La science de la valeur de Michael Heinrich. Présentation.

Die Wissenschaft vom Wert. Die Marsxsche Kritik der politischen Ökonime zwischen wissenschaftliche Revolution und klassischen Tradition,

Par I. J.

Le livre La science de la valeur de Michael Heinrich est le résultat de travaux réalisés à la fin des années 80 qui avaient pour objectif de répondre au regain d’intérêt que connut le marxisme après la vague de contestation étudiante des années 60. Malgré la mise en place de nombreux cercles de lecture et de groupes de recherche en économie marxiste, mais aussi de l’utilisation alors répandue des catégories marxiennes de l’économie politique, force était de constater que la réception de l’œuvre de Marx restait plutôt restreinte. Si des catégories marxiennes étaient appliquées pour rendre compte du développement ou de la désuétude du mode de production capitaliste, elles étaient utilisées sans égard à ce qui pour Michael Heinrich constitue un élément essentiel de la méthode de lecture du Capital qu’il propose : toujours attacher une importance extrême au niveaux d’abstraction et au contexte argumentatif respectif de chacune de ces catégories1.

Dans les années 60, le retour à Marx se traduit alors politiquement par une représentation bien particulière du rôle du prolétariat et de l’évolution des contradictions du capitalisme. Il fut alors considéré que si les travailleurs parvenaient à saisir ce qu’étaient leurs « intérêts objectifs », mais aussi que si toutes les promesses d’amélioration des conditions de vie étaient détruites par la prochaine crise économique, les contradictions sociales s’approfondiraient et se radicaliseraient. Cette compréhension du processus révolutionnaire, qualifiée par Michael Heinrich de « croyance » (Glaube), subira l’affront de la réalité : la crise de 1974/75 ne fut pas l’occasion de l’apparition de ces dynamiques de radicalisation. Le plus grave cependant est que, ce faisant, le lien établi entre ces analyses et le marxisme, aussi mince ou inexistant soit-il, eut pour conséquence que de jeter le discrédit sur ce dernier et qu’il entra en une crise profonde. Ceci provoqua un éloignement large et massif du marxisme. Il en fut de même en économie où il ne semblait pas pouvoir résoudre des problèmes formels comme celui de la transformation de la valeur en prix.

C’est pourquoi les travaux de Michael Heinrich s’adressent aux diverses théories se plaçant en rupture avec le marxisme. Mais c’est aussi et surtout contre les « mésinterprétations » qu’il fallait alors réagir puisqu’elles gangrenaient alors le marxisme lui-même. Et c’est en étant convaincu que toute mésinterprétation a son fondement dans le texte interprété (ou que si elle n’en a pas, elle est absurde, ce qui peut tout aussi arriver) que Michael Heinrich se place à la hauteur de ce que doit être une discussion scientifique : C’est bien en partant de l’idée que même les mésinterprétations ont une justification possible que l’auteur estime nécessaire de les confronter avec le texte lui-même. Il s’agit alors de bien identifier ce qui dans le texte de Marx peut constituer de véritables inconsistances, pouvant faire l’objet de critiques justifiées, mais aussi de déterminer de quelle manière on doit traiter ces inconsistances.2 En effet, il est primordial pour Michael Heinrich de se poser la question : comment traite-t-on ces inconsistances sans qu’elles soient pour autant assimilées à la fin de la critique de l’économie politique ? Or, pour ce faire, il apparaît essentiel à Michael Heinrich de resituer l’œuvre de Marx dans le changement de paradigme de la théorie économique du 19ème siècle. Avec la théorie de l’utilité marginale et l’insertion de méthodes mathématiques, ce n’est pas, selon lui, seulement un glissement qui s’opère dans le contenu de la théorie économique, mais au sein même des critères de scientificité (Standard der Wissenschaftlichkeit).

Michael Heinrich inscrit sa recherche dans l’histoire de la réception de l’œuvre de Marx. Les discussions qui eurent lieu avant la Première guerre mondiale autour de la critique de l’économie politique marxienne n’allèrent pas, à l’exception remarquable de Hilferding3, se confronter aux théories de la valeur et de la monnaie, mais restèrent concentrées autour de celles de monopole, d’impérialisme, du rôle économique de l’État, et des crises financières. Cet état de fait change cependant après la fin de la Première guerre mondiale avec les analyses de Lukacs (1923) et de Korsch (1923). Les discussions autour de l’œuvre de Marx prennent alors un tournant plus « philosophique et méthodologique »4. Parallèlement, mais dans une mesure bien restreinte, un débat s’ouvre sur la théorie de la valeur et sur la structure de la théorie économique de Marx avec Grossmann en Allemagne, Rubin en URSS, et Itoh au Japon. Malheureusement, dans ces trois pays, le fascisme ou le stalinisme réduisirent à néant ces débats naissants.

