie d’un petit capitalisme de la concurrence entre vrais producteurs, censé nous sauver des griffes du grand capitalisme des monopoles improductifs, fait depuis longtemps partie de l’arsenal idéologique des libéraux comme des néolibéraux.

Il en va de même de la section intitulée « Projets de réforme sociale », qui stipule que « les inégalités de revenu et de richesse dans la société ne se justifient qu’en tant qu’elles découlent de différences dans le travail fourni ou sont nécessaires comme incitations à l’accomplissement de tâches d’utilité sociale »13, ce que tout adepte du néolibéralisme approuvera du fond du cœur. Certes, on croit comprendre qu’une fois au pouvoir, Die Linke, pour évaluer la performance et le travail fourni, utiliserait des critères différents de ceux des néolibéraux ; néanmoins, il reste bien peu de choses des thèses de Marx selon lesquelles salaires et profits ont peu à voir avec la performance et beaucoup avec, respectivement, la reproduction des salariés (nécessaire au capital également) et leur exploitation.

Que l’on nous comprenne bien : l’enjeu n’est pas ici la fidélité à telle ou telle doctrine ; il est tout simplement de savoir si, pour Die Linke, l’objet central de la critique est le capitalisme en tant que système économique et social, ou juste certains de ses excès. La dénonciation du « capitalisme prédateur » et de la « poursuite débridée du profit »14 par les banques, en tout cas, constitue déjà une figure imposée dans les discours pro-Etat de nos dirigeants les plus conservateurs.

Sans doute cette hésitation n’est-elle pas seulement le fruit d’une irrésolution d’ordre politique mais plutôt d’un manque d’analyse. Le projet de programme est en effet à peu près muet en ce qui concerne l’analyse de la logique systémique du capitalisme, lequel y apparaît avant tout comme résultant d’une trop puissante influence exercée par les détenteurs de capitaux et les multinationales.

Le texte souligne d’entrée que Die Linke n’entend pas se soumettre à « la volonté des puissances économiques », et, dans la suite, il insiste à plusieurs reprises sur le « pouvoir de chantage des grands trusts » et sur le caractère « arrogant » qu’ont pris les « exigences des actionnaires »15. En revanche, le fait que le capitalisme soit fondé sur un impératif systémique – la maximisation du profit – est loin d’être aussi clairement exprimé. Le moteur de cette course aux superprofits n’est pourtant pas l’avidité des actionnaires individuels ; au contraire, elle s’impose à eux à travers le jeu de la concurrence : seuls ceux qui participent à la bataille pour les plus gros profits ont une chance de dégager la base d’investissement indispensable pour rester compétitifs dans le cycle suivant, à l’échelle nationale et internationale.

Quel Etat ?

Face à ce capitalisme fortement personnalisé se dresse la figure de l’Etat qui, à en croire le programme de Die Linke, devrait en principe incarner tout ce qui est bon et noble mais en est malheureusement empêché par le pouvoir des actionnaires et la pusillanimité des politiciens. « La possibilité d’influer et de participer à la vie démocratique diminue à mesure qu’augmente le pouvoir des entreprises et des magnats de la finance »16, déclare-t-il ainsi au chapitre intitulé « L’érosion de la démocratie ».

On aimerait naturellement savoir en quel âge d’or la démocratie était moins érodée. Etait-ce dans les années 1960, avant que ne décollent véritablement les « marchés financiers » mais aussi avant que ne naisse la contestation contre l’état d’urgence en Allemagne17 ou contre le soutien du gouvernement à la guerre du Vietnam et au Shah d’Iran ? Ou bien était-ce sous la chape de plomb anticommuniste et répressive de l’ère Adenauer ? Les difficultés à mettre le doigt sur cet âge d’or où la démocratie avait meilleure mine renvoient au fait que les rapports entre Etat et capital pourrait s’avérer légèrement différents de ce qui en est esquissé dans le programme.

Apparemment, le pouvoir des « multinationales et des magnats de la finance » et celui de l’Etat sont conçus sur le principe des vases communicants : davantage de pouvoir d’un côté signifie moins de pouvoir de l’autre. C’est pourquoi on veut logiquement mettre un terme à celui des entreprises, notamment en nationalisant les banques privées et les trusts des secteurs décisifs. On sait que, durant la crise financière, les Landesbanken18, propriété de l’Etat, n’ont guère fait meilleure figure que les banques privées. Toutefois, en dépit d’un (unique) passage où l’on peut lire que la socialisation n’offre pas en soi la « garantie » d’un ordre économique différent, le texte de Die Linke en fait une « condition préalable » au « changement ».

