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Qui est Cajo Brendel ? Par Dik van der Meulen et Geert van der Meulen

Qui est Cajo Brendel ? Par Dik van der Meulen et Geert van der Meulen

Traduction de l’allemand au français publiée dans Echanges et mouvement

C’était en 1975, Cajo, dans sa R4, était en route pour Paris. Il était accompagné de trois camarades communistes de conseils. Une pipe brûlante pendue au bec, tenant dans la main gauche un plan de Paris de 1938 (l’année où il s’était pour la première fois rendu à Paris) et sa main droite faisant de larges gestes, il était pris avec ses passagers dans une intense discussion. Plus tard, nous constaterions que le bouchon du réservoir à essence était resté sur une aire de repos en Belgique. Nous nous rendions tous à un congrès international de communistes de conseils. Cajo projetait de tenir pendant le congrès un discours qui n’avait pas été annoncé. Tout se déroula comme prévu. Lors de l’exposé d’un intervenant, Cajo se leva, et prononça pour le réfuter, dans un français parfait, un discours qui dura trois quarts d’heure.

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Verblendungszusammenhang gegen politischen Aktivismus?  Spannung zwischen Theorie und Praxis anhand Michael Heinrichs Ansatz zur Interpretation des Kapitals

Verblendungszusammenhang gegen politischen Aktivismus?

 

Spannung zwischen Theorie und Praxis anhand Michael Heinrichs Ansatz zur Interpretation des Kapitals

In seiner Antwort an Ernst Michael Lange behauptet Michael Heinrich, dass „die Diagnose des „Warenfetischismus » im Kapital keineswegs als Kritik an einer verkehrten Vergesellschaftung […], sondern als Kritik einer verkehrten Auffassung der vorliegenden Vergesellschaftung“[1] auftritt. Er gibt sich dabei der Kritik der Essentialisten, Antideterministen, und der Normativisten hin, der Verteidiger der „Empörung“ – verstanden als normatives und moralisches Gefühl, das zum politischen Aktivismus treibt. Daher ist es notwendig zu bestimmen, inwiefern Marx weder eine Trennung zwischen Weltveränderung und theorerischer Analyse des kapitalistischen Produktionsmodus operiert, noch die erste für die letzte voraussetzt. In dem Kontext einer erneuerten Bewegung der marxistischen Lesezirkel gewinnt dieser scheinbar rein hermeneutische Expertenkonflikt doch eine praktische Dimension, deren Implikationen weit über das Kapital selbst hinausführen.

In der Tat kritisieren die Vertreter einer eher klassischen Lesart von Marx an Michael Heinrichs Interpretation des Kapitals, dass in seiner Konzeptualisierung der Mensch nicht mehr als Akteur zu verstehen ist. Daher erschöpfe sich die Konflikthaftigkeit im Abstrakten und konkrete Auseinandersetzungen in Form des Klassenkampfes hätten keinen Platz mehr, weil eben alle gleichermaßen der Verblendung durch den Warenfetisch unterlägen. Karl Reitter zufolge überinterpretiere Heinrich damit die Marxsche Formel vom Kapital als automatischem Subjekt. Indirekt leiste Heinrich „dem Gerede vom Verblendungszusammenhang, hinter dessen düsterem Vorhang alle Klassengegensätze irrelevant werden, leider einen gewissen Vorschub“.[2]

Insofern wäre eine Analyse des Kapitals, die die Intentionen der Teilnehmer nicht einbringt, eine Ablehnung des Klassenkampfes, als ob die Folge davon wäre,  „dass an den Agenten des Kapitals und ihrem Ausbeutungsgeschäft unter den gegebenen Eigentums- und Tauschverhältnissen eigentlich nichts zu kritisieren ist: Was sie treiben, ist nach den Regeln des Warentauschs absolut korrekt“.[3] Die heftige Debatte, die darauf folgt, bedarf unsere Aufmerksamkeit als politische Aktivisten und als theoretische Forscher. Notwendig ist es, auf verschiedene Ebene die Voraussetzungen und Implikationen dieser Debatte zu hinterfragen: auf einer historisch-theoretischen Ebene, auf eine textbezogene Weise, und auf einer praktischen Ebene.

Die Behauptung von Michael Heinrich lässt sich ebenso im Rahmen der Geschichte des Marxismus selbst verstehen, angesichts z.B. von Böhm-Bawerk, Lenin, Althusser oder Habermas. Eine Einschreibung in diesem theoretisch-historischen Zusammenhang wird daher notwendig, um zu begreifen, inwiefern Michael Heinrich auf einen „rohen Marxismus“ oder auf bestimmten Autoren antwortet.[4] Die Bestimmung der Gesprächspartner ist eine Voraussetzung, um die Natur der Kritik zu fassen und die Ebene der Argumentation nicht zu verwechseln.

Die Frage nach dem Verhältnis von Verblendungszusammenhang und automatischen Agenten ist die nach der revolutionären Praxis. Sie bedarf im Voraus eine Verteidigung durch den Text des Kapitals selbst. Aber nicht nur, weil das scheinbar kausale Verhältnis, das zwischen einer Behauptung des Verblendungszusammenhanges und politischem Aktivismus herrschen würde, noch auf eine andere Weise zu hinterfragen ist. Zugleich beruht das Postulat, demzufolge das Verständnis der Kapitalprozesse unabdingbar zu Weltveränderungsaspiration führt darauf, dass die „Idee der Weltveränderung“ nicht die Grundlage der marxistischen Theorie sei. Diese These muss auch die Tatsache nicht leugnen, dass Teilnehmer von „Kapital“-Lesegruppen doch schon selbst zumeist diese Idee der Weltveränderung voraussetzen.

Michael Heinrichs Interpretation des Kapitals schreibt sich in ein ganzes kohärentes System der Wissenschaftlichkeit ein, was zugleich dazu führt, dass man sowohl Essentialismus als auch Normativität nicht mehr als Waffen im Klassenkampf annehmen kann. Die Berücksichtigung dieser Tatsache angesichts der Frage nach dem Verhältnis von Theorie und verändernder Praxis, und nach den Subjekten der Transformation oder Revolution ist eine unvermeidbare Aufgabe des aktuellen politischen Aktivismus und wird Gegenstand des hier beschriebenen Vortrags.

 

[1] Michael Heinrich, Die Wissenschaft vom Wert, S. 373

[2] Karl Reitter, Kapitalismus ohne Klassenkampf? zu Michael Heinrich: Kritik der politischen Ökonomie. In: Grundrisse. 11, Herbst 2004, S. 26–34.

[3] Wie man „Das Kapital“ nicht schon wieder neu lesen sollte. In: GegenStandpunkt. 2/08

[4]In der Tat wiederholt der Autor, dass er unter Marxismus folgendes versteht:  „What I’m talking about are those philosophical simplifications that are presented as “Marxism,” those mixtures of simple materialism, bourgeois ideas of progress, and vulgar Hegelianism which are presented as “dialectical materialism” and “historical materialism”“,  in Je ne suis pas marxiste, Michael Heinrich, in Neues Deutschland, 24.01.2015.

Notes de lecture: Bruno Astarian, L’Abolition de la valeur

L’Abolition de la valeur : La richesse apparaît comme un immense amas de produits

Il s’agit pour l’auteur d’affirmer que l’abolition de la valeur est simultanément abolition du travail, ce que Marx ne concevait pas ainsi, car pour ce dernier, le travail n’allait pas être bien différent sous le capitalisme et sous le socialisme. La théorie de l’abolition de la valeur est « une théorie de la forme-valeur en tant que compréhension de la logique du capital, de sa trajectoire historique, et de ses contradictions »1. Par forme-valeur on entend le fait pour une marchandise de pouvoir porter une valeur. Sous sa forme simple, avec son air peu énigmatique la forme valeur s’exprime comme suit : xA = yB. C’est une faculté insensible, invisible et pourtant qui n’a rien de naturel : l’échangeabilité. L’échangeabilité n’est possible que parce que ces marchandises-produits sont commensurables, qu’elles sont en interaction entre elles en terme de quantités, sans égard aux besoins, ni à leur(s) qualité(s). Elles peuvent donc devenir des médiatrices des rapports humains. C’est possible, mais ce n’est pas nécessaire. Elles peuvent avoir d’autres formes que la forme-valeur. Ce caractère est social parce qu’il est aussi médiation de rapports sociaux. Et puis, maintenant, parce qu’il tend à en être le seul. C’est ceci qu’on appelle la forme-valeur.

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LA RECEPTION DU SIXIEME CHAPITRE INEDIT EN FRANCE

LA RECEPTION DU SIXIEME CHAPITRE INEDIT EN FRANCE

1)Le texte

2)Les éditions du texte

3)Le sixième chapitre dans son rapport à l’œuvre de Marx

4)Subsomption réelle et formelle

5)Domination

6)Praxis politique

7)Le Cheval de Troie du révisionnisme. Bordiga. Goodfellow. Goldner. Meeting. Classe Operaia. Mac Intosh.

8)Formes d’organisation

9)L’impossible Dehors. Le totalitarisme du capital, l’antichambre du pessimisme révolutionnaire.

10)Conséquences positives de la mise en avant du caractère totalitaire du capital. Revenu garanti. Université. L’indifférence au contenu du travail.

11)Historiographie : le problème des phases historiques du capitalisme

12)Décalages entre rapports de production et système juridique

13)Le capitalisme cognitif ou l’émergence d’un nouveau « système historique d’accumulation »

14)Valeur d’usage et valeur d’échange, opéraïsme

15)La question de la norme

16)Dialectique présupposé-résultat. Dussel

17)Conclusion. Post-modernisme et partis politiques.

Nombreux articles et ouvrages ont fait usage à des titres divers du Sixième Chapitre inédit (CI). Si une édition du texte existe depuis récemment sous une forme plutôt complète (aux éditions sociales), il faut constater qu’à l’exception de quelques reconstructions « partisanes »1, la réception française du Chapitre inédit n’a pas fait l’objet de développements suivis. Le texte a même été longtemps indisponible, associant à son caractère d’inédit une force particulière, et un usage éminemment polémique.

Le texte

Le 6ème Chapitre inédit a été rédigé par Karl Marx entre juillet 1863 et juin 1864, ce qui correspond au moment où Marx commence la rédaction du Capital. En effet, à partir de 1863 commence à naître dans l’esprit de Marx le projet du Capital en trois volumes (divisés en quatre livres) et il semble même qu’entre 1863 et 1865 il ait déjà rédigé une version « primitive » du livre I du Capital2. Ce sont ces manuscrits préparatoires qui ont été utilisés par Engels pour réaliser le troisième tome du Capital3. Il est certain que Marx en 1863 continue à penser à une œuvre en 6 parties4. Dans une certaine mesure, on peut dire qu’elles correspondent à un développement selon deux « points de vue »5 ; les trois premières parties correspondent aux « trois classes » fondamentales de la société capitaliste : capitalistes, propriétaires terriens, et ouvriers salariés6. Les trois autres parties, s’inspirent de la structure des Principes de la philosophie du droit de Hegel, à laquelle Marx n’introduirait pas de variations fondamentales7. Les manuscrits de 1863-1865 devront attendre 1988 pour être publiés en Allemagne dans la MEGA II, 48. Dans ces manuscrits figurent également des matériaux qui seront répartis ultérieurement entre les sections quatre et cinq du premier livre du Capital.

Le chapitre ont il est question ici se présente comme étant le sixième en raison des plans que Marx a élaboré dans cette période. Il semblerait, selon Maximilien Rubel, que lorsque Marx a remis son manuscrit du Capital à l’éditeur, il se soit décidé « à remettre une partie de la matière au chapitre IV (« Production de la plus-value relative ») dans un second chapitre devenu le Chapitre inéditnquième. Ainsi, le chapitre sur le « Processus d’accumulation du capital » – initialement le Chapitre inéditnquième – est devenu dans la première édition, le sixième, et Marx ayant renoncé à la publication des Résultats…, n’a pas cru utile d’en modifier la numérotation. » (p.1667). Vincent Presumey rappelle bien que c’est en raison de la numérotation des feuillets que l’on établi que ce manuscrit aurait dû constituer le sixième chapitre du Capital : « Le manuscrit personnel est le texte intitulé « Résultat du processus immédiat de production », qui reprend des passages des manuscrits de 1863. Sa pagination laisse à penser qu’il prend la suite du manuscrit de ce qui a été le livre I du Capital dont il a été désigné comme « Chapitre inédit ». » D’autres éléments permettent de confirmer cette hyptohèses par les références qui sont faites dans le chapitre même à des précédents chapitres9.

Mais c’est à partir d’un plan que Marx a établi que nous connaissons l’emplacement que devait prendre le Chapitre inédit. A la page 1110 du manuscrit de la Critique, Marx a tracé un plan (appelé de « plan de décembre 1862 ») du Livre I° qui permet de situer la place qu’il comptait donner au Chapitre inédit :

«  Le premier livre sur le procès de production du capital se subdivise comme suit :
1. Introduction. Marchandise. Argent.
2. Transformation de l’argent en capital.
3. La plus-value absolue.
4. La plus-value relative.
5. Combinaison de la plus-value relative et de la plus-value absolue. Rapports (proportion) entre travail salarié et plus-value. Soumission formelle et réelle du travail au capital. Productivité du capital. Travail productif et improductif.
6. Reconversion de la plus-value en capital. L’accumulation primitive. La théorie coloniale de Wakefield.
7. Résultats du procès de production. (Le change sous forme de la loi d’appro­priation peut être traité ici ou à la précédente rubrique).
8. Théorie sur la survaleur.
9. Théories sur le travail productif et improductif. »

Tel que précisé dans la présentation de 2010, on remarque que le livre I était alors composé de sept chapitres.

Les éditions du texte

Jusqu’en 2010, avant sa parution aux Editions Sociales dans le cadre de la GEME – Grande édition des œuvres de Marx et Engels – il devait être lu en français en utilisant deux éditions : celle de Maximilien Rubel à la Pléiade, rééditée récemment en Folio, supérieure par la traduction mais ayant été remaniée en tous sens selon les vues de Rubel, « toujours prompt à s’estimer capable de voir ce que Marx voulait faire sans avoir su le faire », comme le dit si bien Tosel ; et celle de Roger Dangeville.

