Texte paru dans la revue Nouvelles fondationS qui retrace l’histoire et les enjeux qui entourent cette publication.
La publication de tous les projets, œuvres, extraits, correspondance et autres témoignages légués par Karl Marx et Friedrich Engels dans une édition commune Marx-Engels (MEGA) a une longue histoire, qui est loin d’être terminée.
On distingue entre la « première » MEGA (MEGA I) qui, commencée en Union soviétique dans les années 20, fut interrompue à la décennie 30, et la « deuxième », (MEGA II), dont les premiers volumes sont parus en 1975. Cette dernière édition a été poursuivie après 1990, sur la base d’une autonomie dirigée et de principes éditoriaux modifiés; il convient donc de se demander si l’édition commune des œuvres complètes peut encore avoir le sigle « MEGA ».
Pour l’histoire proprement dite : depuis l’accès aux archives russes et la possibilité de reconstituer les événements, la fin de la première MEGA est souvent décrite comme « tragique ». À juste titre car, dans les années 30, une grande partie des chercheurs de l’institut Marx-Engels de Moscou, ainsi que son directeur, David Riazanov, ont été jetés en prison et/ou condamnés à l’exil, et nombre d’entre eux ont été assassinés. Pour tragique que soit cette histoire, elle est très symptomatique, car la publication de l’ensemble de l’héritage de Marx et d’Engels était « intrinsèquement » suspecte : leurs œuvres en contradiction avec l’image officielle de l’histoire russe ont constamment été mises à l’index, telle la publication du « Die auswärtige Politik des russisches Tsarentums » (La Politique étrangère du tsarisme russe; d’Engels « interdite » par Staline en 1934. En 1952, « Blücher », également d’Engels, ne put être réimprimé en Allemagne, car il « éludait » le rôle de l’armée russe dans la chute définitive de Napoléon en 1813-14. En 1960, le Soviet déconseilla « catégoriquement » d’inclure dans l’édition complète des œuvres de Marx les « Revelations of the history of the 18th century », et au début des années 80, la publication des manuscrits et extraits de Marx sur la question polonaise se heurta de nouveau « à la violente opposition du directeur de l’Institut du marxisme-léninisme (IML) de Moscou ».