Ce vendredi 30 avril 2021 paraît le deuxième volume du « Lexique Marx ». Cet ouvrage s’inscrit dans le projet de publication des articles commis par Louis Janover et Maximilien Rubel entre 1978 et 1985 dans les « Etudes de marxologie » en vue d’un « Lexique Marx ». Il réunit deux articles qui divisent en deux ce deuxième volume du projet éditorial porté par le collectif d’édition Smolny.
Il est indiscutable que la conception que l’on a de la société socialiste implique d’emblée celle du mouvement qui y mène, la révolution. Pour autant, on ne peut pas se satisfaire de déclarations semblables à celles que l’on peut glaner dans l’Idéologie allemande comme « le communisme, c’est le mouvement réel qui abolit l’état actuel ». Si l’on sait que Marx se qualifiait lui-même de « révolutionnaire », on sait donc moins quel sens il entendait prêter à ce qualificatif dont il s’est fréquemment revendiqué.
Cet ouvrage est incontournable si l’on veut mieux saisir la manière dont Marx élabore son concept de « révolution », mais aussi l’ensemble de son oeuvre et projet politique. Louis Janover et Maximilien Rubel nous répondent en trois temps. Ces temps recoupent le « triple langage » de Marx : l’historien, le pamphlétaire, et le communiste : 1) élaboration à partir de la révolution de 1789 et 1848, 2) puis les analyses moins à chaud et journaliste pour le New York Daily Tribune, et enfin, 3) en raison de son activité militante au sein de l’AIT, au sujet de la fonction de cet organe dans un processus révolutionnaire.
La première phase d’élaboration de Marx se trouve plus en prise avec les philosophes qu’avec l’histoire, notamment avec Hegel et Stirner. La conclusion implacable à laquelle aboutit immanquablement Marx est la piètre connaissance historique de ces auteurs, et donc la nécessité de s’adonner sérieusement à l’étude de l’histoire. Il développe à ce moment-là sa célèbre distinction entre révolution politique et sociale.
Le Marx journaliste historien et pamphlétaire pour le New York Daily Tribune l’amène à analyser l’ensemble des mouvements insurrectionnels de son époque et des contradictions entre monarchies et bourgeoisie : comme 1851 en Chine, sa chronique des révolutions bourgeoises en Espagne (1808-1814, 1820-1823, 1834-1843), la révolte des cipayes dans l’armée britannique stationnée en Inde septentrionale (1857-1859), ce qui permet à Marx d’établir une typologie des révolutions et des guerres coloniales. Cet aperçu, aussi précis que synthétique laisse apparaître un colossal travail journalistique parce qu’il fournit une analyse circonstanciée et structurelle des causalités que sont les formations sociales spécifiques, le développement économique et l’expansion des rapports sociaux capitalistes.
Puis, c’est en tant que militant de l’AIT qu’il dresse le bilan de la période post-révolutionnaire 1850-1864, puis qu’il analyse la guerre franco-allemande et l’épisode de la Commune de mars 1871. Son analyse des événements historiques vient alors ici servir un propos politique devant répondre autant aux débats internes qu’à la tâche spécifique qui revient à une organisation ayant un objectif révolutionnaire.
Refusant l’argument moral dans la construction de sa théorie sociale, Marx a pris sur lui le risque de cette ambiguïté créatrice en juxtaposant deux notions hétérogènes. L’une est tirée de l’expérience historique et l’autre, se présente « comme norme et impératif d’action à l’intention des masses humaines investies de la mission de recréer l’histoire », et relève de la sphère de « l’imagination utopique ».
Ainsi, on comprend aisément qu’on ne peut pas « faire la révolution ». Tout d’abord au sens d’une action conspiratrice ; Engels comprit que sa tâche était de combattre la « superstition » suivant laquelle les révolutions sont provoquées par les ambitions et intrigues d’une poignée d’agitateurs. Ensuite, non plus au sens où il y aurait une recette à appliquer, comme celle de Bakounine : désespoir + foi dans un idéal populaire = révolution. Comme pour la critique de l’économie politique, la pratique révolutionnaire n’est en rien l’application systématique d’une recette comme la dialectique matérialiste ou le matérialisme historique. La difficulté reste cependant entière : la tâche de clarification et d’orientation générale qui revient à l’Internationale lui enjoint autant d’être au diapason de la conscience de classe qu’invariante sur ses principes fondamentaux.
Cette brillante synthèse des réflexions sur la révolution de Marx nous fait accéder à la richesse et à la fertilité de cet auteur, par une des entrées les plus complexes, et pourtant des plus centrales. Le choix de cette entrée lexicale et la manière de la déployer confère à cet ouvrage un intérêt éminemment pratique. Il nous montre ce en quoi consiste l’exercice difficile auquel nous devons toutes et tous nous adonner pour être en prise avec le réel, c’est-à-dire, face à la nécessité de le changer : il s’agit de se déplacer sur une étroite voie de crête, d’être objectif sans être défaitiste, d’être enthousiaste sans être prophétique, d’analyser les révolutions non comme des événements isolés comme nous l’y invite leur attraction spectaculaire, mais de les appréhender comme des processus qui s’étendent sur une période nécessairement longue, et finalement de ne pas considérer qu’il existerait des recettes pour faire la révolution dont disposerait une secte ayant la connaissance du matérialisme ou des lois de l’économie.
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