La France n’a disposé d’une édition complète du Chapitre inédit qu’en 1968. Cette première édition dans la prestigieuse « Bibliothèque de la Pléiade » des éditions Gallimard est réalisée sous la direction du marxologue Maximilien Rubel, « critique passionné du marxisme et des marxismes tous convaincus de stalinisme totalitaire, défenseur d’une lecture humaniste libertaire de Marx »10. Le volume de la Pléiade a pour titre Karl Marx. Œuvres. Economie II Paris. Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1968. Dans cette édition, les manuscrits correspondant, bien que partiellement, au Chapitre inédit se trouvent dans la partie « Matériaux pour l’ « économie » (1861-1865) » (pages 363-498). Le principe choisi par Rubel est thématique : il s’agit de présenter les textes les plus significatifs de Marx par matière. Vincent Presumey dira au sujet de cette présentation : « L’ensemble est utile pour le public cultivé même si le principe de la reconstruction thématique se discute aussi bien en ce qui concerne la répartition tripartite académique de l’œuvre marxienne. La parution du volume prouve en tout cas qu’en 1968 un grand éditeur jugeait possible de traduire Marx comme un classique et de faire pièce aux Editions Sociales en se dégageant de l’emprise « communiste ». »11.

S’ensuivra une traduction réalisée trois ans plus tard, en 1971 par Roger Dangeville, élève de Rubel en rupture avec lui. Autrefois éditée en 10/18, c’est la version qui est disponible sur internet, c’est une médiocre traduction mais force est de constater qu’à la différence de Maximilien Rubel, Roger Dangeville respecte l’ordre du texte. Notons tout de même que dans la version de Dangeville, quatre pages en ont été tronquées, pour sauter directement aux Généralités. Ce qui avait été mis en ordre chronologique par Rubel suit, chez Dangeville, l’ordre indiqué par Marx lui-même. Cependant, même actuellement, la référence privilégiée dans les commentaires est la traduction de Dangeville. Malgré leurs limites, les traductions de Rubel et Dangeville ont permis une première prise de contact avec le texte. L’édition intervient à la fin des années soixante, période qui marque « la dernière phase créatrice du marxisme théorique en France avec l’intense discussion soulevée par l’œuvre de Louis Althusser et de ses jeunes disciples »12.

Le volume éditée par les Editions Sociales en 2010 est une traduction élaborée par Gérard Cornillet, Laurent Prost et Lucien Sève de cette œuvre au statut complexe, et qui pour cette raison est accompagnée d’une présentation et d’un appareil critique13. Dans le cas du Chapitre inédit, on mesure bien à quel point les questions éditoriales, loin d’être extérieures à l’œuvre, en font pleinement partie. Le croisement est constant entre les préoccupations théoriques les plus pointues de Marx et son souci, partagé par son éditeur voire imposé par ce dernier, de rendre relativement accessible et lisible une œuvre ardue, mais qui ne fut jamais vouée à rester une publication académique.

Le sixième chapitre dans son rapport à l’œuvre de Marx

Une manière d’aborder les différentes interprétations qui ont été faites du Chapitre inédit est de voir la manière dont il a été considéré dans son rapport à l’œuvre de Marx, et notamment au Capital. Cependant, la première difficulté réside dans les raisons qui ont amenées Marx à renoncer à l’insertion de ce chapitre dans la version éditée. Si les motifs nous sont inconnus, on peut tout de même penser que c’est en raison des allègements demandés par l’éditeur Meissner à Marx que ce dernier aurait renoncé à insérer ce chapitre14. Souvent étudié aux côtés des Grundrisse, notamment par l’opéraïsme italien, il est évoqué avec l’Introduction de 1857, mais aussi avec les Manuscrits de 1844. Pourtant, en ce qu’il a été utilisé comme base pour la rédaction par Engels du livre III du Capital, mais aussi en ce qu’il « aurait dû » faire partie du livre premier, il est en premier lieu en dialogue avec le Capital.

Différentes lignes d’interprétations du Chapitre inédit invitent à le voir comme un moment dans la genèse du Capital, ou bien comme une clé véritable à sa compréhension, ou encore, à l’utiliser contre le Capital. Bien sûr, ce type de questionnement renvoie directement aux débats qui s’ensuivirent de la lecture althussérienne d’une rupture entre le jeune et le Marx de la maturité, lecture soutenant que Marx se serait à un moment donné détaché de la méthode de Hegel. Pour certains, le Chapitre inédit est une preuve à l’encontre de cette lecture15, montrant que lors de la rédaction du Capital, Marx était encore très hégélien au point qu’on puisse affirmer, avec les mots de Jacques Camatte, que le Chapitre inédit est « une Phénoménologie de l’Esprit matérialiste ».

Dans cette perspective génétique, le Chapitre inédit peut être compris comme un stade du développement de la pensée de Marx. Ainsi, pour Vincent Presumey, ce qui a lieu en 1863 dans la pensée de Marx, c’est une clarification théorique, que Marx opère par l’élaboration de deux manuscrits: l’un « personnel », le sixième chapitre, et l’autre « public », la série de conférences faites au printemps 1865 au conseil général de l’AIT sur Salaires, Prix et Profits16. Mais on peut également remarquer l’apparition dans le Chapitre inédit du terme Arbeitskraft à la place d’Arbeitsvermögen, usage qui se généralisera dans cette série de conférences. Ceci confirme notamment la datation de sa rédaction17.

Concrètement, dans la perspective de la rédaction du Capital, le Chapitre inédit se trouve à ce que certains identifient comme étant la troisième tentative, et d’autres, la quatrième rédaction. Ainsi, le Chapitre inédit constitue la troisième tentative marxienne d’élaboration de la critique de l’économie politique, troisième phase de la rédaction du Capital18. La première tentative étant constituée par les sept cahiers de 1857/58, appelés Gundrisse19, la deuxième tentative est, elle, identifiée comme étant les 23 cahiers des manuscrits de 1861-63, dont la partie centrale (« la pièce maîtresse » Rubel, 363) est la partie « historico-critique » Théories de la plus-value20. Après la troisième tentative commencera la quatrième, qui constitue, à proprement parler, la rédaction elle-même du tome I du Capital, elle commence début 1866 et ne finira jamais21. Cependant, les traducteurs de la dernière édition en France en 2010 insèrent dans la chronologie la rédaction primitive de La Contribution à la critique de l’économie politique en tant que deuxième phase de rédaction du Capital. Sa rédaction aurait eu lieu donc à partir d’août 1858 (après la rédaction primitive des Grundrisse) et le texte sera publié en 1859. La quatrième étape de rédaction est alors séquencée autrement pour s’étendre de 1863 à 1867, en contenant le Chapitre inédit et l’ensemble des manuscrits préparatoires à la rédaction finale. Celle-ci commence en janvier 1866 et ne finira donc jamais.

D’autre part, le Chapitre inédit peut être présenté comme un élément crucial et par conséquent, manquant. Ainsi, selon Rubel, il « représente la véritable conclusion du Livre I » (p.364). Cette pièce qui aurait été « rédigée en guise de récapitulation des thèses centrales du Livre I, forme en même temps la transition avec le livre II. » (p.1667). Pour d’autres, le Chapitre inédit ne contient rien de plus que le Capital, mais ce chapitre ce serait entouré d’une aura : Mc Intosh déclare dans Perspective internationaliste que « leurs concepts fondamentaux auraient été intégrés aux derniers volumes du Capital prévus par Marx s’il avait vécu pour les achever ». Le CCI, pour lequel le Chapitre inédit n’a rien de plus que le Capital, remarque au sujet de cette déclaration de Mc Intosh : « ce qui est peut-être vrai, mais minimise le fait que les concepts fondamentaux sont déjà là, dans le seul volume du Capital que Marx a vraiment achevé, le volume I. Les arguments contenus dans le Chapitre inédit sont essentiellement une élaboration de ce qui est déjà contenu dans le volume achevé. »22

Finalement, il est possible d’entrevoir différentes incompatibilités entre les deux écrits. Il en est ainsi pour un certain « objectivisme » qui a vaincu dans le Capital, alors même que le Chapitre inédit prévenait qu’il fallait s’en méfier. Ainsi, Marx affirme, dans le Chapitre inédit qu’ « il est absurde de prendre un rapport social de production déterminé qui se manifeste dans des choses, pour la propriété naturelle et objective de ces choses », ou que « le capital, pas plus que l’argent, n’est un objet. Dans l’un et l’autre, des rapports de production sociaux déterminés entre individus apparaissent comme des rapports se nouant entre objets et individus. Autrement dit, des rapports sociaux déterminés semblent être des propriétés sociales naturelles des objets. » Et il ajoute : « le capital n’est qu’un nom inventé pour abuser les masses. »

Mais lorsqu’il écrit le Capital, il semble oublier qu’il est absurde de prendre un rapport social de production déterminé qui se manifeste dans des choses, pour la propriété naturelle et objective de ces choses. Il développe au contraire la théorie (Cap I, 1) selon laquelle le capitaliste transforme la valeur du travail passé, mort, devenu chose, en capital, entité substantielle qui se présente tantôt sous forme argent, tantôt sous forme marchandise, cette dernière forme se dédoublant à son tour en capital constant (moyens de production : matières premières, matières auxiliaires et instruments de travail), et en capital variable, c’est-à-dire en force de travail qui reproduit son propre équivalent accru d’une plus-value variable (op. Chapitre inéditt.). En dépit des oscillations de sa théorie, la note dominante est objectiviste : les machines et ceux qui les actionnent sont du Capital, entité dont on peut énumérer les propriétés naturelles et objectives.

Cependant, en général, le Chapitre inédit est utilisé à partir de ses concepts, en faisant abstraction de la place que ce manuscrit occupe dans le développement de la pensée de Marx. Sans faire abstraction de cet aspect là, les traducteurs de la GEME justifient également sa réédition par « la richesse de la vue critique d’ensemble qu’il donne du mode de production capitaliste »23.

Subsomption réelle et formelle

L’opposition entre subsomption formelle et réelle du travail sous le capital correspond au passage de la manufacture, dominée par la production de plus value absolue, à la grande industrie, dominée par la plus value relative. Le chapitre VI est convoqué dans le cadre de cette distinction en ce qu’il en donne un exposé le plus développé de l’œuvre de Marx. Dans ce chapitre, cette opposition se déploie dans l’espace de constitution de la forme capitaliste. Pour devenir réelle, la forme capitaliste doit imposer cette subsomption. C’est l’analyse que suit notamment Etienne Balibar dans Lire le Capital, tome 224. Pour lui, il est surprenant que Marx n’utilise pas cette distinction cruciale dans le Capital.

Elle est cruciale en ce qu’elle énonce qu’il y aurait une résistance tendancielle de la force de travail « au statut de pure marchandise que lui impose la logique du capital », logique dont le « terme idéal » est la subsomption réelle (alors que la subsomption formelle se limite au contrat de travail) 25. On peut souligner alors le caractère « historiquement inaccessible » de la limitation de la logique du capital à la subsomption formelle. C’est pour cette raison que l’analyse de Marx « tend à dégager l’élément d’impossibilité matérielle contenu dans le mode de production capitaliste : le minimum incompressible auquel se heurte son « totalitarisme » propre, et dont procède en retour la pratique révolutionnaire du travailleur collectif »26.

Dans un certain sens, on peut résumer la réception française du Chapitre inédit à la thématisation dans les milieux marxistes de la distinction entre subsomption formelle et réelle. Si nous partirons de ces concepts, il va sans dire qu’ils reposent sur des analyses et des implications qui les dépassent. En premier lieu, la position prise dans le contexte politique par les auteurs invoquant ces concepts est représentée par le choix de la traduction du terme allemand Subsomption : « domination », « soumission », ou « subsomption ». En allemand, Subsomption est un néologisme, autant qu’en français. Alors que Rubel opte pour « Soumission », Dangeville choisira « Domination ». Alain Bihr nous offre certainement la lecture la plus précise du statut de ce concept :

« Marx emploie en fait deux concepts différents pour analyser le processus d’appropriation du procès de production par le capital. D’une part, celui d’Unterordnung, qui fait partie du registre administratif et militaire, que l’on peut traduire par subordination ou soumission, et qui désigne le fait que le procès de travail passe sous le commandement du capital, sous sa direction et sa surveillance, précise Marx. D’autre part, celui de Subsomption, de subsomption, que Marx emprunte à la logique, qui désigne sous ce terme l’opération par laquelle le général se subordonne le particulier. Par ce second concept, Marx a plus précisément en vue le mouvement par lequel le procès de travail se trouve transformé en un procès spécifiquement capitaliste, rendu en quelque sorte adéquat à la nature du capital. »27

Si l’usage même de l’un ou de l’autre terme comme traduction révèle déjà une prise de position de la part des auteurs, ou parfois, simplement l’utilisation de la version la plus largement disponible (sur internet ou dans une édition moins onéreuse que celle de la Pléiade), ce sera dans les sphères dans lesquels le Chapitre inédit apparaît comme soutenant un développement conceptuel que les positions deviendront clairement tranchées. Ainsi, les enjeux qui encadrent la question de définir ce qu’est la subsomption réelle sont au nombre de trois : premièrement la praxis politique (implications au niveau des revendications et des formes d’organisation), deuxièmement, historiographique (quand le passage de l’une à l’autre des subsomptions a-t-il eu lieu ?) et troisièmement, définitionnel (qu’est-ce que sont ces subsomptions et qu’impliquent-t-elles ?). En ce que l’usage du Chapitre inédit est apparu dans un contexte politique, nous traiterons dans un premier lieu des implications en termes de formes d’organisations de la lutte contre le capitalisme. Dans un deuxième moment, nous verrons dans quelle mesure le débat se situe en termes historiographiques : le moment auquel a eu lieu le passage de la subsomption formelle à celle réelle. Nous verrons enfin dans quelle mesure certains ont choisi de comprendre ces concepts à partir d’eux-mêmes, ou bien de faire appel à d’autres dispositifs conceptuels marxiens afin d’en rendre toute la portée et l’originalité.

L’usage principal qui est fait du Chapitre inédit provient d’un questionnement sur les modalités des rapports de domination entre le capital et le travail. La distinction proposée par Marx « permet d’établir les linéaments d’une généalogie de l’organisation capitaliste initiale, généalogie des formes qui expriment en réalité le degré de désappropriation, mais aussi de socialisation de la force de travail »28. La soumission formelle se rapporte aux débuts du capitalisme, moment où le capital s’empare d’un procès de travail encore artisanal, qu’il ne maîtrise donc, pour cette raison, pas encore ; mais elle continue par la suite à coexister comme forme particulière au sein du mode de production capitaliste pleinement développé. Durant cette période, le capital n’a alors pas prise sur le contenu du travail, il se contente d’agir par la surveillance sur la quantité de travail. l’ouvrier artisan devient salarié parce qu’il vend désormais sa force de travail au lieu du produit de son travail. Le premier moment de la production capitaliste correspond donc à la prise de contrôle de la marchandise par le capital. Le seul moyen pour le capital pour obtenir et accroître la plus-value est de gérer la journée de travail, donc la plus-value absolue se présente donc comme spécifique à la subordination formelle.