Ces discussions fondamentales purent cependant renaître dans les années 60 et 70. Allant de l’influence forte de la théorie néoricardienne de Sraffa (1960), adoptée comme modèle permettant de formaliser la théorie marxienne de l’économie politique, en passant par l’importance de la discussion méthodologique et épistémologique portée par la large réception du Lire le Capital d’Althusser, ou encore par la particularité de groupes de recherches qui entreprirent la lecture du Capital par la matrice des Grundrisse, Michael Heinrich dresse un tableau des discussions sur la théorie de la valeur qui est critique en ce que leur aboutissement serait insatisfaisant. A lieu à ce moment-là une cristallisation de pôles d’interprétation de la théorie de Marx autour de positions toutes en rupture avec une méthode d’analyse serrée du texte : Ainsi, la défense de la théorie de la valeur comme étant une théorie des rapports sociaux (Gesellschaftstheorie) a longtemps été comprise comme synonyme d’un renoncement à sa dimension économique, évinçant ainsi, de manière paradoxale, toute discussion fondamentale sur la théorie de la valeur et de l’argent chez Marx. C’est notamment pourquoi les conséquences de la démonétarisation de l’or pour la théorie marxienne n’ont pu faire l’objet d’aucune recherche approfondie.

Il ne s’agit pas dans ce livre de polémiquer avec chaque critique, mais bien plutôt « d’écarter certains déficits de l’appareil critique de l’économie politique »5. Afin de pouvoir rendre possible une discussion sur les théories du crédit et des crises, il est essentiel selon l’auteur de traiter les problèmes centraux des théories de la valeur et de l’argent de Marx, comme par exemple celui de la signification de la marchandise-monnaie pour la théorie de l’argent.

Le projet de « reconstruction de la critique de l’économie politique » ne doit cependant pas suivre le chemin qu’il a déjà pris une fois et qui consistait dans les années 70 à construire un discours homogène et unitaire. En faisant cela, toute attitude critique par rapport au texte de Marx a été systématiquement évacuée, amenant des auteurs comme Krause (1977), Cutler et al. (1977), Benetti/Cartelier (1980), ou encore Carling (1984) à isoler « de manière chirurgicale » certains pans de la théorie marxienne en explicitant leur invalidité et en proposant à leur place des « prothèses » de substitution.

En réponse à ces lectures tendancieuses, l’auteur défend la thèse selon laquelle la théorie économique développée par Marx (dans le Capital et les manuscrits de son élaboration), deux discours se croisent et s’enchevêtrent en permanence : D’une part, celui qui se trouve en rupture avec l’économie politique classique, et ce, non pas parce que Marx critique des théories isolées mais parce qu’il critique cette science dans sa totalité6. C’est exactement pour cette raison que Marx ne propose pas uniquement une théorie nouvelle mais qu’il opère une véritable révolution scientifique ouvrant un champ de recherche théorique radicalement nouveau. D’autre part, le discours de l’économie politique classique qui persiste à se trouver à des moments centraux du développement de Marx, de telle sorte qu’Althusser a pu affirmer que Marx ne parvenait même plus faire la différence entre son propre discours et celui de l’économie classique (1965b, S.194).

Les deux niveaux du discours ne cessent, alors même qu’un nouveau champ théorique s’ouvre, de s’entremêler. Ceci amène tout d’abord à devoir constater un déficit en autoréflexion de la part de Marx, mais surtout à devoir admettre l’ambivalence inhérente à son propre développement catégoriel. Le nouveau champ de recherche scientifique que Marx inaugure est donc toujours déjà infesté par les catégories de l’économie classique. Ceci a pour conséquence de générer une série de problèmes qu’il s’agit non seulement d’identifier, mais aussi de résoudre en tant que tels. Afin de pouvoir mener cette recherche, l’auteur propose d’élaborer une échelle de mesure afin de pouvoir distinguer dans le discours de Marx ce qui relève de l’économie classique de ce qui relève de son propre développement.

C’est pourquoi ce livre commence par une recherche portant sur le champ théorique avec lequel Marx se situe en rupture (cette partie porte le titre L’anthropologie comme affirmation). Il s’agit d’expliciter dans quelle mesure le marginalisme et les théories générales de l’équilibre (Gleichgewichtstheorien) relèvent du même champ théorique que l’économie classique. Ceci permet alors de mettre en évidence dans quelle mesure Marx propose effectivement une critique de l’économie politique dans son ensemble.