Par ailleurs, le programme reste dans le vague quant aux modalités de la transition des entreprises nationalisées vers une économie différente. Sur tous les tons, on nous répète qu’il faut absolument réduire l’influence des détenteurs de capitaux et étendre celle du secteur public. Seulement, lorsqu’il s’agit de savoir quelles mesures concrètes cela suppose, le programme n’offre que l’éternelle formule magique du « contrôle démocratique »19. Tout devra être soumis au contrôle démocratique : la Banque centrale européenne, le secteur de l’énergie, les services publics, puis, à terme, les marchés et même les médias.

Mais concrètement ? Le parlement devra-t-il voter le moindre changement de taux d’intérêt ou de production énergétique ? L’exécutif décrétera-t-il qui travaille dans les médias et quel est le contenu des programmes, à l’instar de Roland Koch20 vis-à-vis de la ZDF il n’y a pas si longtemps ? On a l’impression qu’à la moindre incertitude quant aux mesures appropriées à prendre, le mot d’ordre du « contrôle démocratique » sort du chapeau. Mais, si ce « contrôle démocratique » est destiné à être davantage qu’un simple slogan, il faudrait au moins indiquer qui devra contrôler quoi, selon quelles modalités et en fonction de quels critères.

Entrer plus avant dans ce débat nous amènerait vite à cette évidence que les rapports entre Etat et capital ne se réduisent pas simplement à l’influence de tel ou tel groupe (les capitalistes sur l’Etat, les politiciens sur l’économie). Etat et capital entretiennent un rapport d’interdépendance structurellement inscrit, qui n’a besoin d’aucune intervention humaine pour produire ses effets. L’Etat est, à maints égards, indispensable à la production capitaliste : comme garant du respect de la propriété et des contrats, mais aussi comme instance assurant les conditions matérielles que le capital lui-même assure mal ou pas du tout. Ce sont, bien sûr, les infrastructures21, mais également le système éducatif, qui fournit une force de travail instruite et qualifiée, la sécurité sociale, qui répare la force de travail endommagée, etc.

En retour, l’Etat est tributaire de la bonne marche de l’accumulation capitaliste, sans laquelle il ne sera en mesure ni d’encaisser suffisamment d’impôts, ni de maintenir les dépenses sociales dans des limites raisonnables. Ainsi, même sans la moindre influence directe de la part des « multinationales et des magnats de la finance », tout gouvernement est forcé de prendre en considération, d’une façon ou d’une autre, les impératifs systémiques de la production de valeur. C’est pourquoi, bien souvent, lorsque la gauche accède finalement au pouvoir, elle se contente pour l’essentiel de poursuivre la politique de ses prédécesseurs.

Il ne s’agit pas de nier qu’il existe différentes formes de capitalisme et différentes stratégies politiques possibles. Que l’Etat, « capitaliste collectif en idée » (Engels), soit contraint de fournir à la fois le cadre juridique formel et les conditions matérielles à l’accumulation du capital que le capital ne peut fournir lui-même, n’implique pas pour autant que la meilleure façon de remplir ces missions apparaisse toujours clairement. Le fait que toute la classe politique, président fédéral inclus, en vienne à dénoncer le capitalisme dérégulé et le pouvoir excessif des banques, souligne bien à quel point, en ce moment, personne n’est vraiment en mesure de dire quel degré de régulation il faudrait ou quel poids le secteur bancaire devrait avoir vis-à-vis du capital industriel. Mais ces débats tournent seulement autour d’un réajustement du cadre politique général du capitalisme, et n’envisagent pas le moins du monde le début de sa fin.

Une liste de souhaits aux accents keynésiens

Si Die Linke entend approfondir ces questions, il devra au moins avoir le courage de s’interroger sur ses propres objectifs, et décider s’il s’agit de soigner les maux du capitalisme et de le remettre sur pieds, ou au contraire d’utiliser ses faiblesses pour obtenir des concessions au bénéfice des dominés, ce qui à la fois leur rendrait la vie plus facile dans l’immédiat et améliorerait le rapport de forces en vue de futures luttes.