Cette soumission formelle acquise, le capital « révolutionne progressivement la technique du travail et le mode d’existence réel de l’ensemble du procès de travail en même temps que les rapports entre les divers agents de la production »29. Ainsi, l’élément central est que le capital mettant en œuvre la soumission réelle du travail s’approprie non plus seulement du produit et du temps de travail, mais de la manière même dont s’exécute le travail. Il s’agit alors pour le capital de réduire la valeur de la force de travail, si bien que la subordination réelle est donc le moyen d’obtenir la plus-value relative.

La subordination formelle connaît des limites qui freinent le développement capitaliste. L’accumulation réalisée par l’extraction de survaleur absolue touche très rapidement aux limites naturelles comme l’épuisement physiologique des individus et les contingences démographiques, ou sociales, comme la lutte pour la diminution du travail. La seconde limite que rencontre l’accumulation capitaliste dans le cadre de la subsomption formelle est de se trouver dans un état de relative dépendance au travailleur quant à la détermination des paramètres du procès de valorisation et de production. Et ceci est dû à la limite structurelle de la fonction de direction et de surveillance assumée par le capitaliste qui se retrouve devant la tâche de rationaliser fonctionnellement les séquences et les liaisons entre des procès autonomes.

C’est en cherchant à lever ces limites que le capital a radicalisé sa logique d’appropriation du procès de production. Cette radicalisation s’est traduite par une attaque de ce qui restait d’autonomie du producteur immédiat. Ainsi, la subordination réelle « consiste en une restructuration systématique, dynamique et virtuellement illimitée du procès de travail lui-même. » (Litalien p.29). C’est pourquoi le capitaliste va chercher à diminuer la part relative du travail nécessaire afin d’augmenter d’autant la part de survaleur plutôt que d’allonger la journée de travail. S’ensuit l’augmentation de la productivité moyenne du travail salarial :

« En suivant la distinction établie par Marx dans un Chapitre inédit du Capital entre subordination formelle et subordination réelle, nous verrons que c’est dans ce second type de subordination que le processus de séparation entre la force de travail nue et le système objectif de sa mise en valeur coïncide pleinement avec son concept. En quoi ? En ce que cette subordination repose sur une transformation systématique du procès de travail, l’entraînant dans une dynamique de rationalisation et de restructuration où ce sont les objets et les procès de travail eux-mêmes qui vont être décomposés et recomposés de manière continue selon les exigences de la valeur en procès. »30

Domination

Par le terme de « subsumption » c’est l’incarnation du capital en l’ouvrier qu’il faut comprendre, tel que le remarque Jacques Camatte dans Capital et Gemeinwesen. Sinon, Marx aurait utilisé un autre terme comme Unterordnung. Il y a dans la subsomption également une inclusion qui n’apparaît pas dans le terme domination. Cette inclusion, c’est celle de l’incarnation du capital et du travail en l’ouvrier31.

En 2006, Jacques Wajnsztein dans Quelques réflexions autour de domination formelle et domination réelle propose d’explorer la distinction marxienne entre domination formelle et domination réelle. :

« la subordination réelle du travail au capital consiste en une rationalisation de la pratique économique séparant de manière tendancielle les moments de la décision et de l’opération. » Effectivement, ce chapitre du capital expose les deux modalités de subordination du travail au capital, modalités qui sont associées aux deux phases historiques du développement du capitalisme.

C’est en premier lieu par des militants et intellectuels comme Camatte et Dangeville que cette distinction sera mise en avant. Parmi les néobordiguistes, CouC est celui qui a consacré le plus de temps et d’énergie à développer la thèse suivant laquelle domination « formelle » et domination « réelle » représentent les deux phases princi­pales dans la vie du capital32. Et il faut dire qu’ils ont au moins le mérite d’une certaine consistance avec la pensée de Marx. Tout comme Marx ils situent la transition de la domination formelle à celle réelle à la fin du 18e et début du 19e siècle :

  • « La phase de soumission formelle du travail au capital (XVI°-XVIII° siècles) … et la phase de soumission réelle du travail au capital (XIX°-XX°) » (« Les deux phases historiques de la production capitaliste », I, in CouC, n° 5 p. 3.)

Ou encore

  • « Dans le dernier tiers du 18e siècle s’affirme la phase de la soumission réelle, dont le mode d’extorsion de la plus-value repose sur la plus-value relative.  » (id., p. 33.)

Ainsi, pour certains, Le problème se situe au niveau des conclusions que CouC tire de ceci : il s’en sert pour fournir un autre argument contre la notion de décadence et en faveur de l »‘invariance » du marxisme depuis 1848, car pour lui le communisme devient possible dès que débute la phase de domination réelle. Voici comment est présenté son long travail sur les « Deux phases historiques » :

Praxis politique

Le Cheval de Troie du révisionnisme. Bordiga. Goodfellow. Goldner. Meeting. Classe Operaia. Mac Intosh.

La distinction entre domination formelle et réelle se présente en premier lieu comme un « cadre » conceptuel dont la portée est principalement politique. Parmi ceux qui ont fait usage de cette distinction, il y a l’aile « néo-bordiguiste du milieu » avec la Revue internationale du Mouvement communiste qui est publiée en commun par Communisme ou Chapitre inéditvilisation (France), Union Prolétarienne (France), Comunismo (Mexique) et Kamunist Kranti (Inde). Les trois premiers de ces groupes se réclament tous du cadre de la « domination réelle-formelle ». Communisme ou Chapitre inéditvilisation (C. ou C.) a écrit trois longs volumes expliquant les tenants et les aboutissants de cette théorie. Et puis, il y a un groupe nouvellement formé intitulé Mouvement communiste pour la formation du Parti Communiste Mondial, produit d’un regroupement entre les Cahiers Communistes (France) et A Contre-Courant (Belgique). Le numéro 0 de leur revue contient une déclaration de « points de référence programmatique » qui souligne l’importance de comprendre cette notion.

Dans ce contexte, on peut estimer que les concepts utilisés à partir du Chapitre inédit se présentaient comme des « chevaux de Troie du révisionnisme »33. Cette expression utilisée par Robin Goodfellow introduit la revue Invariance qui occupe une place centrale dans l’histoire de la réception du Chapitre inédit en France : « La notion de domination réelle du capital, outre ces intentions révisionnistes, traduit aussi l’abandon du point de vue du prolétariat au profit de positions inter-classistes dont Invariance nouvelle série ou les « communisateurs » aujourd’hui se font les hérauts, ouvrant la voie à un abandon complet des positions révolutionnaires »34.

Cette analyse est suivie par Loren Goldner, qui tente lui d’expliquer l’apparition de l’étude du Chapitre inédit par le développement du capitalisme selon les pays, mais il met surtout en avant une erreur fondamentale de ces lectures : ce chapitre propose des concepts non historicisés. En effet, une des différences principales qu’il convient de relever avec la version éditée du Capital est celle de l’ordre d’exposition du développement conceptuel.

En 1991, Loren Goldner écrit dans Le communisme est la communauté humaine matérielle : Amadeo Bordiga et notre temps sur la réception en France dans les années 50 du Chapitre inédit, notamment dans le cadre des études marxistes autour de la périodisation du capitalisme. La périodisation du capitalisme sera faite par les « néo-bordiguistes » sur la base du Chapitre inédit35. Selon l’auteur, les néo-bordiguistes, sont ceux qui avaient, en France, tenté « une synthèse entre la gauche italienne et la gauche germano-hollandaise », synthèse notamment donc entre la négation par Bordiga des conseils, et des soviets pour y préferer le parti, et la glorification des soviets par la gauche germano-hollandaise. L’auteur nous dit des néo-bordiguistes :

« Ces courants français mettaient en avant un texte de Marx qui, à terme, pourrait se révéler plus décisif que ses autres écrits exhumés dans les années 50 et 60 : le Sixième Chapitre inédit du Livre I du Capital36. On ignore pourquoi Marx a retranché de la version finale ce qui constitue une Phénoménologie de l’Esprit matérialiste. Quelques pages suffisent à réfuter la thèse althussérienne selon laquelle, parvenu à maturité, Marx aurait oublié Hegel. Mais la preuve de la continuité avec la méthode hégélienne n’est pas ici l’essentiel. Les concepts fondamentaux élabores dans le texte sont les distinctions entre plus-value absolue et relative, et ce que Marx appelle les phases « extensive » et « intensive » de l’accumulation, correspondant à la domination « formelle » et « réelle » du capital sur le travail. »

D’autre part, Loren Goldner associe la renaissance du Sixième chapitre en France et dans les autres pays, à la renaissance de l’hégélianisme :

« Le Sixième Chapitre inédit éclaire aussi la « renaissance hégélienne » dans le marxisme, et montre pourquoi un intérêt réel pour les racines hégéliennes de Marx, apparu d’abord dans l’Allemagne des années 20, chez Lukacs, Korsch et l’école de Francfort, attendit 1950 pour atteindre la France. Le marxisme vulgaire était devenu une idéologie à la mode parmi les intellectuels français entre 1930 et 1950, c’est-à-dire à l’époque du Front Populaire. »

L’origine du décalage dans la réception du Chapitre inédit, et surtout du marxisme « hégélianisé » s’explique selon lui par le degré de développement du capitalisme (l’industrialisation) sur lequel la France a une trentaine d’années de retard. L’auteur rapproche l’hégélianisme marxiste de la germanisation de la culture marxiste, qui aurait eu lieu en Italie bien avant qu’en France. Ceci s’expliquerait par le fait que l’Italie soit « « dernier arrivant » sur la scène politique, n’ayant pas participé, contrairement à la France, à la première économie capitaliste de l’Atlantique-Nord et à la vague révolutionnaire de 1770-1815 ». Ainsi, dans le milieu marxiste « l’Italie fut « germanisée » après 1890, la France seulement entre 1930 et 1960 ».

Le Chapitre inédit entre donc dans le paysage intellectuel à des fins polémiques par la porte de la politique. Comme Isabelle Garo le remarque, « ce qui fait la spécificité de Marx et du marxisme : la politique étant partie intégrante de l’effort théorique, ses relectures sont multiples et ses adversaires nombreux. »37. Tel que nous l’avons vu, l’origine de l’étude de ce chapitre, et surtout, de son utilisation, se situe de l’autre côté des Alpes, en Italie, ce qui inspirera la notion de « néo-bordiguistes » utilisée par Loren Goldner et Robin Goodfellow, afin de désigner ceux qui en France s’inscriront dans le paysage politique au travers du Chapitre inédit. En effet, le Chapitre inédit se trouve au cœur d’un divorce au sein du parti communiste italien, un divorce se développant sur deux plans : sur un plan théorique, concernant la question de la phase du capitalisme, et sur un plan pratique, concernant la forme d’organisation adaptée à cette formation historique. De même, l’apparition en France de l’étude du Chapitre inédit correspond à l’abandon d’une périodisation rigide du développement capitaliste entre deux époques, périodisation caractéristique de celle des partis communistes de la Troisième Internationale. C’est dans cette perspective que les notions de soumission formelle et soumission réelle du travail au capital avaient été défendues par les artisans de la scission de 1966 du PCI38. Cette scission advient dans le Parti Communiste Italien et provoque la création du Parti communiste d’Italie (marxiste-léniniste) – en italien Partito Comunista d’Italia (marxista-leninista), abrégé en PCd’I (m-l). Le congrès fondateur du parti, dont les principaux dirigeants sont Fosco Dinucci et Osvaldo Pesce, a lieu en octobre 1966 à Livourne. Cette scission est à lire en perspective de l’histoire du Parti communiste italien.

A la fin de la première guerre mondiale, A. Bordiga était, au sein du parti socialiste italien, à la tête d’une «fraction» dite «abstentionniste» – car elle refusait de participer à la vie parlementaire – qui publiait, via la Fédération de Naples du P.S.I. qu’il dirigeait, un organe appelé «Soviet». Dès son détachement du P.S.I., la fraction abstentionniste de Bordiga créait en janvier 1921 à Livourne le parti communiste italien en se réunissant au groupe de «L’Ordine Nuovo» de Turin, dirigé par Antonio Gramsci. Les «Thèses de Rome» que le P.C.I., adopta en 1922, étaient très largement inspirées par la tendance de gauche représentée par Bordiga. Aux troisième et quatrième congrès du Komintern le P.C.I., dirigé par ce courant s’opposa aux directives estimées trop «centristes» de l’Internationale Communiste. L’Internationale Communiste (I.C.), via Jules Humbert-Droz notamment, va tenter de convertir aux décisions de l’I.C. le premier secrétaire général du P.C.I. Constatant le désaccord complet et l’intransigeance des positions du C.E. du P.C.I., le délégué va s’attacher à remplacer le groupe dirigeant italien par un groupe favorable aux thèses de l’ I.C. Amadeo Bordiga refusant d’ être «dis­cipliné» les «gauchistes» du P.C.I. finissent par être écartés de la direc­tion du parti italien auquel l’I.C. impose une direction «centriste» (Gramsci, Togliatti, … ) lors du congrès de 1926 qui se tient à Lyon les fascistes ayant pris le pouvoir en Italie39 :

« Au congrès du PCI à Lyon, en 1926, la fraction de gauche présente ses thèses, mais elle est mise en minorité et quitte le parti. Bordiga qui y avait présenté ses positions principales, élabore, en les développant, une théorie de l’invariance. Pour lui, ce qui définit le Parti ce sont le Programme et la Théorie qui sont invariants. Cette invariance débute en 1848 avec Le Manifeste du Parti Communiste et court tout au long des œuvres de Marx publiées de son vivant, même si le VIe Chapitre inédit du capital sera ensuite intégré dans « l’invariance » à cause de l’importance des notions de domination formelle et domination réelle du capital. »40.

Ensuite, en Italie, l’usage de la conceptualité marxienne issue des Grundrisse et du chapitre VI inédit visera à réinvestir la subjectivation politique des ouvriers. Cet usage remonte à 1969, avec l’édition du Sixième Chapitre inédit par Bruno Maffi. Elle est inaugurée par Raniero Panzieri, qui créé alors la revue opéraïste Quadri Rossi. C’est contre le déterminisme objectiviste défendu par la 3ème Internationale, notamment au travers du Parti Communiste Italien, que des théoriciens comme Panzieri tentent d’encadrer le mouvement ouvrier et étudiant naissant dans les années 7041 . Un article récent paru dans la revue Agone nous permet de comprendre le statut du Chapitre inédit dans les références théoriques de l’opéraïsme :

« Panzieri chercha à émanciper le marxisme du contrôle des partis politiques et à assumer un « point de vue ouvrier » en relisant Marx à partir de la lutte des classes. Il concentra son attention sur la planification et interpréta le capital comme pouvoir social et non plus seulement comme propriété privée des moyens de production. Intervenant directement dans la production, l’État n’était plus seulement le garant mais l’organisateur de l’exploitation. Il trouva, dans la quatrième section du tome I du Capital, les concepts de « commandement capitaliste », d’« ouvrier social » (« travailleur collectif », dans la traduction espagnole que j’ai consultée) et d’« antagonisme », qui sont restés, depuis, des références théoriques incontournables de l’opéraïsme. Il fut, de surcroît, un des premiers à étudier des œuvres de Marx jusqu’alors pratiquement inconnues, comme les Grundrisse (en particulier, le passage sur la machinerie) et le quatrième chapitre (inédit) du Capital, en récupérant le concept fondamental de « critique de l’économie politique » et les catégories de « soumission formelle » et « réelle » du travail au capital. »42.

