Introduction à Marx, Pascal Combemale, La Découverte, 2006 (2018).

Introduction à Marx - Pascal Combemale | Cairn.info

Parsemé d’encadrés mettant le focus sur des notions-clés en proposant des synthèses sur les débats actuels et anciens sur ces notions, l’ouvrage déroule l’oeuvre et la vie de Marx sans considérer son œuvre « comme un système clos, achevé, sans failles » 1. Cette approche de l’évolution de la théorie et de la critique de Marx est essentielle et peut correspondre à une certaine analyse de l’élaboration du Capital en deux phases: la première étant celle des six livres, qui s’étend des années 1850 aux années 1861-1863, incluant les Grundrisse, la Contribution et les Théories sur la plus-value, et la seconde, le Capital en quatre livres, s’étendant de 1863 à 1881, incluant les Notes sur Wagner 2. Cependant, l’auteur ne parvient pas toujours à tenir cette promesse  dans sa « reconstruction », il identifie par exemple un « fil directeur » qui pourrait être la « critique de l’aliénation, à condition de ne pas en faire un invariant anthropologique » 3.

Le livre s’ouvre sur une mini-biographie (de la page 9 à 31), suivie d’un chapitre sur la critique de la philosophie de Marx. Ce chapitre débute avec une très bonne mise en perspective des différentes lectures qui ont été faites de Marx et particulièrement celles qui ont cherché à en faire une philosophie, comme ceux qui ont affirmé que cela était impossible (Kolakowski, Michel Henry, Balibar) 4. La première partie du chapitre commence avec la critique de la religion (Feuerbach), assez classique afin de décrire l’évolution de Marx. L’auteur évoque un ouvrage trop peu cité quand il est question d’introduire Marx, La Sainte famille 5. Ensuite les autres parties du chapitre sont consacrées à des textes de Marx qui permettent de retracer l’évolution de sa pensée : L’introduction à la contribution, La critique de la philosophie du droit de Hegel, La Question juive, Les Manuscrits de 1844, Les Thèses sur Feuerbach, et enfin L’Idéologie allemande. Sans pour autant suivre un fil chronologique, ce choix permet à l’auteur de faire des focus sur des dimensions de la critique de Marx : de la démocratie bourgeoise, de l’argent, de la philosophie, etc. qui sont assez éclairants.

Le chapitre suivant s’appelle « La sociologie historique ». Il s’ouvre sur une analyse de La Misère de la philosophie, qui fournirait « une analyse sociologique de l’économie » (qui semble être la manière dont l’auteur décrit les recherches de Marx) 6. Cette analyse aboutit au Manifeste communiste, c’est-à-dire à une conception de l’histoire comme histoire des luttes de classes 7, et au concept de révolution 8. Il est accompagné d’un étrange encart qui se trouve être un miscellanée de citations sans savoir de qui elles sont, et dont le thème est le communisme : un ensemble de définitions dont on ne sait pas bien si elles sont de Marx ou pas, et qui sont par ailleurs hautement problématiques sur ce que serait le communisme. La base « scientifique » que Marx oppose aux socialisme utopiques sert de transition vers l’Introduction de 1859, qui expose la « méthode » de Marx. S’ensuit un exposé sur les classes sociales chez Marx, théorie non unifiée dont la problématique spécifique fait l’objet d’un encart « De quelques difficultés de la théorie marxienne des classes » 9. La suite semble logique, on parvient à la critique de l’économie politique, le chapitre 4 du livre.

On trouve dans ce chapitre de très bons éléments d’introduction au Capital, mais malheureusement encore cette conception selon laquelle Marx appliquerait une « méthode » sur l’objet « économie politique » 10. Il est cependant essentiel de souligner que la compréhension de la théorie de la valeur est non-substantialiste, et que le concept de travail abstrait est très bien exposé 11. Il y est ajouté une citation des Notes sur Wagner qui permet bien d’éclairer le lien entre valeur d’usage et valeur d’échange 12. Un petit encart « A chacun sa théorie de la valeur » est très éclairant sur les diverses thèses qui s’affrontent au sujet de la théorie marxienne de la valeur, nous le reproduisons ici :

 

La suite expose bien la manière dont Marx théorise la monnaie (et donc en quoi sa théorie de la valeur est une théorie monétaire de la valeur), mais aboutit à la conclusion que Marx ne thématiserait pas l’État dans son rôle d’institutionnalisation de la valeur, ce qui est faux. Un petit encart sur l’utopie des bons de travail est aussi très éclairant sur ce point essentiel de la critique de l’économie politique de Marx 13.

Le chapitre se clôt une critique du « fétichisme » qui serait une inversion de la réalité. Cette compréhension réductive du concept de fétichisme est récurrente dans les écrits sur Marx. Mais l’essentiel du message idéologique de l’auteur apparaît alors: selon lui, estimer désirable une société sans fétichisme « se nourrit du rêve totalitaire d’une maîtrise totale de la nature et d’une société devenue transparente à elle-même » 14. Associer le projet de dépasser le fétichisme à la maîtrise absolue, et donc le projet communiste au totalitarisme est un jugement profondément problématique et un faux procès intenté à Marx et au projet communiste.

Le dernier chapitre est ambitieux, il porte le titre « Dynamique et crises du capitalisme ». Les éléments essentiels de la production et de la reproduction du mode de production capitaliste sont très bien présentés, mais sont parsemés d’éléments idéologiques, comme celui-ci : « Il voulait démontrer que le capitalisme était condamné par la logique même de sa dynamique » 15. L’évocation des travaux de Michael Heinrich sur la baisse tendancielle du taux de profit montre cependant que l’ouvrage a été réalisé avec sérieux, et n’a pas passé sous silence d’importantes contributions contemporaines dans les débats sur Marx.

La fin du livre présente dans un encart une réflexion sur le « socialisme sans Marx ». Sont alors relevées les impossibilités d’un socialisme compris comme gestion centralisée de la production. On y trouve des réflexions complètement contradictoires sur ce que Marx a pensé du socialisme (soit qu’il n’en a rien dit, ou alors que ce socialisme est « scientifique »). On aperçoit alors à quel point la compréhension de la monnaie est profondément problématique, de même que de la division du travail (« dont presque tout procède » 16). L’auteur attribue à Marx des présupposés moraux (l’homme serait bon, etc) qui sont classiques des lectures bourgeoises de Marx, et qui sont avancés pour réfuter la possibilité du socialisme marxien.

Riche en citations de qualité, mais aussi d’autres moins recommandables, l’auteur réussit le pari d’une reconstruction de la trajectoire théorique de Marx articulée de manière assez fluide, sans pour autant que l’ensemble tende téléologiquement vers une fin qui serait la critique de l’économie politique. Cependant, malgré de très bonnes présentations synthétiques des enjeux autour de questions spécifiques (matérialisme historique, valeur, etc.), l’auteur nous livre une lecture somme toute classique de Marx sur des thématiques qui effraient particulièrement la bourgeoisie : classique, parce qu’elle part de ce qu’on pense que Marx a écrit, plutôt que de se référer au texte. Cette tendance culmine dans l’encart final sur le communisme, ainsi que dans celui des pages 76-77, dans lesquels on trouve des affirmations sans fondements sur de nombreux points centraux de la conception du socialisme.

I.J.

1p. 7.

2p. 27.

3p. 35.

4p. 32.

5p. 35-36.

6p. 57.

7p. 58-59.

8p. 62.

9p. 76-77.

10p. 82-84.

11p. 88-90.

12p. 91.

13p. 97.

14p. 99.

15p. 127.

16p. 141.