La seconde option suppose une volonté de ne pas esquiver les points essentiels du débat. Malheureusement, de trop nombreux passages du programme se lisent comme une liste de souhaits keynésiens adressée au Père Noël : comme si, grâce à une réglementation adéquate et à la nationalisation du secteur financier (sous « contrôle démocratique », cela va de soi), il était possible de créer un capitalisme débarrassé de toutes ses contradictions. Quiconque succombe à cette illusion devient incapable de percevoir les nuances d’intention cachées derrière l’action politique. A fortiori, ce serait nier l’importance des mouvements extra­parlementaires : le programme indique bien que les politiques sociales devraient s’appuyer sur la pression émanant des syndicats et des mouvements sociaux, mais ces groupes ne semblent être considérés que comme des forces d’appoint pour la politique parlementaire.

Si l’objectif est réellement de « changer le système », comme annoncé dans le préambule, alors il faudrait considérer les mouvements sociaux anticapitalistes, non pas comme de simples troupes auxiliaires, mais bien plutôt comme les acteurs principaux dont toute la gauche dépend, qu’elle le veuille ou non. Que ces mouvements jouent un rôle aussi restreint dans le projet de gouvernement de Die Linke, et que la question ne soit même pas abordée de savoir comment un mouvement allant dans le sens du changement souhaité pourrait être soutenu et mobilisé sur la durée, voilà qui jette un doute quant au sérieux avec lequel on envisage vraiment le changement. Il est vrai que le texte est en discussion pour quelques temps encore.22

Traduction et notes : Sînziana

1 Littéralement « La Gauche » : parti « anticapitaliste » allemand. Cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/Die_Linke.

2 http://www.die-linke.de/programm/leitantragandenerfurterparteitag/programmentwurf/ (version originale en allemand) ou http://www.die-linke.de/fileadmin/download/programmdebatte/100426_draft_programme_en.pdf (en anglais).

3 Paru dans Neues Deutschland du 9 août 2010 : http://www.neues-deutschland.de/artikel/177001.kapitalismus- und-st.aat.html.

4 Politologue allemand né en 1957, auteur d’ouvrages sur l’œuvre de Marx, rédacteur en chef de la revue de critique sociale Prokla : http://www.prokla.de/. Site personnel : http://www.oekonomiekritik.de/.

5 « Nos réponses à la crise », 2011, texte désigné par NPA dans la suite : http://www.npa2009.org/cont.ent/nos-r %C3%A9ponses-%C3%A0-la-crise-texte-vot%C3%A9-par-le-1er-congr%C3%A8s-du-npa.

6 « Manifeste », 2009, désigné par POI, téléchargeable sur le site du parti à l’adresse suivante : http://www.part.i- ouvrier-independant.com/spip/spip.php?page=art.icle_pdf&id_article=147.

7 Divers textes en ligne sur http://www.lutte-ouvriere.org/, désignés par LO.

8 « Programme populaire partagé », 2011, texte désigné par FDG dans la suite, disponible à l’adresse suivante : http://www.pcf.fr/sit.es/default/files/ppp definit.if_22_juillet. 0.doc.

9 Dans le même ordre d’idée, NPA appelle à une « rupture avec l’économie de marché, avec la concurrence et le productivisme capitaliste », et à la « lutte pour un autre monde, celui du partage et de la communauté des biens, de la coopération des peuples ». POI propose « d’en finir avec le régime d’exploitation et d’oppression, d’abolir le patronat et le salariat, d’établir une société de justice et d’égalité, fondée sur la socialisation des moyens de production et d’échanges ». LO s’insurge contre un système où « les petits patrons, les commerçants, les petits actionnaires, l ’ensemble de la petite bourgeoisie, n’a ni poids ni influence réelle », et déclare vouloir « changer la société » et militer pour « le renversement du capitalisme », accusé de procéder à une répartition « profondément inégale, anarchique, aveugle » des « biens de consommation ». FDG souhaite « engager une réorientation radicale de nos modes de production, d’échange et de consommation », car « l’organisation de la société doit viser un but : l ’intérêt général et l ’émancipation de chacune et de chacun. Elle doit donc promouvoir d’autres objectifs que le profit maximal qui est l ’horizon indépassable du capitalisme ».