Ainsi, l’usage du general intellect exalte à l’opposé la « révolution subjective ». Le mouvement opéraïste se brise alors sur la question du passage des luttes autonomes ouvrières aux luttes politiques, si bien que dès 1963, deux élèves de Panzieri se séparent de lui pour fonder la nouvelle revue Classe operaia. Avec l’usage de ce Chapitre inédit, c’est en réalité une sphère du politique qui a été ouverte, celle qui devait être ouverte en alternative à l’engagement politique « transcendantal », « téléologique », « organisé en structures hiérarchiques », autrement dit, relevant d’une métaphysique du Moyen-Age.

C’est ainsi que le Chapitre inédit est évoqué en 2007 dans une réflexion menée lors du Meeting n°4 de Meeting, Revue Internationale pour la Communisation43. Après avoir repensé à la lumière d’Empire de Negri et Hardt le communisme comme produit « mécanique » du capitalisme, qui surgit dans un « malgré » lui, ce qui signifie, en étant le produit logique et matériel du capitalisme, les auteurs tentent de définir le communisme et le capitalisme par la lecture du sixième Chapitre inédit. Ce chapitre est considéré comme « la clé pour comprendre la situation actuelle et le capital ». Ils se proposent, pour avoir une véritable compréhension des forces productives, de suivre l’analyse de Marx par Panzieri et Tronti, pour qui il « n’analyse pas les forces productives comme des entités neutres, mais insiste sur le fait que, tout comme les rapports de production et de répartition, elles possèdent des fonctions capitalistes et classistes. ». Suivant cette analyse, le fond n’est pas séparé de la forme, il est son existence. Ainsi, le rapport capitaliste apparaît comme une combinaison de forces et de rapports de production qui doivent faire l’objet d’une modification. Il s’agit donc de la nature de la connexion entre essence et existence du capital, que les auteurs illustrent par l’analyse marxienne faite dans le sixième chapitre (p.124 du 10/18).

Il s’agit du passage dans lequel Marx affirme que pour définir la notion de marchandise, il importe peu « de connaître son contenu particulier et sa destination exacte ». Intervenant dans le cadre de l’analyse de la valeur d’usage, cela signifie, selon les auteurs, que pour qu’une chose soit marchandise, elle doit comporter une valeur d’échange. Est affirmé par ce moyen le fait que la valeur d’échange est première dans la définition de la marchandise, et que même si la valeur d’usage rentre en compte dans la définition, en ce que « c’est elle que le consommateur recherche ». Or, Marx précise immédiatement que, dans le cadre du procès de travail, les objets et les moyens qui y interviennent sont des « spécifications formelles de la valeur d’usage qui découle de la nature même du procès de travail ». Ainsi, les valeurs d’usage des marchandises capitalistes n’ont rien de neutre, mais sont « des déterminations formelles des rapports de l’économie capitaliste ». Il en est de même pour les moyens de subsistance, dont l’argent n’est que la métamorphose : leur valeur d’usage n’existe que sous forme capitaliste. Les auteurs identifient cette méprise sur la dimension capitaliste de la valeur d’usage comme à l’origine d’une lutte des classe des rapports marchands (théories autonomistes et situationnistes). Ces derniers identifieraient le communisme avec « la libération des valeurs d’usage », omettant ainsi que la singularité du capital est l’exploitation de la force de travail, la production de plus-value.

Les auteurs en tirent une prescription politique : « De cela il s’ensuit que la révolution communiste doit aussi révolutionner les valeurs d’usage capitalistes. ». Ce qui est illustré par le rapport à la nourriture, directement au cœur des situations insurrectionnelles. Ils en concluent de l’analyse de Marx le fait que « la force de travail est un marché avec des perspectives en expansion », en témoigne la « société de consommation ». Ils voient dans la thèse de la subsomption réelle, selon laquelle la détermination formelle du procès de production par les valeurs d’usage devient spécifiquement capitaliste, comme l’achèvement de la révolution anthropologique entrevue par Pier Pasolini. Cette organisation de la la production et de la reproduction met en conformité les besoins des gens avec ceux du capitalisme, tout cela avec la valeur comme médiation44. Ainsi, le désir (au sens deleuzien de force précédant la constitution de la société via les machines désirantes etc…) amène à ce que ce qui est désiré soit la propre subsomption de chacun45.

Dans le no 2 de la série II (1972) et dans l’arti­cle « Au-delà de la valeur ; la sur­fu­sion du capi­tal » (arti­cle non signé), la position d’Invariance est précisée. Ainsi, si « pour Marx, le capi­tal fictif était formé des catégories du capi­tal finan­cier. Pour Invariance, le capi­tal fictif signale une trans­for­ma­tion du capi­tal dans le sens où seule la forme sub­siste, c’est-à-dire une valeur se valo­ri­sant. La valeur n’est plus qu’une représen­ta­tion. ». Pour Invariance, la loi de la valeur reste expli­ca­tive du fonc­tion­ne­ment en « domi­na­tion for­melle » du capi­tal. Elle a donc une matérialité et une vérité qui est cadu­que en « domi­na­tion réelle ».

Si dans un premier temps, sous la « domination formelle », la classe ouvrière semble être la seule source de production de richesse, « le dévelop­pe­ment de la techno-science et son incor­po­ra­tion dans le capi­tal à la fois dans l’accu­mu­la­tion de capi­tal fixe et dans la for­ma­tion d’un gene­ral intel­lect bou­le­ver­sent la donne. Nous ne dévelop­pons pas davan­tage, mais cela remet en cause la divi­sion stricte entre tra­vail vivant et tra­vail mort. »

Il y a également la « Fraction Externe du CCI » qui, dans article de Perspective Internationaliste n° 7, écrit par le camarade Mc Intosh, affirme : « le passage de la domination formelle à la domination réelle du capital » n’est pas seulement un élé­ment décisif dans le développement du capitalisme d’Etat, mais également « c’est ce passage qui pousse le mode de pro­duction capitaliste vers sa crise permanente, qui rend inso­lubles les contradictions du procès de production capitaliste »

« Le fait que la formulation la plus développée de cette notion soit contenue dans un chapitre du Capital qui ne fut pas publié avant les années 1930, et ne fut donc pratique­ment connu que dans les années 1960, a, dans une certaine mesure, permis aux théoriciens de dernière heure d’entourer ce concept d’un air de mystère, de donner l’impression d’un secret longtemps enterré et finalement porté à la lumière. La FECCI ajoute du piment à ce mys­tère quand Mc Intosh déclare que « leurs concepts fonda­mentaux auraient été intégrés aux derniers volumes du Capi­tal prévus par Marx s’il avait vécu pour les achever » (Pers­pective Internationaliste n° 7) – ce qui est peut-être vrai, mais minimise le fait que les concepts fondamentaux sont déjà là, dans le seul volume du Capital que Marx a vraiment achevé, le volume I. Les arguments contenus dans le Chapitre inédit sont essentiellement une élaboration de ce qui est déjà contenu dans le volume achevé.

Dans le volume I, Marx introduit le concept de « soumission formelle » et « réelle du travail au capital », dans le chapitre « Plus-value absolue et plus-value relative » :

  • « Prolonger la joumée de travail au-delà du temps nécessaire à l’ouvrier pour fournir un équivalent de son entretien, et allouer ce surtravail au capital : voilà la production de la plus-value absolue. Elle forme la base générale du système capitaliste et le point de départ de la production de la plus­ value relative. Là, la journée est déjà divisée en deux parties, travail nécessaire et surtravail. Afin de prolonger le surtravail, le travail nécessaire est raccourci par des méthodes qui font produire l’équivalent du salaire en moins de temps. La pro­duction de la plus-value absolue n’affecte que la durée du travail, la production de la plus-value relative en transforme entièrement les procédés techniques et les combinaisons sociales. Elle se développe donc avec le mode de production capitaliste proprement dit. » (Le Capital, Livre I, Ed La pléiade, p. 1002.)

  •  « Cela requiert, par conséquent, un mode de production spéci­fiquement capitaliste, un mode de production qui, avec ses méthodes, ses moyens et ses conditions, naît et se développe spontanément sur les bases de la subordination formelle du travail au capital. La subordination formelle est alors rem­placée par une subordination réelle. » (Le Capital Livre I. Marx n’a pas repris ces lignes dans la version française. Nous le traduisons de la version anglaise, Penguin ed., 1976, p. 645.)

En peu de mots : la subordination formelle implique l’extraction de plus-value absolue, la subordination réelle implique l’extraction de plus-value relative.

Historiquement, l’avènement de cette subordination for­melle correspond au passage de l’industrie domestique à la manufacture :

  • « Une simple subordination formelle du travail au capital suffit pour la production de plus value absolue. Il suffit, par exemple, que des artisans qui travaillaient auparavant pour leur propre compte, ou comme apprentis d’un maître, deviennent des travailleurs salariés sous le contrôle d’un capitaliste. » (id.)

Dans le « Chapitre inédit » du Capital, nous trouvons exacte­ment les mêmes concepts, si ce n’est qu’ils s’y trouvent plus longuement expliqués :

  • « J’appelle subordination formelle du travail au capital la forme qui repose sur la plus-value absolue, parce qu’elle ne se distingue que formellement des modes de production anciens (…) » (« Matériaux pour 1″Economie »‘, ed. La pléiade, T. II, p 369).

  • « La subordination réelle du travail au capital s’opère dans toutes les formes qui développent la plus-value relative par opposition à la plus-value absolue. Avec elle, une révolution totale (et sans cesse renouvelée) s’accomplit dans le mode de production lui même, dans la productivité du travail et dans les rapports entre les capitalistes et le travailleur. » (id., p.379.)

Dans un autre passage, Marx affirme clairement que le pas­sage de la domination formelle du travail à sa domination réelle correspond à la transition de la manufacture (lorsque les capitalistes rassemblaient des artisans et en extrayaient de la plus-value sans modifier fondamentalement leurs méthodes de production) à la grande industrie :

  • « (…) la subordination du processus du travail au capital s’opère sur une base antérieure à cette subordination et diffé­rente des anciens modes de production. Dés lors, le capital s’empare d’un processus de travail préexistant, par exemple du travail artisanal ou du mode d’agriculture de la petite éco­nomie paysanne autonome. Lorsque des transformations se produisent dans le processus du travail traditionnel passé sous le contrôle du capital, il ne peut s’agir que de consé­quences graduelles d’une subordination au capital déjà accomplie. En soi et pour soi, le caractère du processus et du mode réel du travail ne change pas parce que le travail se fait plus intensif, ou que sa durée augmente, et qu’il devient plus continu et plus ordonné sous l’oeil intéressé du capitaliste. Tout cela contraste beaucoup avec le mode de production spécifiquement capitaliste (travail sur une grande échelle, etc.) qui révolutionne la nature et le mode réel du travail en même temps que les rapports des divers agents de production. Ce mode de travail, que nous appelons subordination for­melle du travail au capital, s’oppose au mode qui s’est déve­loppé avant même que surgisse le rapport capitaliste.  » (id., p. 366.)

Pour résumer : le changement d »‘époque » entraîné par le passage de la domination formelle du capital à sa domina­tion réelle avait déjà eu lieu au moment où Marx écrivait, puisqu’il était la même chose que le passage de la manu­facture à l’industrie moderne, réalisé à la fin du 18e et début du 19e siècle. Et, comme l’explique Marx dans le chapitre « Machinisme et grande industrie » du Livre I du Capital, ce passage a constitué un facteur décisif pour l’expansion rapide et sans précédent du mode de produc­tion capitaliste dans la période qui a suivi. En d’autres termes : la phase la plus dynamique de l’ascendance de la société bourgeoise reposait sur les bases de la domination réelle du capital. »

La distinction est utilisée par Maurice Netter dans un document ministériel en 1976 pour faire comprendre la théorie marxienne des processus de production capitalistes, de leurs formes et de leur transformations », en considérant qu’il développe cette théorie principalement dans le Capital, et le Chapitre inédit46.

« En 1966, cri­ti­quant les orien­ta­tions mili­tan­tes et les régres­sions théori­ques du PCint, Jacques Camatte et Roger Dangeville le quit­tent. Le pre­mier fonde la revue Invariance, le second la revue Le fil du temps. ». La revue « Le fil du temps » tire son nom de la rubrique tenue par Amadeo Bordiga dans la presse du Parti de 1949 au début de l’année 1955 : « filo del tempo ». Voulant se démarquer de la théorie de l’invariance proposée par Bordiga, « le titre de la nou­velle revue Invariance res­sem­ble un peu à une pro­vo­ca­tion, même si dans la série I il s’agit plutôt d’exhu­mer des textes anciens des deux Gauches plutôt que d’ouvrir des voies nou­vel­les ». Dans la postface à la revue Invariance de janvier 1974, DU PARTI-COMMUNAUTÉ À LA COMMUNAUTÉ HUMAINE47, Jacques Camatte cite une lettre envoyée à Bordiga (22.11.64). L’usage du chapitre VI est alors inscrit dans le débat sur la « tendance bourgeoise » à vouloir « fonder un nouvelle communauté alors qu’avec son propre développement, le capital allait fonder la sienne ». L’étude du sixième chapitre, où Marx expose cette question pemettrait de penser « le lien entre parti et communauté et aussi la question de la communauté matérielle crée par le capital ».

Ainsi, l’usage du chapitre VI a amené à un questionnement autour de la « communauté matérielle du capital », qui pose le problème du « rapport parti individu, et la critique de l’affirmation de la négation de l’individu qui aboutissait finalement à la négation de l’être humain lui-même ».