Dans la deuxième partie (La révolution scientifique de Marx), il s’agit pour l’auteur de rendre le contenu théorique de la révolution scientifique opérée par Marx par l’explicitation de la nature nouvelle des concepts de « réalité » (Wirklichkeit) et de « science » pour ce dernier. En ce que ces conceptions connaissent une construction progressive dans l’œuvre de Marx, il sera nécessaire de déterminer à partir de quand exactement celles-ci peuvent être considérées comme nouvelles.

Dans la troisième partie (L’ambivalence des catégories fondamentales de la critique de l’économie politique), l’auteur analyse les catégories fondamentales de la critique de l’économie politique et met en évidence dans quelle mesure celles-ci ne sont pas émancipées de conceptions « naturalistes » et « substantialistes ». En effet, ces deux dernières conceptions constituent le fondement d’évaluations quantitatives du travail (quantitative Arbeitsmengenrechnungen) qui amènent à des inconsistances bien connues. Ce sera l’occasion alors pour l’auteur d’opérer une révision critique du statut théorique donné par Marx à la marchandise-monnaie. Dépassant donc les versions naturalistes de la théorie de la valeur-travail, Michael Heinrich peut alors approfondir l’aspect monétaire de la théorie de la valeur et du capital, puisqu’il estime que c’est uniquement sur cette base qu’il est possible de mener une discussion sur les théories du crédit et des crises. L’auteur mettra alors en évidence les ambivalences propres à chacune de ces théories, mais surtout finira cette partie en mettant en perspective ce que les ambivalences marxiennes impliquent pour la conception du socialisme.

Cette contribution essentielle pour la théorie marxienne de la valeur a connu en Allemagne une large réception (trois rééditions) à la hauteur de sa qualité, mais aussi en raison de la méthode rigoureusement scientifique mise en œuvre par Michael Heinrich autant vis-à-vis du texte de Marx que des interprétations avancées. Le contexte français est tout aussi marqué par l’apparition d’ « écoles » nouvelles portant spécifiquement sur les thèmes au centre de ce livre, comme par exemple celle de la critique de la valeur. La contribution de Michael Heinrich, si elle a une pertinence propre incontestable, est le contradicteur absent de ces nouvelles lectures qui souffrent bien trop souvent du mal diagnostiqué par l’auteur : celui de ne pas veiller constamment au niveau d’abstraction ou au contexte argumentatif respectif des catégories permettant d’analyser le capitalisme.

Table des matières :

Erster Teil : Anthropologie als Affirmation: Das theoretische Feld der politischen Ökonomie

Erstes Kapitel : Die klassische politische Ökonomie

1. Arbeit und Eigentum in der frühen bürgerlichen Sozialphilosophie

2. Subjektive Arbeitswertlehre und Produktionskostentheorie bei Adam Smith

3. Smith als Mehrwerttheoretiker (Zur Kritik an Marx’ Klassik-Rezeption Teil I)

4. Wert und Durchschnittsprofit bei David Ricardo

5. Ricardo als inkonsequenter Arbeitswerttheoretiker (Zur Kritik an Marx’ Klassik-Rezeption Teil II)

6. Werttheorie als Kapitalismuskritik: die „ricardianischen Sozialisten »

Zweites Kapitel Marginalismus und Neoklassik

1. Die marginalistische Revolution

2. Die Theorie des allgemeinen Gleichgewichts

3. Klassik und Neoklassik 75

4. Wissenschaftliche Ökonomie und Vulgärökonomie (Zur Kritik an Marx’ Klassik-Rezeption Teil III)

Zweiter Teil : Die wissenschaftliche Revolution von Marx

Drittes Kapitel : Anthropologie als Kritik: Die theoretische Konzeption des jungen Marx

1. Marx als Junghegelianer

2. Kritik der Hegeischen Philosophie

3. Kritik der Politik: Menschliche Emanzipation und Revolution

4. Kritik der Nationalökonomie als Wissenschaft innerhalb der Entfremdung

5. Menschliches Wesen (Kritik der Hegeischen Philosophie, Fortsetzung)

6. Kommunismus: Ursprünglichkeit und Utopie

7. Auflösungsmomente der Marxschen Konzeption

Viertes Kapitel : Der Bruch mit dem theoretischen Feld der politischen Ökonomie

1.Die Abkehr von der Feuerbachschen Anthropologie

2. Die Kritik der Wesensphilosophie

3. Erste Ansätze der materialistischen Geschichtsauffassung

4. Kontinuität der Entfremdungsproblematik?

5. Der neue Begriff von gesellschaftlicher Wirklichkeit

6. Geschichtliche Dynamik oder Geschichtsphilosophie

7. Die neue Konzeption von Wissenschaft (Kritik der frühen Hegelkritik)

Dritter Teil : Die Ambivalenz der Grundkategorien der Kritik der politischen Ökonomie