10 Pour le NPA, la « déréglementation des marchés financiers », ou « libéralisation financière tous azimuts », est au cœur de la crise. POI évoque « la dictature de la Banque centrale européenne », mais aussi « les fonds de pension et les grands groupes spéculateurs, ainsi que les multinationales [qui] s’enrichissent chaque jour davantage ». Plus traditionnel, LO parle d’« aggravation de l’exploitation », due à la « spéculation financière » et, plus généralement, aux menées d’une « grande bourgeoisie » ayant tous les droits. FDG dénonce la « libéralisation des marchés », ainsi que « l ’emprise » et même « la dictature des marchés financiers ».

11 NPA prétend ne pas hésiter à « remettre en cause la propriété capitaliste »… mais nous invite, par ailleurs, à remettre « les choses à l’endroit : le droit à l’emploi prime sur le droit de propriété » — d’où l’on conclut que l’un comme l’autre seront préservés. POI affirme que la « propriété des moyens de production » est un des « maux qui frappent l ’humanité », mais ne va pas plus loin. LO appelle, certes, de ses vœux « un système économique débarrassé de la propriété privée », mais pour préciser juste après de quelle propriété privée on parle, celle « des moyens de production ». A l’instar de Die Linke, FDG est favorable à « la diversité des formes de propriété », ce qui recouvre « l’appropriation sociale […] du bien commun », aussi bien que, à l’instar de MM. Sarkozy et Borloo cette fois, « l ’accession sociale à la propriété ».

12 NPA, d’une part, prône la « rupture » avec « le productivisme capitaliste » mais, d’autre part, se scandalise du fait que « les gains de productivité [aient] été accaparés par les actionnaires ». POI déplore la « destruction d’industries nationales entières » et « l’exploitation de la force de travail des salariés ». Qu’on se le dise, pour LO, « le développement d’une économie planifiée à l’échelle mondiale […] ne signifiera pas, tant s’en faut, la fin du progrès technique et scientifique ». FDG, ne reculant devant aucune contradiction, prétend à la fois impulser « un nouveau type de développement non productiviste » et « un renouveau industriel et technologique ».

13 NPA veut « augmenter les salaires » – qui « rémunère[nt] notre force de travail » – et nous faire « travailler toutes et tous ». POI est également pour une « augmentation générale des salaires » et s’enthousiasme pour « un avenir de paix [et] de travail ». Plus ambigu, LO réclame la « fin du salariat », tout en appelant à la classique « dictature du prolétariat » ainsi qu’à « préserver notre emploi ». FDG imagine de réduire les « écarts de salaire » et fait de « l’emploi pour tous » une « nécessité ».

14 Voir note 10.

15 NPA fulmine contre « la minorité qui aujourd’hui tient entre ses mains le pouvoir économique, financier, politique, qui contrôle tous les principaux moyens d’information ». Pour POI, l’ennemi est plutôt « l’Union européenne qui détruit, délocalise, privatise et prétend transformer chacun de nos pays en un désert industriel et rural, livrant les richesses nationales à la spéculation effrénée des grandes multinationales ». Plus sobre, LO regrette que « notre » économie soit « aux mains d’une petite minorité de possédants ». FDG dénonce les « puissances de l ’argent » et un « pouvoir économique […] entre les mains des seuls actionnaires ».

16 NPA décèle une « contradiction capital/démocratie » – limitée, cependant, à « la phase actuelle du capitalisme » – et explique que « la démocratie politique recule au même rythme que le démantèlement des acquis sociaux. Plus largement la population est dessaisie, les affaires du monde qui concernent l ’ensemble de la population sont tranchées par une minorité de décideurs économiques et politiques dans les conseils d’administration des firmes transnationales, par les marchés financiers, les institutions internationales comme le FMI ou l ’OMC qui toutes sont aux mains de l ’oligarchie capitaliste mondiale ». POI prêche une « reconquête de la démocratie politique » menacée, notamment, par l’UE et ses « traités anti-populaires ». Comme on l’a déjà vu (note 9), LO se plaint du manque d’« influence réelle » d’une grande partie de la population, et promet un système « radicalement différent et infiniment plus démocratique ». FDG promet solennellement : « Contre la dictature des marchés financiers et des gestionnaires de capitaux, l’obsession du court-terme et le contournement de la démocratie, nous agirons pour établir le pouvoir de la société sur les banques et le crédit afin de produire autrement les richesses ».