Sur la position d’Invariance par rapport à l’actualité de la domination formelle48 :

« Pour l’ins­tant (1972), Invariance reste dans l’hésita­tion puis­que, quel­les que soient leurs avancées théori­ques, les auteurs se situent tou­jours dans la pers­pec­tive de la loi de la valeur et son modèle lié à la domi­na­tion for­melle. Ils ne peu­vent donc encore théoriser le procès de tota­li­sa­tion du capi­tal même s’ils l’anti­ci­pent. La revue reste d’autant plus fixée à ce stade qu’elle se situe tou­jours dans la pers­pec­tive bor­di­guienne d’une révolu­tion pour 1975, une révolu­tion prolétarienne encore conçue, sur le mode des révolu­tions du début du siècle, donc de l’époque de la domi­na­tion for­melle. »

Barnier évoque la distinction marxienne dans la perspective avec le Capital dans lequel il voit thématisée les « transformations du cadre de travail, avec quatre « moments » symbolisant l’évolution de l’entreprise, quatre formes de coopération représentant pour Marx une évolution vers le modèle idéal de l’entreprise capitaliste »49. De plus, Artous analyse la distinction marxienne opérée dans le Chapitre inédit entre subsomption formelle et réelle comme une analyse du fétichisme de la production capitaliste : „Marx distingue deux formes de domination du travail par le capital. Dans la subsomption formelle du travail par le capital, la production s’organise encore sur la base des formes anciennes de production ; la domination s’exprime donc essentiellement le salaire comme relation monétaire. Mais dans la subsomption réelle le capital développe ses propres formes d’organisation de la production et de domination du travail. Les capitalistes ne sont pas simplement les propriétaires privés, le procès de production est structuré par le capital, il s’incarne dans lui. Cela se traduit par un fétichisme de la production qui fait écho à celui de la marchandise, sans pour autant se cristalliser dans les mêmes mécanismes puisqu’il se traduit par une « personnification des choses ». Marx y revient plusieurs fois, notamment dans Un Chapitre inédit du Capital .“50

Cette insistance est également faite par la seule fiche de lecture rédigée après la parution en 2010 aux Editions Sociales du Chapitre inédit. On trouve en mai 2011, une brève (env. 600 mots) fiche de lecture effectuée par Baptiste Eychart pour la revue Les lettres françaises51. Il s’agit pour l’auteur d’insister sur la découverte marxienne dans ce chapitre de l’étendue de la domination par le procès de valorisation du procès réel de travail. Ceci implique un élargissement du contrôle du travailleur à tous les moments du procès de travail, par l’organisation de l’usine, mais aussi par la formation. S’ensuit une lecture du phénomène par Marx dans ce chapitre comme celui de l’absorption par le capital de l’activité productrice. Cette activité d’absorption implique l’illusion bien connue d’une autosuffisance du capital dans son expansion, le « fétichisme du capitalisme », qui sera complètement développé dans la Capital. Ainsi, selon l’auteur, le sixième chapitre contient les contours d’une analyse qui sera complète dans le Capital, une analyse qui, il faut le reconnaître cependant est « originale ».

En 2007, la distinction marxienne entre subordination formelle et réelle apparaît dans un article d’Actuel Marx52. Il s’agit pour les auteurs de comprendre l’essor de la sous-traitance en France à partir de ces deux notions, et de faire de la montée de la sous-traitance « un moment bien particulier de l’histoire de la subordination de la main d’œuvre au capital ». Les auteurs répondent à une position qui approche l’existence et l’essor de la sous-traitance comme étant de l’ordre de la nécessité. Deux arguments sont avancés pour rendre raison de son essor, l’instabilité croissante de l’environnement économique et la compétitivité des entreprises de sous-traitance, en ce qu’elles seraient plus avancées dans la subordination réelle de leur main d’oeuvre sur ce segment de production. Cependant, pour les auteurs, il faut comprendre la sous-traitance non comme une nécessité économique mais comme « l’une des modalités par lesquelles celui-ci [le capital] cherche à contourner un certain nombre de protections instituées de haute lutte par le salariat ». La logique de cette dynamique de contournement est de « faire éclater formellement le collectif de travail tout en maintenant l’unité réelle du capital, malgré une fragmentation apparente »

La distinction marxienne a également été l’objet de critiques. Abdoulaye Niang, militant politique étudiant qui a connu la prison pour son action avant de venir en France, en lisant Le Capital de Marx et notamment son chapitre « inédit », s’était aperçu lors de la rédaction de son DEA que le concept, si puissant au demeurant, de « soumission formelle du travail au capital », véhiculait cependant un reliquat d’évolutionnisme ; en effet il supposait que les rapports capitalistes « modernes », en se soumettant les techniques « archaïques » héritées des modes de production antérieurs, allaient forcément les révolutionner pour aboutir à la « soumission réelle » du travail au capital, caractéristique de la grande industrie. Abdoulaye Niang a posé, d’abord de façon théorique, puis très vite appuyée par une foule d’exemples concrets, l’hypothèse symétrique : que les rapports de production « traditionnels » et notamment les rapports lignagers, pouvaient très bien se subordonner les techniques « modernes » venant du mode de production capitaliste pour créer des unités de production dont toute la finalité et les rapports internes étaient lignagers et n’avaient rien à voir ni avec le salariat, ni avec l’accumulation du capital ; il a ainsi révolutionné le concept de « secteur informel » inventé par les sociologues travaillant sur l’Amérique Latine et montré que cette « informalité » ne l’était que par rapport à l’État et au Capital, mais était parfaitement « formalisée » par les rapports de production lignagers. »53

Formes d’organisation

C’est dans le cadre du débat autour des « formes d’organisation » (le Parti, les conseils…) que les néo-bordiguistes ont cherché à tisser des liens « entre ces formes historiques d’organisation et les catégories de la critique marxiste de l’économie politique et tout particulièrement celle exprimée dans le Sixième Chapitre inédit du premier livre du Capital. »54 :

« On s’aperçoit donc maintenant que pour MC, le véritable changement d »‘époque », celui qui requiert un changement global du programme du mouvement ouvrier, ce n’est pas en réalité la transition de la domination formelle à celle réelle, mais le moment où cette transition est achevée à une échelle globale, ce qui, par une remarquable coïncidence, correspond justement à la période que certains philistins définissent comme le début de la phase de décadence du capitalisme. En réalité cette sournoiserie, cette subtile distorsion de la périodisation en domination formelle et réelle en vue de l’adapter aux vues particulières de tel ou tel groupe, n’est pas le propre du seul MC. On retrouve le même procédé chez ceux qui ont lancé la mode à l’origine, Invariance, pour qui le réel changement se produit tantôt en 1914, tantôt avant, tantôt entre 1914 et 1945 et tantôt seulement après 1945. Et nous trouvons ce même flou chez la FECCI, comme nous le verrons. »

Marx déclare à propos des formes d’organisations une chose qui peut être interprétée de deux manières différentes. Effectivement, en affirmant dans le Chapitre inédit, que « la valeur de la force de travail constitue la base rationnelle et déclarée des Syndicats“, (10/18, p.278-279) Marx énonce ce qui constitue la tâche des mouvements ouvriers, de constituer une force opposée, qui tend à augmenter la part des richesses recueillies par la classe laborieuse, et ceci en centrant leurs revendications sur le niveau de salaire : « Les syndicats ont pour but d’empêcher que le niveau des salaires ne descende en dessous du montant payé traditionnellement dans les diverses branches d’industrie, et que le prix de la force de travail ne tombe en dessous de sa valeur », op. Chapitre inéditt., p. 279

Or, si la question relative aux salaires et à la journée de travail appartiennent à la phase de subsomption formelle et non réelle du capitalisme, les revendications des syndicats ne sont plus actuelles mais appartiennent à une forme du capitalisme qui est dépassée. L’enjeu principal de ce questionnement réside dans ce que Marx entend par subsomption/subordination/domination formelle.

Mais, la question de la forme d’organisation se résout dans celle de déterminer ce qu’est la subsomption réelle. La question de la distinction entre subsomption formelle et réelle se pose de deux manières différentes : il s’agit de déterminer d’un côté ce qui caractérise un changement dans la forme du mode de production capitaliste, et d’autre part, ce à quoi correspond cette opposition. Les deux manières sont évidemment difficilement dissociables, pourtant, il prime deux tendances dans les interprétations qu’il s’agit ici de rendre, les unes présentant le problème en partant de la question de la forme historique du capitalisme (et des problèmes en résultant), et les autres, partant des nouveaux rapports de production, et leurs implications.

La difficulté à séparer ces deux niveaux s’explique par : Certains courants après Mai 68 en France ont contribué à « tisser des liens entre ces formes historiques d’organisation et les catégories de la critique marxiste de l’économie politique et tout particulièrement celle exprimée dans le «sixième Chapitre inédit » du premier volume du Capital »55. En termes politiques, l’utilisation du Chapitre inédit se traduit par la formulation d’autres revendications. C’est ainsi que Lucien Sève, éditeur associé dans la publication du Chapitre inédit en 2010 évoque ce chapitre dans un entretien donné pour le Philosophoire, en 200956. Il entre pour lui dans le cadre de ses recherches pour fonder une anthropologie marxiste qui remettrait « l’humanitas » au cœur des revendications.

L’impossible Dehors. Le totalitarisme du capital, l’antichambre du pessimisme révolutionnaire.

L’utilisation du concept de subsomption réelle tend à s’associer à la dénonciation du caractère totalitaire du capitalisme. C’est une analyse qui amena Jacques Camatte à quitter définitivement une perspective marxiste, ou que Jean-Marie Vincent a l’utiliser afin d’émettre des prescriptions pour le mouvement social. C’est également un concept qui soutient l’analyse de la réification de Henri Lefebvre, quoiqu’elle soit amenée par le concept problématique de « reproduction »57.

Jacques Camatte quitte le PCI en 1966 pour protester contre son tournant « militantiste » et pour défendre la pureté de la théorie révolutionnaire dans son journal Invariance. Cependant, il abandonne la perspective marxiste au début des années 1970, considérant que le capital était devenu totalitaire structurellement, et qu’il avait réussi à façonner l’humanité à son profit, que la classe ouvrière, incapable de changer sa situation, n’était rien de plus qu’un aspect du capital, qu’un mouvement futur ne pourrait consister qu’en une lutte entre l’humanité et le capital lui-même, plutôt qu’entre les classes : « Pour Invariance, le capitalisme, en achevant sa domination réelle, en particulier dans la période après 1945, loin de devenir historiquement obso­lète, décadent, entré en crise permanente, avait non seule­ment démontré une capacité de croissance quasiment illimitée, mais était devenu si puissant que plus rien ne pourrait lui résister. Pour Camatte, la « domination réelle » signifiait le triomphe total, omniprésent du capital, l’intégration du prolétariat, la fin de la perspective de la révolution prolétarienne. »58

Pour Jacques Camatte en effet, « de nos jours, de façon palpable, fascinante et tragique s’impose à tous la faillite de la prophétie apocalyptique de Marx : L’émancipation de l’humanité grâce à l’assaut des prolétaires aux Chapitre inédittadelles du capital qui, soit a fait faillite, soit ne s’est pas présenté au rendez-vous de l’histoire. » Au début des années 70, avant de quitter ce monde, il affirmait, dans la revue Invariance, que l’humanité s’est enfoncée dans l’errance avec le développement, qui finit par décomposer et cannibaliser l’humanité et le prolétariat lui-même, avec l’assentiment du marxisme qui prête à ce développement un potentiel libérateur en propageant « l’illusion de pouvoir diriger l’essor des forces productives dans une autre voie que celles qu’elles avaient empruntées » ; que « le mode de production capitaliste, qui devait obligatoirement – afin de pouvoir subsister- annihiler la négation qui le rongeait », était parvenu à englober la contradiction qui l’opposait au travail salarié, et que le marxisme avait permis l’universalisation du mode de production capitaliste, en jouant vis-à-vis de celui-ci le même rôle que le christianisme avait joué pour l’empire romain.

En relevant que le prolétariat, dont le mouvement négateur était désormais terminé, « n’a jamais posé réellement une société antagonique à celle du capital », il faisait l’hypothèse que « le cycle de la classe prolétarienne est désormais terminé, d’une part parce que ses objectifs ont été réalisés, d’autre part parce qu’elle n’est plus, à l’échelle mondiale, déterminante », que « surtout après 1945, le prolétariat classe révolutionnaire s’est survécu grâce à son mythe », alors qu’en réalité, ses mouvements ne servaient plus qu’à régénérer le capitalisme59, « un peu à la façon des révoltes paysannes dans le mode de production asiatique  », et que les luttes conduites sur la base du vieux mouvement ouvrier n’étaient plus bonnes qu’à liquider les restes d’un monde déjà condamné, comme si chaque poussée révolutionnaire forçait le capitalisme à aller de l’avant, à passer à un stade ultérieur de son développement. Il pronostiquait ainsi l’irrésistible épuisement du phénomène révolutionnaire en occident, et prônait derrière son pessimisme révolutionnaire un romantique « retour à la nature ».

Il s’agit pour Jacques Camatte de développer les conséquences relatives au fait que le prolétariat ne soit plus dans le mouvement négateur du capitalisme. André Tosel remarque que la rectification implicite opérée par Marx sur la continuité qu’il avait affirmé entre accumulation du capital, organisation de la lutte ouvrière et communisme s’exprime également au travers de sa remise en cause de l’extériorité du prolétariat à la société60. Cette extériorité censée lui conférer une négativité révolutionnaire est remise en question par la fonction de « capital variable » du travailleur au sein du procès de travail. Cette situation provient de l’analyse par Marx de la « soumission réelle » du travailleur, soumission qui « lui ôte toute initiative dans l’usage des moyens de production », en ce que ce sont les éléments du capital constant qui « commandent le procès de travail et font de la force de travail un instrument dépourvu de contrôle ». Le nouveau maître dans la soumission réelle étant la machinerie, Tosel en conclut que « la perspective de la constitution d’un General Intellect est constamment obstruée par la destruction des moyens de production rendue nécessaire par la crise permanente impliquée par le maintien du taux de profit. » Cela permet à l’auteur de donner une définition du communisme comme « tendance historique immanente à la résistance du travail à la soumission réelle ».

Toujours dans une perspective de l’analyse du caractère totalitaire du capitalisme, le Chapitre inédit est utilisé afin de comprendre la généralisation de la domination capitaliste non plus seulement au travail productif, mais aussi à l’ensemble du monde de la marchandise. C’est dans cette perspective que Henri Lefebvre invoque le Chapitre inédit pour soutenir sa théorie de la réification. Mais ce dernier remarquera que l’usage fait du Chapitre inédit cache une misère intellectuelle chez les marxistes : « Depuis que ce traducteur [Dangeville] a exhumé cet inédit, diverses autres traductions et commentaires ont paru, qui eurent trop souvent pour but de masquer la négligence et le vide de certains « marxologues » spécialisés, ainsi que des exégètes dogmatiques, plus ou moins officiels »61.

