Cet ouvrage, publié en 2009 aux PUF rassemble différents articles sur Marx, et non sur le Capital comme le suggère le titre. Franck Fischbach annonce dans la présentation générale qu’il ne s’agit pas de se limiter à une exégèse de Marx et de constater que tel ou tel auteur aurait fait des « contre-sens » sur Marx 1. Il ne s’agit donc pas de critiquer le ou les marxismes « au motif qu’une telle critique serait le préalable nécessaire à l’ouverture d’un accès au texte même de Marx, comme si ce texte reposait quelque part tel un trésor inaccessible à ceux qui commenceraient par le débarasser de toutes les scories accumulées par le temps » 2. En effet, les contre-sens dans l’histoire du marxisme, comme celui de Lukacs avec la théorie de la réification, ont été productifs.
Pourtant, les articles qui composent l’ouvrage vont faire ce détour par les lectures dans le marxisme du texte de Marx, ce qui est une démarche assez naturelle en fait, de même que de les interroger. Par ailleurs, les articles qui composent cet ouvrage vont, pour la plupart, bien proposer des lectures qui comportent des contre-sens, serait-on alors en droit de les interroger dans leur rapport au texte après cette présentation ?
A part le premier article, une partie du second et du troisième, il n’est pas vraiment question spécifiquement du Capital et de sa relecture. On trouve bien des lectures de Marx, ou si l’on préfère, des relectures, mais malheureusement pas spécifiquement du Capital.
Franck Fischbach le rappelle très justement, la spécificité de notre lecture de Marx à chacun, est que lorsqu’on le lit, « c’est toujours en en escomptant sinon la compréhension, du moins des éléments de compréhension de la soiété qui est la nôtre » 3. Que nous venons à Marx toujours avec la question suivante : « une formation sociale différente est-elle pensable ? ». Nous aurions ajouté, possible, mais c’est un fait, nous attendons toujours quelque chose de notre lecture de Marx.
Les articles qui composent l’ouvrage :
-Jacques Bidet, « Les philosophes n’ont fait jusqu’à présent qu’interpréter diversement le Capital. Pourquoi il faut aussi le transformer . Et comment. »
-Emmanuel Renault , « Qu’y a-t-il au juste de dialectique dans le Capital ? »
-Guillaume Sibertin-Blanc, « Loi de population du Capital, biopolitique d’État, hétéronomie de la politique de la classe. »
-Franck Fischbach, « Comment le capital capture le temps. »
-Moishe Postone, « Théorie critique et réflexivité historique. »
De ces articles, nous en retenons particulièrement un, celui d’Emmanuel Renault :
Emmanuel Renault , Qu’y a-t-il au juste de dialectique dans le Capital ?
L’article le plus intéressant de cet ouvrage est véritablement celui d’Emmanuel Renault. Il interroge la notion de « dialectique » dans le Capital, en posant la question « Qu’y a-t-il au juste de dialectique dans le Capital ? ».
Ce qui est son point de départ se révèle en filigrane une manière très appropriée de problématiser la lecture que l’on a de Marx. Selon l’auteur, il est « manifestement impossible de subsumer les différentes indications méthodologiques de Marx sous un concept de dialectique un tant soit peu univoque » 4. L’auteur se propose de partir des différentes acceptions hégéliennes du terme pour se demander ensuite si elles correspondent à ce qui a été appelé ainsi dans l’histoire du marxisme, pour enfin en parvenir à l’analyse de ses occurences dans le Capital.
L’auteur relève que le concept est secondaire et plurivoque chez Hegel, ce qui se démontre par une « visite » dans l’oeuvre de Hegel au travers de ce concept. On parvient alors à la conclusion que les références marxiennes à la dialectique « restent toujours à distance des acceptions hégéliennes » 5. L’auteur conclut de ces analyses que le concept de dialectique semble bien peu approprié à unifier toutes les « innovations philosophiques » de Marx. Que ceci est bien plutôt le cas pour les concepts de « pratique » ou de « critique » : surtout ce dernier puisque Marx s’est « efforcé dès sa période de jeunesse d’articuler les sens méthodologiques et politiques de l’idée de critique, et que c’est cette détermination qui reste déterminante dans sa critique de l’économie politique » 6. On se demanderait bien alors pourquoi continuer à étudier ce terme pour lire Marx ? Parce qu’il est essentiel pour comprendre le marxisme, et donc, si ce n’est la manière dont on a lu Marx, au moins, ce qu’on en a fait. L’auteur se penche précisément sur les occurrences du terme de dialectique dans les œuvres de Marx aux pages 63-66.
Il distingue alors deux types d’occurences du terme de dialectique « dans » le Capital : d’une part les affirmations de Marx sur Hegel, selon lequel ce dernier aurait révélé le « fond rationnel » de la méthode dialectique.
D’autre part celle se trouvant dans la Postface rédigée à l’occasion de la recension de Block, dans laquelle Marx affirme adopter un « mode d’exposition dialectique », etc. La suite de l’article (pages 69-74) consiste en un commentaire serré et sérieux des occurrences de ce terme dans la Postface, puis en une analyse des thèses de Backhaus et Reichelt sur la dissimulation progressive de la méthode « dialectique » au fil des nouvelles rédactions, hypothèse qui les amène à estimer les Grundrisse comme étant bien plus à même de permettre d’identifier la méthode du Capital. Cette thèse est, comme l’auteur le remarque, difficile à maintenir, elle présuppose notamment une certaine unité au niveau méthodologique dans la production de Marx qui n’a rien d’évident 7.
La conclusion de l’article est sans appel et très éclairante pour un lecteur du Capital : « la critique de l’économie politique n’admet ni méthode prédeterminée […], ni schème théorique organisateur, mais elle fait usage de différents opérateurs logiques et critiques exigés par le développement de son enquête scientifique et la poursuite de ses objectifs politiques » 8.
La duplicité des objectifs, l’impossibilité d’unifier tous le discours de Marx sous une seule méthode, qui serait à appliquer comme on applique une recette, voici bien une manière des plus subtiles et puissantes d’interroger notre manière de lire, mais aussi nos pratiques, puisque la découverte d’une « logique dialectique » dans le Capital, nous la devons notamment à Lénine.
1p. 11
2Ibid.
3p. 12.
4p. 45.
5p. 54.
6p. 55.
7p. 75.
8p. 75 sq.