Fünftes Kapitel : Die Architektonik der Kritik der politischen Ökonomie

1. Interpretationen der Marxschen Dialektik (Marx und Hegel)

2. Dialektische Darstellung als Form wissenschaftlicher Begründung

3. Der 6-Bücher-Plan und die Unterscheidung zwischen dem

„Kapital im Allgemeinen » und der „Konkurrenz der vielen Kapitalien »

4. Die Auflösung des „Kapital im Allgemeinen »

  1. Die Struktur des Kapital

Sechstes Kapitel : Die monetäre Werttheorie

1. Die Kritik an der Marxschen Werttheorie

2. Werttheorie zwischen Naturalismus und Gesellschaftstheorie

Abstrakte Arbeit

Wertgegenständlichkeit

Wert große

3. Wertformanalyse, Austauschprozeß und Geld

4. Das Problem der Geldware

5. Geld und einfache Zirkulation – die „Nicht-Neutralität » des Geldes

Wertgröße und Preis

Kritik der Quantitätstheorie

Geld als Selbstzweck

Siebtes Kapitel : Grundzüge der Marxschen Kapitaltheorie

1. Werttheorie und Kapitaltheorie

Der fehlende Übergang vom Geld zum Kapital

Arbeitskraft – eine ganz normale Ware?

Klassen- und staatstheoretische Implikationen der Kapitaltheorie

2. Werte und Produktionspreise

Das Transformationsproblem

Der neoricardianische Ansatz von Piero Sraffa und die Kritik an der Marxschen Werttheorie

Mehrwert und Durchschnittsprofit in der monetären Werttheorie

3. Zinstragendes Kapital und Kredit

Durchschnittsprofit und Zins

Kredit und fiktives Kapital

Geld- und Kreditkrisen

Die Steuerungsfunktion des Kreditsystems

Die Marxsche Kredittheorie und das gegenwärtige Geldsystem

4. Kapitaltheorie als Destruktion des Scheins kapitalistischer Empirie

Achtes Kapitel : Zur Dynamik der kapitalistischen Produktionsweise

1. Gleichgewicht und Dynamik

2. Produktivkraftentwicklung und Wertzusammensetzung des Kapitals

3. Industrielle Reservearmee und „Verelendungstheorie »

  1. Das „Gesetz vom tendenziellen Fall der Profitrate » – eine Kritik
  2. 5. Krisentheorie 341

Rekonstruktion der Krisentheorie ?

Grundrisse 1857/58: Unterkonsumtionsdynamik und Zusammenbruchstheorie

Manuskript 1861-63: Kritik der Harmonievorstellungen der Klassik,

Grenzen der Unterkonsumtionstheorie, Krise als Ausgleichsbewegung

Möglichkeit und Wirklichkeit der Krise

Krisentheorie im Kapital: Zyklentheoretischer und allgemeiner Krisenbegriff

Neuntes Kapitel : Kapitalismuskritik und Sozialismus

1. Normative Fundamente der Marxschen Kapitalismuskritik?

(Der „Umschlag der Aneignungsgesetze »)

2. Wissenschaft als Kritik

3. Werttheorie und Sozialismuskonzeption

1C’est une exigence méthodologique fondamentale qui constitue le trait distinctif de sa démarche exposée et mise en pratique dans Comment lire le Capital de Marx, notamment p. 23. Voir aussi Die Wissenschaft vom Wert, Vorwort zur 2. Auflage, S.9.

2Die Wissenschaft vom Wert, Vorwort zur 2. Auflage, S.10.

3Finanzkapital (Hilferding 1910), dans lequel l’auteur poursuit le développement de la théorie de l’argent et du crédit.

4Die Wissenschaft vom Wert, Einleitung, 1. Zum Stand der Diskussion um die Marxsche Wert- und Geldtheorie, S.14.

5Die Wissenschaft vom Wert, Einleitung, 1. Zum Stand der Diskussion um die Marxsche Wert- und Geldtheorie, S.16.

6Die Wissenschaft vom Wert, Einleitung, 1. Zum Stand der Diskussion um die Marxsche Wert- und Geldtheorie, S.17.

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