« Présente dans les œuvres de Marx, notamment sous la forme de la reproduction simple et élargie de la valorisation du capital (i.e. de la plus value), la notion de reproduction des rapports de production n’est partiellement explicitée qu’avec la publication d’un chapitre du Capital resté inédit et tardivement édité en France en 1970 intitulé Un Chapitre inédit du Capital (UGE 10/18). Comme d’autres théoriciens critiques de l’époque, Lefebvre s’y réfère, y voit une confirmation de ses anticipations sur l’extension des domaines de la réification à des sphères de l’activité humaine jusque-là moins exploitées que celles du travail productif, mais il n’en tire pas les conséquences coperniciennes qui étaient annoncées au lecteur dans les toutes premières pages de l’introduction sous le nom de « La Découverte ». »62

« Après avoir rappelé que Marx ne néglige pas la reproduction des rapports sociaux comme opérateur de l’accumulation capitaliste (p.62), Lefebvre poursuit en montrant que cette reproduction des rapports sociaux permettait de comprendre pourquoi un tel processus était nécessaire au capital pour intensifier et généraliser sa domination sur le travail productif à l’ensemble du « monde de la marchandise ». Mais il fait aussitôt le constat, trop hâtif, que Marx « ne va guère plus loin » et il se borne alors à évoquer une « question nouvelle : comment sortir du monde de la marchandise, qui semble le milieu nourricier du capital ? »(p.64) [3] . Ce Chapitre inédit du Capital ne contient pas pour lui les prémices d’une rupture significative non seulement avec la théorie de la valeur-travail mais aussi avec la « loi » du nécessaire développement des forces productives. Ici Lefebvre reste fidèle au productivisme de Marx comme à celui de tous les marxismes du XXe siècle63 : sa critique du productivisme stalinien et de la militarisation trotskiste de l’industrie trouvera, après 1968, ses limites dans la défense de l’autogestion (p.195) pourtant vite devenue dans les années 1970 le laboratoire de la liquidation de l’ancienne force collective de travail en rendant de plus en plus inessentiel le travail productif dans le procès global de circulation du capital. Il n’imagine pas un capitalisme qui serait parvenu à largement supprimer le travail humain productif sans pour autant supprimer le profit ou bien encore dans lequel l’activité humaine de production ne serait plus essentiellement un rapport des hommes à la nature extérieure mais un monde où la communauté matérielle du capital [5] serait quasiment devenue la « seconde nature » des êtres humains [6] . »

Ce qui soutient l’analyse de Henri Lefebvre est la notion de reproduction. Il convient ici de remarquer la difficulté qu’il y a à invoquer cette notion. En 2001 paraît La Reproduction du capital. Prolégomènes à une théorie générale du capitalisme, texte dans lequel Alain Bihr fait une présentation dans le cadre du séminaire « Lectures de Marx » (ENS Ulm) en partenariat avec Espaces-Marx, la Fondation Gabriel-Péri lors duquel il présente le « premier volet d’un vaste projet visant à élaborer une théorie générale du mode de production capitaliste, au sens d’une constellation conceptuelle capable de servir de cadre à toutes les analyses partielles du capitalisme présent ou passé » sur la base du concept de reproduction.

La notion de reproduction se tient dans un rapport ambigü avec le « procès d’ensemble » dont traite le livre III du Capital. Les deux concepts « semblent n’avoir fait leur apparition que lors de la rédaction de la version primitive du Capital (entre 1863 et 1865), si du moins on en juge par le fragment du Livre I qui nous en est resté et qui a été publié sous le titre de Un Chapitre inédit du Capital. » Cependant, « le Livre III du Capital, qu’Engels a composé à partir du manuscrit de cette même version primitive, nous révèle […] l’ambiguïté persistante de la position théorique du concept de reproduction au sein de ce manuscrit. »

André Gorz est un personnage central dans la réception du Chapitre inédit en France. Il est co-fondateur du Nouvel Obs et de l’écologisme politique. Le Marx qui a fait l’objet de la lecture de Gorz est celui des Manuscrits de 1844 et du Chapitre inédit, et ceci en ce qu’il pouvait répondre à la question : « comment devenir et demeurer une personne humaine malgré l’hétéronomie, la dictature quant aux fins et aux moyens imposée par le capitalisme (salariat + marché) à notre activité. »64

A l’origine de cette volonté d’autonomie se trouve l’émergence de nouvelles formes de travail, notamment celle qualifiée, comme les techniciens de Sud Aviation ou de l’industrie pétrolière précise Alain Lipietz. Or, André Gorz se rendra alors compte que la surqualification impliquait d’un autre côté une déqualification des autres travailleurs, suivant le principe du taylorisme. La rencontre se fait alors avec l’opéraïsme italien (Trentin et Foa, Rosanna Rossanda pour Il Manifesto) au travers d’un regain d’intérêt de Gorz pour « l’ouvrier-masse ». La GOP (Gauche ouvrière et paysanne) prend alors ses racines théoriques dans l’analyse des OS de grande industrie qui sont l’élément central du projet Potere operaio (Negri) et Lotta continua (Sofri, Viale).

En 1970 naît « l’organe de la future GOP » L’Outil des travailleurs avec Marc Heurgon, Yves Bucas, Alain Desjardins, Gérad Peurière, Alain Lipietz, etc…

D’autre part, l’analyse de Gorz se fonde sur le Chapitre inédit, conjointement avec les Manuscrits de 1844 dans le cadre de sa distinction entre travail autonome et travail hétéronome :

« Depuis 1980, Gorz a classé à la serpe deux types de travail, le travail hétéronome et le travail autonome. Mais l’important est le sens qu’il donne au nomos. « L’hétéronomie d’un travail ne réside pas simplement dans le fait que je dois m’y plier aux ordres d’un supérieur hiérarchique ou, ce qui revient au même, aux cadences d’une machinerie préréglée. (Cette phrase résume à peu près la totalité de ce que dit Marx à propos de l’amélioration du travail, des Manuscrits de 1844 au Chapitre inédit du Capital. Note de AL). »65

Conséquences positives de la mise en avant du caractère totalitaire du capital. Revenu garanti. Université. L’indifférence au contenu du travail.

Considérer le développement du capitalisme implique une redéfinition de ce qui entre sous sa sphère d’action. Autrement dit, il s’agit de distinguer ce qui fait l’objet de plus-value et n’en faisait pas avant partie, ou du moins, à une moindre échelle. C’est ce qui est thématisé par les analyses qui convergent autour de de la thèse de « l’intégration croissante de la science aux processus techniques et productifs de biens de services, notamment sous la forme de l’informatique »66. Ce phénomène d’intégration permet de mettre en évidence que le développement historique de l’industrie ne reposait pas simplement sur des financements d’importance croissante et la réquisition des moyens de production, mais aussi de disposer de connaissances scientifiques étant capables de faire fructifier les capitaux dans un processus de production déterminé. A la différence seulement de la découverte scientifique de la machine à vapeur, « les machines à calculer électroniques ont une telle portée et étendent leurs effets sur de telles dimensions qu’elles jouent un rôle direct dans la production »67. Dans le même temps, ce développement scientifique se retrouve synchronisé au développement productif, et c’est la raison pour laquelle « le travail à base d’informatique tend à reproduire de plus en plus les formes du travail productif en général, le mode de production générateur de plus-value. ». Naville cite à ce sujet le passage du Chapitre inédit sur la combination sociale comme véritable agent du procès de travail total, faisant du travailleur individuel un travailleur collectif (10/18, p.226-227)

Nous l’avons vu, le caractère totalitaire du capital dénoncé par Camatte, ou encore Tosel amène à la thématisation de l’extériorité possible au capital : à la tendance totalitaire du capitalisme peut cependant ouvrir sur de nouveaux enjeux. Ainsi, Jean-Marie Vincent, afin de soutenir son analyse du statut de la connaissance dans le mode de production capitaliste, indique la distinction faite par Marx dans le Chapitre inédit : « La soumission réelle des travailleurs sous le commandement du capital doit s’étendre de l’entreprise à toutes les organisations et organismes qui, de près ou de loin, participent à la production des connaissances. »68

Il s’agit pour lui de montrer que l’enjeu des luttes autour de la production des connaissances dépasse la question des crédits alloués à la recherche et à l’université, mais qu’il touche au « rôle que les universités pourraient jouer dans le développement de l’intelligence collective », alors que le capital voit tomber hors de la sphère marchande ces connaissances. Face à cette tendance, l’utilisation par les capitalistes des « brevets, une nouvelle réglementation de la propriété intellectuelle et de nouvelles formes de management dans les entreprises, afin de gragmenter et de cloisonner la coopération intellectuelle ». Les dispositifs mis en place par les capitalistes tendent à concourir toujours plus à la soumission de la force de travail collective. C’est le caractère totalitaire du capital qui en ressort : « Le capital se fait ainsi de plus en plus totalitaire et aveugle. ». Jean-Marie Vincent en tire les prescriptions de revendications et d’organisation : « Le mouvement social, en ce sens, ne peut être qu’un mouvement de fond pour la conquête des individus par eux-mêmes et pour la construction de connexions qui seraient débarrassées de l’unilatéralisme de la valorisation. Il doit devenir mouvement sociétal, capable de mettre en crise les abstractions du capital. » (p.32).

On retrouve cette thématisation de l’université sur la base de la distinction entre subsomption formelle et réelle dans le livre Révolution dans l’Université. Quelques leçons théoriques et lignes tactiques tirées de l’échec du printemps 2009. Emmanuel Barrot soutient son analyse de l’état de l’Université à l’aide de la distinction marxienne présente dans le Chapitre inédit. Cet essai propose une réflexion sur l’«incorporation croissante de la science au Capital», selon la formule de Marx. Il donne une lecture de la dynamique d’incorporation de la recherche-enseignement dans le procès d’auto-valorisation immédiat du capital comme étant une « nouvelle colonisation totalitaire de la production sociale de la connaissance » (p.55). Ainsi, « Sauver l’Université » implique de mettre au centre de l’analyse, ce qui n’a pas été fait en 2009, les contradictions structurelles de sa fonction continue dans le capitalisme. Emmanuel Barrot parle d’une « «mutation managériale » de l’exercice du pouvoir d’État, si l’on entend par là l’intensification de son identification avec l’exercice de la puissance-pouvoir du Capital (par l’assimilation de leurs logiques et de leurs intérêts). »

Cependant, pour Emmanuel Barrot, « l’enjeu de la reproduction de la force de travail et de l’opérationnalisation des savoirs » cache une transformation bien plus problématique : celle « de l’hégémonie des classes dominantes, c’est-à-dire des moyens idéologiques et répressifs par lesquels elles imposent les conditions de pérennité de leur pouvoir social, économique et politique. »

L’utilisation de la distinction subsomption formelle et réelle l’amène à une prescription : « Vouloir « Sauver l’Université » sans s’attaquer aux rapports de production d’ensemble est illusoire. » Puisque « cette organisation et cette économie des savoirs se transforment ainsi en conséquence d’un changement général des rapports capitalistes de la production. » L’harmonieuse cohésion de la structure hiérarchisée et bureaucratisée de l’Université avec le capitalisme keynésiano-fordiste amène l’auteur à disqualifier la nécessité d’un sauvetage de l’université. Dans un autre article, Emmanuel Barrot propose également d’étendre la distinction entre soumission formelle et réelle aux savoirs69.

H.H. Tran dans sa caractérisation des catégories du « travail en général » et du travail abstrait70 en vient dans son introduction à mettre en lien avec le Chapitre inédit la question du rapport que l’ouvrier entretient avec le contenu de son travail : L’attention qui est portée au contenu du travail serait proportionnelle à la disparition de la valeur d’usage qu’il contiendrait.

Le rapport social qu’exprime le travail en général en tant que catégorie moderne est le travail salarié, lequel se caractérise par la forme monétaire de la relation salariale : « Le seul but du travail d’un salarié étant l’argent de son salaire, soit une certaine quantité de valeurs d’échange d’où toute particularité de la valeur d’usage est effacée, il est tout à fait indifférent au contenu de son travail, donc au type particulier de son activité » ; et c’est en Amérique du Nord qu’« on observe la mobilité la plus forte des ouvriers, l’indifférence la plus complète à l’égard du contenu particulier du travail et une incessante migration d’une branche d’industrie à l’autre » – lit-on dans un texte sur la subsomption formelle du travail sous le capital qui développe le propos de l’Introduction de 1857 [Un Chapitre inédit du Capital, UGE, pp. 215-216].

Actuellement, la question du revenu garanti pose la question de l’extension de la notion de travail productif71. Une approche qui cherche à fonder la nécessité de cette revendication dans le cadre de la temporalité historique et des mutations les plus récentes du capitalisme repose sur l’idée de l’émergence d’une intellectualité diffuse, c’est-à-dire d’une division non smithienne72 du travail qui élargirait considérablement le concept de travail productif et inviterait à repenser la question de ce qui mérite salaire.

La question d’un revenu garanti se pose en ces termes car la tendance du capitalisme à s’imiscer dans toutes les sphères peut avoir pour conséquence d’être compris comme le fait que tout soit productif. Telle est la position de Negri et Hardt. Ainsi, « Il y a production de « valeur » partout et tout le temps. La valeur est produite par tous, qu’ils soient intégrés ou pas au processus de production, y compris par les chômeurs, par les immigrés clandestins (qui trouvent des façons de se débrouiller pour vivre). ». Il est possible d’objecter cependant, que Negri et Hardt « ne font pas la distinction entre valeur et richesse matérielle et sociale. »73

Historiographie : le problème des phases historiques du capitalisme

Nous l’avons vu précédemment, que ce soit en Italie ou en France, l’enjeu théorique qui soutient une rupture dans les pratiques révolutionnaires est celui de la détermination des phases historiques du capitalisme. Rappelons nous que le Chapitre inédit se trouve au cœur d’un divorce au sein du parti communiste italien, un divorce se développant sur deux plans : sur un plan théorique, concernant la question de la phase du capitalisme, et sur un plan pratique, concernant la forme d’organisation adaptée à cette formation historique. En France aussi l’étude du Chapitre inédit apparaît avec l’abandon d’une périodisation rigide du développement capitaliste entre deux époques, périodisation caractéristique de celle des partis communistes de la Troisième Internationale.

Aujourd’hui encore, le sixième chapitre est utilisé pour comprendre les grandes ruptures historiques. Certains74 constatent un « recoupement » entre les phases décrites dans le Capital et les notions de soumissions formelle et réelle : « la succession des phases : la coopération, la manufacture, et le machinisme et la grande industrie75…recoupe une autre distinction de portée chronologique, celle qui oppose soumissions formelle et réelle au capital76 .

