Lexique Marx – I, de Louis Janover et Maximilen Rubel – Avant propos des éditeurs

Les régimes d’oppression et d’exploitation qui se réclamaient du marxisme pour légitimer leur politique ont pour la plupart disparu 1, mais ils ont laissé dans leur sillage une confusion dans les idées critiques que l’absence de référence directe n’a souvent fait qu’aggraver. Cette confusion touche tout à la fois à la méthode d’exploration du réel (le « mensonge déconcertant » dont parlait Anton Ciliga 2 ayant la vie dure et faisant des rejetons étonnants dans le monde moderne) et à ce que nous pourrions appeler la « mise en perspective » : la capacité à se situer et à se reconnaître dans un processus de transformation sociale à vocation révolutionnaire — bref un authentique projet d’auto-émancipation des exploités, et partant, de l’humanité elle-même.

Est-ce à dire que les « mots » de la Révolution — à commencer par celui-là même — nous sont définitivement inaccessibles sous les diverses couches sédimentaires déposées par tous les « ismes » idéologiques, produits de la dynamique d’un capitalisme mondialisé triomphant sous les formes les plus variées au xxe siècle et en ce début de millénaire ? À plus de 40 ans de distance, cette interrogation entre en résonance avec la démarche qu’exposent dans leur « avertissement » les auteurs du « lexique » que le lecteur va pouvoir découvrir dans ce volume.

Nul autre choix bien entendu que de lire Marx. Mais de le lire comme Marx lui-même a toujours écrit — dans un perpétuel état de tension soutenu par l’extraordinaire exigence intellectuelle qui était la sienne, mais aussi par la confrontation avec d’autres productions théoriques, dans un champ de contradictions et de combats politiques incessants. Et c’est très précisément ce qui ressort de la méthode exploratoire des entrées de ce Lexique.

La synthèse qu’appelaient les auteurs de leurs vœux à la fin de l’« avertissement », qui devait résulter d’une cristallisation de ces longues notes-articles que sont les entrées du Lexique sous sa forme « préliminaire », ne nous est finalement pas forcément nécessaire. Cette élaboration conceptuelle, telle qu’elle se présente ici, à hauteur d’homme, foisonnante, nourrit bien plus certainement notre réflexion et notre réappropriation critique d’une pensée marxienne vivante et toujours aussi stimulante.

1Même les plus obtus des marxistes-léninistes ou des maoïstes (et l’on voudra bien nous pardonner ce pléonasme) évitent dorénavant d’apposer le label de « socialiste » ou de « communiste » aux actuels régimes chinois, vietnamien ou nord-coréen — pour ne citer que les plus en vue.

2Anton Ciliga, Dix ans au pays du mensonge déconcertant (1938), Paris, Champ libre, 1978.