17 Au printemps 1968, plusieurs dizaines de milliers de personnes manifestent à Bonn, alors capitale de la RFA, contre le projet de renforcement des pouvoirs de l’exécutif en matière d’état d’urgence. La loi sera néanmoins adoptée et entrera en vigueur en juin de cette année-là.

18 Sortes de banques centrales propres aux Lander ou Etats fédérés de la RFA. Chaque Land possède également sa constitution, son parlement, son gouvernement dirigé par un « ministre-président », etc.

19 Le NPA parle beaucoup d’« autogestion » et entend fermement « développer le contrôle des salariés sur les principales décisions concernant l’organisation du travail et de la production ». POI se contenterait du respect des « droits et acquis sociaux » dans le cadre d’un fédéralisme « ouvert à tous les courants politiques authentiques du mouvement ouvrier ». LO suggère d’« arracher les moyens de production » des mains des « possédants » et de « les collectiviser pour les faire fonctionner sous le contrôle de la population ». FDG aime le « contrôle », qu’il voit tour à tour « citoyen », « social », « démocratique » ; tout y passe : énergie, eau, santé, banques, « mouvements de capitaux », Constitution, dette publique, etc.

20 Politicien allemand de droite (CDU), ministre-président du Land de Hesse de 1999 à 2010. En 2009-2010, il est accusé d’avoir fait pression pour évincer le journaliste Nikolaus Brender, importante figure de la chaîne publique nationale ZDF.

21 « L’Etat reste, des infrastructures à la répression, le garant indispensable de la valorisation capitaliste », Anselm Jappe, Les Aventures de la marchandise, 2003, p. 261. « Les infrastructures ne peuvent pas complètement dépendre de l’offre et de la demande. Les coupures d’électricité massives en Californie en 2001, mais aussi au Brésil, ont donné une petite idée de ce qui peut arriver lorsqu’on essaie d’organiser les services infrastructurels sous forme privée », ibid., p. 179, note 31.

22 Depuis août 2010, date de la parution du présent article dans la presse allemande, le projet de programme de Die Linke semble n’avoir pas évolué vers un anticapitalisme plus conséquent, puisqu’on retrouve aujourd’hui (septembre 2011) dans la version en ligne tous les extraits cités par Michael Heinrich, souvent à la virgule près. Quant aux partis « anticapitalistes » français, on l’a vu, loin de remettre en cause le travail, la marchandise, le progrès technique, l’argent, l’Etat, etc., ils s’accommoderaient eux aussi volontiers d’une illusoire mainmise sur l’appareil de production conservé tel quel et d’un partage des « richesses » accaparées par les « multinationales » et leurs « actionnaires ». Or, « l ’Etat ne sera jamais cet outil que les honnêtes citoyens rêvent de conquérir pour le mettre au service de la société », Association contre le nucléaire et son monde, Histoire lacunaire de l ’opposition à l ’énergie nucléaire en France, 2007, p. 23. « Il ne faut pas un grand effort mental pour demander une distribution différente de l’argent ou davantage d’emplois. Il est infiniment plus difficile de se critiquer soi- même en tant que sujet qui travaille et qui gagne de l ’argent. La critique de la valeur est une critique du monde qui ne permet pas d’accuser de tous les maux du monde “les multinationales” ou “les économistes libéraux” pour continuer sa propre existence personnelle dans les catégories de l’argent et du travail […] Le temps des solutions faciles est passé », Anselm Jappe, Les Aventures de la marchandise, 2003, p. 21-22. Cf. également tout le chapitre intitulé « Critique du néolibéralisme ou critique du capitalisme », ibid., p. 255-266. « La seule chance est celle de sortir du capitalisme industriel et de ses fondements, c’est-à-dire de la marchandise et de son fétichisme, de la valeur, de l ’argent, du marché, de l ’État, de la concurrence, de la Nation, du patriarcat, du travail et du narcissisme, au lieu de les aménager, de s’en emparer, de les améliorer ou de s’en servir », Anselm Jappe, Crédit à mort, 2011, p. 52.