Le fait que la question de la subsomption se pose en terme du problème de la phase a été admirablement remarqué par Balibar, et ceci avant même la parution du Chapitre inédit. L’opposition entre subsomption formelle et réelle du travail sous le capital correspond au passage de la manufacture, dominée par la production de plus value absolue, à la grande industrie, dominée par la plus value relative. Le Chapitre inédit est convoqué dans le cadre de cette distinction en ce qu’il en donne un exposé le plus développé de l’œuvre de Marx. Dans ce chapitre, cette opposition se déploie dans l’espace de constitution de la forme capitaliste. Pour devenir réelle, cette forme doit imposer cette subsomption77. C’est l’analyse que suit notamment Etienne Balibar dans Lire le Capital, tome 278. Il est surprenant que Marx dans le Capital n’utilise pas cette distinction cruciale :

« Marx emploie en fait deux concepts différents pour analyser le processus d’appropriation du procès de production par le capital. D’une part, celui d’Unterordnung, qui fait partie du registre administratif et militaire, que l’on peut traduire par subordination ou soumission, et qui désigne le fait que le procès de travail passe sous le commandement du capital, sous sa direction et sa surveillance, précise Marx. D’autre part, celui de Subsomption, de subsomption, que Marx emprunte à la logique, qui désigne sous ce terme l’opération par laquelle le général se subordonne le particulier. Par ce second concept, Marx a plus précisément en vue le mouvement par lequel le procès de travail se trouve transformé en un procès spécifiquement capitaliste, rendu en quelque sorte adéquat à la nature du capital. »79

On retrouve de manière répandue l’usage du Chapitre inédit pour la périodisation historique, à l’image de Jacques Guigou, professeur en sciences de l’éducation à l’université de Montpellier 3. Ce dernier évoquera le sixième chapitre lors de son cours de Licence en sciences de l’éducation80 intitulé « Les nouveaux tautologues » dans le cadre

Commentaire du texte d’Aristote, Métaphysique, Lambda, 7, 1072b-1073a3

Commentaire du texte d’Aristote,

Métaphysique, Lambda, 7, 1072b-1073a3

Dans ce texte, Aristote définit ce qu’il faut entendre par le premier principe. La difficulté principale dans la compréhension de ce principe est l’obstacle que constitue notre entente de la mise en mouvement sur le modèle causal. Or, ce qui fait que la substance immobile est l’objet de la métaphysique, provient du fait qu’elle n’a aucun principe commun avec les autres espèces de substances (1069b). Pour mettre en évidence une différence qui, somme toute donc, concentre la tension entre la physique et la métaphysique, Aristote opérera une remontée génétique en allant du mouvement en général vers le premier moteur. En cherchant à répondre à la question de l’origine du mouvement, il pourra ensuite en arriver à définir la nature du premier mouvement, et le distinguer de son moteur. Cela lui permettra de déduire un ensemble d’autres qualités propres au Premier Moteur, et ainsi remettre en question la thèse selon laquelle ce moteur serait à identifier à une cause. La difficulté de cette distinction provient notamment du fait que « toutes les causes sont des principes » (Métaphysique, Delta, 11013a18). Après avoir démontré la nécessité qui découle de l’essence du premier moteur d’être tel qu’il est, Aristote précisera ce qu’il entend par nécessité et cela l’amènera à pouvoir discuter la thèse de la nature de Dieu compris comme un vivant éternel et parfait. Cette triple définition permettra de rendre la distinction entre cause efficiente et principe plus claire. Mais face à cette conclusion, il faudra comprendre pour quelle raison Aristote initie son raisonnement par la tentative d’introduire une sorte de cause, la cause finale, parmi les êtres immobiles. Aristote doit rendre raison de la nature du premier principe en ce qu’il est l’objet de la métaphysique, et en ce qu’il a été mécompris par de nombreux philosophes, en particulier car ils n’en ont pas saisi adéquatement la nature immatérielle. Cette démonstration entre dans une partie essentielle de la Métaphysique, le livre Lambda qui a pour particularité de développer ce qu’il faut entendre par l’être en tant que tel.

La tâche qu’Aristote assigne à la philosophie première est de chercher le principe, qui est autre que les causes efficientes, et qui est ce dont provient le commencement du mouvement (Métaphysique, Alpha, 3984a). Afin d’en arriver à la détermination de la nature du premier moteur, Aristote part d’une objection qui pourrait lui être faite. Cette objection est sous-entendue dans la première phrase. On pourrait en effet croire que la cause finale n’appartient pas aux êtres immobiles, c’est-à-dire qu’elle « résiderait » dans les êtres mobiles. Les êtres mobiles sont tous les êtres mus, que ce soit selon la substance, le lieu, la quantité ou la qualité. La cause finale ne résiderait pas parmi les êtres immobiles de par une nécessité qui provient de sa définition, c’est-à-dire la signification qu’elle revêt. Le principe de toute démonstration est l’essence, connaissance à la quelle on arrive par les propriétés, et qui ensuite doivent être par un mouvement descendant, connaissables par les définitions trouvées (Physique, VII). La signification de la cause finale est double en ce qu’elle peut désigner le but, comme le bonheur, et celui pour qui elle est un but, par exemple, Socrate. Et c’est seulement en tant qu’elle est un but que la cause finale appartient aux êtres immobiles. L’impossible appartenance aux « êtres immobiles » de la cause finale entendue comme « Socrate » provient du fait que Socrate est mu par la cause finale, et qu’ainsi, il est par définition, mobile, changeant. Aristote a mis en évidence pourquoi la cause finale « peut » résider parmi les êtres immobiles, il n’a pas encore affirmé qu’elle en était un ou qu’elle y existait effectivement. Il a mis en un premier temps en évidence la possibilité de sa résidence parmi les êtres immobiles par sa définition.

C’est dans le lien à présent que cette cause finale entretient avec ce qu’elle meut qu’il sera possible de mettre en évidence que son existence est non seulement immatérielle, mais surtout nécessaire. Ainsi, la cause finale entraîne le mouvement parce qu’elle est un objet pour un sujet, en ce que celui-ci est désirant. Il semble qu’ici le mouvement provienne plutôt du désirant que du désiré mais ce serait mal comprendre ce que dit Aristote. Au paragraphe précédent, il affirme en effet qu’une chose est désirée parce qu’elle nous semble bonne et non pas qu’elle est bonne parce que nous la désirons, ce à quoi il rajoute, « le principe, c’est la pensée ». Ce qu’il y a de premier n’est pas le désir mais la nature de la chose désirée et l’intelligibilité que nous en avons, autrement dit, le mouvement provient de la nature bonne de la chose désirée. Ainsi, le mouvant est mu par la nature du moteur. La cause finale a la puissance de provoquer le mouvement de par sa nature bonne.

La deuxième partie de la phrase, « et elle meut les autres choses par une chose qui est mue » détermine un rapport de médiation, « par », qui précise le processus par lequel il y a mouvement. Cette chose qui est mue et qui est ce par quoi l’objet du désir meut semble ici encore impossible à déterminer. La traduction Tricot nous permet de sortir d’une certaine obscurité dans la formulation en ce qu’il traduit « et toutes les autres choses meuvent parce qu’elle sont mues elles-mêmes ». Cette traduction met en évidence un rapport de nécessité définitionnelle (« parce que »), qui fait que tout ce qui est désirant met en mouvement, en plus d’être soi-même mu. C’est donc en vertu du fait qu’une chose est désirante, c’est-à-dire animée par une cause finale, qu’elle devient cause elle-même.

Quelle conséquence a le fait d’être en mouvement sur la nature, ou l’essence d’une chose, ce qui fait qu’elle est ce qu’elle est et non pas autre chose ? Justement, que cette essence n’est pas fixe, qu’elle peut être autrement que ce qu’elle est, c’est-à-dire qu’elle entre dans le règne de la contingence, du hasard. Elle perd la nécessité d’être selon sa propre nature. Cette perte de nécessité provient de la possibilité (« elle peut aussi ») ouverte par la nature du mouvement même. Pouvoir être autrement que ce que l’on est s’entend selon les quatre modalités du mouvement, l’altération, la corruption, la translation, l’accroissement. Alors qu’il est question ici du mouvement tel qu’il a lieu en tant qu’il est désiré, qu’en est-il du premier mouvement ? D’une définition qui portait sur le mouvement en général et son origine, Aristote le spécifie pour un mouvement particulier, le premier. Celui avant quoi il n’y a pas de mouvement. Il établit un rapport de conséquence (« Par conséquent ») qui est confronté à une difficulté (« même si »). Cette difficulté est que le premier « déplacement » soit « aussi acte ». La traduction Tricot met ici en évidence qu’il s’agit du mouvement de translation chez celui qui est maintenant susceptible d’être autrement du fait qu’il est mu par une cause finale. Il ne s’agit donc pas du premier déplacement dans l’absolu, mais dans l’individu animé d’un désir. Cette traduction met en évidence que le premier mouvement possible est celui de translation, d’un mouvement dans l’espace. Pourtant, même mu par le désir provoqué par la nature d’une cause finale, et donc sujet possible du changement, Aristote précise que ce changement ne s’opère que sous la modalité du lieu, et pas de sa substance, c’est-à-dire qu’il n’y a pas encore de principe à sa génération ou à sa corruption. Cette nécessité provient du fait que tout processus de génération implique l’existence d’un terme.

Cependant, le développement n’a pas permis de mettre en évidence la nature immobile de la cause finale, mais bien plutôt de ce en vertu de quoi elle meut. Dans cette mesure, il faut s’attacher à présent à ce « quelque chose qui meut tout en étant lui-même immobile ». Aristote part donc ici d’un présupposé, celui selon lequel il y a quelque chose qui meut tout en étant immobile, que cette chose existe. Du fait de cette existence découle la nécessité dans sa définition de ne pas être possiblement autrement qu’il n’est. Comment comprendre le fait que ce quelque chose soit l’immobile et qu’il soit « en acte ». Qu’est-il « en acte » ? Pour cela, il faut remonter un peu dans le livre Lambda, au chapitre précédent où il est démontré qu’il faut « qu’il existe un principe tel que l’acte même de mouvoir en soit l’essence » (1071b). Être en acte signifie être parfait ou achevé par opposition à la puissance, la potentialité, et c’est pourquoi un existant singulier est un être en acte, alors que la matière indéterminée est un être en puissance. Cette perfection provient de la nécessité reconnue plus tôt que le mouvement est éternel, et que pour cette raison, il doit y avoir un mouvement qui ne s’arrête jamais, et donc quelque chose qui meut sans être mu, mais dont le principe doit être de mouvoir.

Ce qu’Aristote énonce ici, et que nous avons reconnu comme étant une présupposition sans argument démonstratif, à savoir qu’il existe quelque chose dont l’acte est de mouvoir tout en étant immobile, découle (« en effet ») de la nature même du premier déplacement. Il faut remarquer le changement de modalité dans l’énoncé. Alors qu’en premier lieu il s’agissait de déterminer une possibilité, celle de la cause finale à résider parmi les êtres immobiles, il s’agit à présent d’affirmer pleinement une existence, ce qui est rendu manifeste par la copule « être », laquelle sert à signifier qu’une proposition est vraie (troisième définition d’être dans le livre Delta).

Le premier mouvement a été reconnu comme étant nécessairement selon le lieu et non selon la substance, or l’éternité du mouvement nécessite qu’il n’ai pas d’arrêt, et cette possibilité est donnée par la circularité. Ceci a déjà été énoncé plus avant, « il n’y a de mouvement continu que dans le lieu, et encore faut-il que ce mouvement soit circulaire » (1071b). Cette proposition n’est pas démontrée dans la Métaphysique, mais dans la Physique (VIII, 8, 261b27, 264a). C’est en vertu du fait que le déplacement circulaire est le premier déplacement, dont le moteur immobile est le moteur, que ce dernier existe (« il y a quelque chose qui meut… ») et qu’il ne peut pas être autrement qu’il n’est (proposition précédente qui devait être prouvée (« en effet ») par ce développement). Cela signifie que le premier moteur immobile ne peut pas être contingent, et, de par la nature du mouvement de translation circulaire, il pourrait en être le sujet, si ce n’était pas lui qui le produisait. Le moteur immobile existe donc de par le fait qu’il produit le mouvement de translation circulaire. Car il n’aurait pas été en contradiction avec son essence qu’il soit sujet d’un tel déplacement, puisque ce dernier n’implique pas ni arrêt, ni changement qui aurait fait que le moteur immobile soit autrement qu’il n’est.

Il s’ensuit (« donc ») que cet être échappe à la contingence. Échapper à la contingence rend possible dans le système aristotélicien d’avoir une science de la chose observée. L’origine de l’impossibilité d’avoir une science du particulier, et seulement de l’universel, provient du principe d’indétermination introduit par la matière qui la rend inintelligible. C’est pour cette raison qu’il peut y avoir connaissance du particulier s’il est immatériel seulement, comme dans le monde supralunaire (Métaphysique, Z, 15). L’essentiel pour avoir connaissance d’une chose revient dont à devoir mettre en évidence sa nécessité. En plus d’en rendre possible la connaissance possible, la nécessité permet à Aristote de mettre en évidence des rapports d’identité : ce qui est nécessaire est « de la nature du beau », ou Tricot, « il est le Bien » (traduction qui omet cependant l’absence du kagathos, et par conséquent ne signifie que « beau », sans lien donc avec l’idéal de la conduite personnelle signifiée par le kagathos et induite dans la notion de Bien), et ce qui est nécessaire est « un principe » (Tricot, « il est principe du mouvement »). L’originalité du développement aristotélicien est à comprendre dans la perspective où, en distinction avec la démarche platonicienne, il fonde ici l’existence du bien et du beau par le lien qu’entretiennent choses mues et le moteur. C’est-à-dire qu’il ne fonde pas l’existence de principes par leur universalité, mais bien par leur nécessité. L’absence de distinction radicale entre le singulier et l’universel est le principe formulé par Aristote contre la théorie platonicienne des Idées, et il est fondé dans l’inséparabilité de la forme spécifique et de l’individu.

L’appartenance du moteur immobile à la nature du beau en fait un principe (« et, de cette manière »). Or, comment comprendre le lien qu’établit ici Aristote entre le fait qu’une chose appartienne au beau et qu’elle soit un principe ? On trouve un éclaircissement sur ce rapport dans Métaphysique, Delta, 1, 1013a22 : « pour beaucoup de choses le principe de la connaissance et du mouvement, c’est le Bien et le Beau ».

Et c’est en raison de la centralité du concept de nécessité qu’il sera l’objet d’un développement particulier à nouveau dans ce texte. Ce sont trois significations qui sont dégagées par Aristote dans ce passage. Le nécessaire au sens de contrainte et de force, en tant que condition du bien (boire le remède pour ne pas être malade), et en tant que « ce en vertu de quoi il est impossible qu’une chose soit autrement ». Cette dernière définition entre en résonance avec la première définition du nécessaire donnée dans le livre Delta, 5, et qui fait du nécessaire une condition par distinction de la cause : « ce sans quoi, pris comme condition, il n’est pas possible de vivre » (1015a). Comment comprendre l’absence ici de la définition finale proposée par Aristote dans le livre Delta ?

En effet, il la définit alors, « dans son sens premier et fondamental » comme ce qui a en soi la source de sa nécessité, ce à quoi il ajoute, « Si donc il y a des êtres éternels et immobiles rien ne saurait violenter ou contrarier leur nature » (1015b). Cette dernière définition permet de mettre en évidence que selon Aristote, la première définition donnée du nécessaire dans ce livre Lambda, à savoir, la contrainte et la force, ne peut pas appartenir à la nature du principe moteur immobile. Le rapport d’identité établi précédemment entre le moteur et le beau (« il est de la nature du beau ») permet également d’exclure la deuxième définition comme étant adéquate à l’entente de la nécessité propre au moteur. Effectivement, la deuxième définition le pose comme condition du bien, et non comme de même nature, ou identique au bien (traduction Tricot). C’est donc seul au sens de ce en vertu de quoi il est impossible qu’une chose soit autrement que le nécessaire est ici compris.

Il s’agit à présent pour Aristote de rendre raison du caractère divin de l’intellect. Après avoir établi la nature nécessaire du dieu, en tant que moteur immobile produisant un mouvement de translation uniforme et éternel car circulaire, Aristote cherche à rendre intelligible la nature de l’acte divin dans son rapport au plaisir, à l’intellection, et plus généralement par rapport à ce qui appartient en propre à l’homme. C’est l’occurrence du « pour nous » qui permet de voir que le point de vue adopté par Aristote est différent de celui de l’inférence de la nature nécessaire du moteur immobile par le rapport qu’entretiennent le mu, le moteur mobile et celui immobile.

Immédiatement, il n’est plus question du principe lui-même mais de ce qui en dépend : « D’un tel principe dépendent le ciel et la nature ». Le ciel correspond à l’espace supralunaire, et la nature à celui sublunaire. La nature est le nom donné à la matière investie du principe de mouvement (Métaphysique, Delta, 4, 1015a17). Le monde sublunaire est caractérisé en distinction à celui supra lunaire par son imperfection. Au-delà de leurs différences, les deux mondes sont pourtant dans un rapport de dépendance à la même chose, au principe qu’est le moteur immobile.

« …nous demandons : quel principe ? afin d’aboutir à une réalité plus connaissable » affirme Aristote en Métaphysique, Z, 16. Il semble que c’est suivant cette volonté de rendre plus connaissable qu’il développe une comparaison de « son genre de vie » avec le nôtre. Ce genre de vie, qui dans son terme grec signifie la contemplation du beau, la fin pratique et l’idéal de toute vie, est caractérisé par son excellence. La différence se situe dans la limitation de sa durée pour nous, alors que pour ce principe, il ne cesse pas : il est « toujours ainsi ». L’origine de cette uniformité dans l’excellence, Aristote la situe dans le fait que son acte soit aussi plaisir (« puisque »). Ce qu’énonce ici Aristote, c’est que le lien intime du plaisir et de la vie bonne est valable autant pour les hommes que pour la vie divine. On retrouve cette affirmation centrale également dans Ethique à Eudème, VII, 15, 1154b, Dieu, acte pur et pensée de la pensée, « jouit perpétuellement d’un plaisir un et simple ; car il y a non seulement une activité de mouvement, mais encore une activité d’immobilité, et le plaisir consiste plutôt dans le repos que dans le mouvement ». Il s’agit ici d’une théorie du plaisir qui se distingue de celui de Platon (République, IX, 584a), ou d’Aristippe pour lesquels le plaisir est un mouvement, une poursuite, alors que pour Aristote, il est dans la possession. L’importance de la possession apparaîtra à nouveau plus loin dans le texte alors que se posera la question du rapport entre la substance et l’intelligible.

Pour soutenir son propos selon lequel l’acte divin est aussi plaisir, Aristote affirme comme étant la conséquente, que pour nous, l’éveil, la sensation et l’intellection « sont les plus grands plaisirs ». Toutes ces modalités de la vie humaine ont pour caractéristique d’être en acte. Elles se distinguent d’autres qui, comme le sommeil, sont imparfaites, car seulement une autre activité en puissance. Il les distinguent ici des espoirs et des souvenirs, qui ont la particularité de n’être des plaisirs « que par leur intermédiaire ». Ainsi, il semble que par la médiation, ces modalités perdent en quantité de plaisir. Le terme « quantité » est certainement peu approprié au plaisir, en ce que la quantité se dit de ce qui est divisible, et qu’il est peu concevable que le plaisir soit divisible. Don cil y a un rapport de grandeurs différentes entre des plaisirs distincts.

La phrase suivante propose une articulation entre l’activité d’intellection et son objet : la forme particulière d’intellection qui est « par soi », et l’intellection « à son plus haut point », sont nécessairement intellection du meilleur. L’intellection par soi est cette activité non médiatisée, dont on a vu qu’elle perdait en grandeur de plaisir si elle était médiatisée, par exemple lorsqu’elle rentrait en action dans le souvenir. L’immédiateté est effectivement un des sens du « par soi » isolé par Aristote en Métaphysique, Delta 18,1022a. Ce qui n’était qu’une différence dans la grandeur du plaisir ressenti dans l’acte d’intellection se trouve être maintenant formulé selon la qualité de ce qui est intelligé. La complétude de l’activité qui se tient par elle-même et se réalise elle-même a donc nécessairement l’objet intelligible le meilleur. La notion « d’intellect par soi » est alors précisée par Aristote comme étant l’intellection par l’intellect de lui-même. L’objet de l’intellection ne semble plus être le même dans l’intellection par soi, puisque c’était le meilleur par soi, alors qu’à présent c’est l’intellect. C’est qu’Aristote décrit à présent ce qu’il faut entendre par l’acte qui est l’intellection par soi. Il apparaît alors une forme de médiation manifestement, en ce que « l’intellect a l’intellection de lui-même par… » quelque chose. Cette chose est « une saisie de l’intelligible », c’est-à-dire une saisie de ce que l’intellect peut saisir, il ne s’agit donc pas d’intellection du sensible par exemple. C’est donc lorsqu’il saisi ce qui est intelligible qu’il devient intelligible pour lui-même, ce qui amène Aristote à établir un rapport d’identité entre l’intellect et l’intelligible. On retrouve cette identité entre le sens percevant et lui-même dans la saisie du perçu, c’est-à-dire une forme de réalisation parfaite du sens dans l’acte de percevoir dans le De anima. L’origine de cette idée est (« En effet ») que le fait d’être en acte est ce qui confère son caractère divin à l’intellect. Il comporte sinon une forme d’incomplétude, ou tel qu’Aristote le formule : « cet acte, plus que la puissance, est ce que l’intellect semble avoir de divin ». Ainsi, l’intellect en puissance, c’est-à-dire sans saisi de l’intelligible n’est pas, ou moins, divin, c’est seulement en acte qu’il acquiert ce caractère. Il est étonnant qu’il puisse y avoir du plus ou du moins divin, de même qu’il l’est d’avoir plus ou moins de plaisir, si ces déterminations ont la caractéristique d’être parfaites ou en tout cas, l’expression d’une forme de perfection. Mais cette gradation dans la perfection même se retrouve régulièrement dans le développement d’Aristote.

Cette affirmation selon laquelle l’intellect est divin en acte, c’est-à-dire quand il se touche lui-même, permet d’affirmer que c’est dans la contemplation que le plaisir et le bien sont les plus grands. La conséquence en est l’admiration que doit susciter pour nous le divin, de par sa perfection et le plaisir qui sont chez lui au plus haut point et perpétuellement. Dans l’admiration il y a la reconnaissance d’une absence de commune mesure, alors même qu’il y a du semblable, ici dans l’actualité de l’intellect. Il en découle pour Aristote que Dieu est vivant. Vivre c’est principalement sentir et penser pour Aristote, et c’est pour cette raison qu’il est possible d’affirmer que Dieu est vivant. C’est seulement dans la mesure où l’intellection est une action immanente qu’elle est acte du parfait et peut être appelée mouvement, alors même que le mouvement est l’acte de l’imparfait. C’est ainsi qu’il est possible d’affirmer que la vie du Dieu est acte, en ce que l’acte n’est pas à comprendre comme une action transitive mais bien immanente, elle se réalise dans l’agent lui-même et non à travers une matière extérieure. Et puisqu’être en acte abolit toute forme de durée, d’un point de vue de la chose considérée, être en acte signifie être sans début ni fin, et donc de durée continue, c’est-à-dire éternel.

Ainsi, Aristote a fondé l’éternité, la vitalité et la qualité de meilleur du divin par l’actualité. C’est le fait qu’il ne soit que sur le mode actuel qui implique que le divin soit divin et qu’il n’ait ni début ni fin, alors même que les choses telles que le ciel et la nature dépendent de lui, et donc qu’il agit sur quelque chose. Ceci établi, Aristote peut répondre à des thèses contraires qui ont motivées la nécessité du développement de cette argumentation. Ceux qui ont conçu l’origine du beau et du parfait comme se trouvant dans des éléments (Métaphysique, Alpha, 3) ont commis une erreur qui cette fois est considérée du point de vue du niveau d’antériorité auquel ils se sont limité. L’antériorité est toujours sous un mode particulier au sens où il peut y avoir antériorité selon le lieu, le temps, le mouvement, la puissance, l’ordre, la connaissance, la nature, etc… (Métaphysique, Delta, 11). Les causes considérées en tant que ce d’où proviennent les choses sont les causes matérielles ou formelles, alors que la semence ou l’agent, « toutes ces causes sont comme des principes de changement ou d’arrêt » et à ce titre, sont des causes dites efficientes (Métaphysique, Delta, 2).

Or, selon les philosophes qu’Aristote récuse, le beau et le parfait ne se rencontrent que dans les êtres qui dérivent de causes. Et ils en concluent que le beau et le parfait ne se trouvent pas dans un principe autre mais sont dans les causes elles-mêmes. Cette thèse ne peut pas être soutenable selon Aristote, en ce que les causes efficientes, tel que la semence qu’il prend pour illustration, ne contiennent pas la perfection plus que ce qui est antérieur à la semence, par exemple, l’être dont elle provient. Cela lui permet de conclure que la perfection ne se trouve pas dans des êtres antérieurs, mais dans ce qui est parfait. Or, il a été démontré plus haut que ce qui est le plus parfait, c’est le dieu vivant et éternel, principe du commencement du mouvement. Ce dernier argument, qui se fonde sur l’expérience de la génération permet de rendre saisissable que l’origine de la perfection doive nécessairement se trouver dans ce qui est parfait, alors que les causes efficientes ne peuvent être parfaites, en ce qu’elles-mêmes proviennent d’autres êtres, qui eux sont parfaits. S’arrêter à une antériorité telle que la semence, ce n’est pas se donner les moyens de saisir la nature du principe, dans ce qu’il a de parfait, d’éternel, et d’immuable. Et par conséquent, c’est situer la perfection dans ce qui est générateur d’un mouvement et non du premier mouvement. Et à ce premier mouvement revient la perfection ainsi que les autres attributs isolés dans le développement.

Fiche de lecture: La formation de la pensée économique de KM, Mandel Ernest

Introduction à Marx

La formation de la pensée économique de Karl Marx, Mandel Ernest, 1970

Où se trouve l’origine de la théorie de la plus-value ? 3

En quoi consistent les Umrisse ? 4

Comment faut-il comprendre le rôle du prolétariat dans la transformation socialiste ? 5

2. De la condamnation du capitalisme à la justification socio-économique du communisme (1844) 5

En quoi consiste le concept d’aliénation dans les Manuscrits de 1844 ? 5

Qu’est-ce que la théorie du salaire et quand Marx la fonde-t-elle ? 7

Quel tournant marque l’IA ? 8

3.Du refus à l’acceptation de la théorie de la valeur-travail (1844-1847) 8

Dans quelle paradoxe manifeste s’ancre la critique de la notion de valeur ricardienne ? 8

Comment Marx élabore-t-il la théorie de la valeur-travail ? 9

Que fonde en droit l’analyse de la valeur-travail ? 9

Par quoi est déterminée la valeur de la marchandise ? Quel est son rapport au temps de travail ? 10

4.Une première analyse d’ensemble du mode de production capitaliste (1846-1848) 11

Comment naît et se développe historiquement le capital ? 12

D’où provient l’accumulation de richesse et que cela implique-t-il pour la condition ouvrière ? 12

5.Le problème des crises périodiques 13

Quelles sont les origines du mouvement révolutionnaire et comment s’articule-t-il aux crises de la surproduction ? 13

Quand est formulée pour la première fois l’idée d’appropriation des forces productives des moyens de production ? 14

6.Perfectionnement de la théorie de la valeur, de la théorie de la plus-value et de la théorie de la monnaie 14

En quoi consiste la définition du mode de production capitaliste ? 17

7.Les Grundrisse ou la dialectique du temps de travail et du temps libre 17

En quoi l’économie du temps diffère-t-elle de la mesure des valeurs d’échange (produits du travail) par le temps de travail ? 18

8.Le « mode de production asiatique » et les préconditions historiques de l’essor du capital 19

9.La mise au point de la théorie des salaires 20

10.Des Manuscrits de 1844 aux Grundrisse : d’une conception anthropologique à une conception historique de l’aliénation. 21

11.Désaliénation progressive par la construction de la société socialiste, ou bien aliénation inévitable dans la société « industrielle » ? 24

Tableau historique des œuvres de ME :

Umrisse (Esquisse d’une Critique de l’économie politique), rédigé fin 1843 par Engels

Lettre de septembre 1843 à Ruge, apparaît son dernier refus du communisme (MEGA, I, 1, 1, p. 574)

Critique de la philosophie du droit de Hegel en fin 1843 début 1844

—–

Les Manuscrits de 1844 (printemps et été) (Zur Kritik, 1er Manuscrit)

—– (Du refus à l’acceptation de la théorie de la valeur-travail) 44-47

La Sainte Famille, Fin août 1844 : rencontre avec Engels.

L’IA, fin 1845- début 1846 (fini à Bruxelles)

La Situation des classes laborieuses, 1845

—–(Une première analyse d’ensemble du mode de production capitaliste) (46-48)

Misère de la philosophie, 1846-1847

Travail salarié et capital : Série d’articles parus dans la Neue Rheinische Zeitung en 1849 qui sont la reproduction de conférences que Marx avait tenues en 1847 devant l’association ouvrière de Bruxelles.

Arbeitslohn, 1847

Grundsätze des Kommunismus : Ecrit pas Engels entre le 13 et 27 otobre 1847 pour la section parisienne de l’Association des Justes.

Manifeste Communiste, novembre 1847.

—– 1848 Le problème des crises périodiques

1852-1856 : Marx doit renoncer à ses études économiques.

Grundrisse : Septembre 1857, début rédaction jusqu’en 58

Zur Kritik der politischen Ökonomie, 58-59 

Theorien über den Mehrwert, 62-63

Le Capital, 1867, préface à la première édition

Préface à l’édition française : 18.03.1872

Postface à la deuxième édition, 1873

1875 : Avis au lecteur, Edition française

1875 : Critique du programme de Gotha

Avertissement à la troisième édition allde, par Engels, 1883

Préface à l’édition anglaise, Engels, 1886

Note sur la troisième édition allde, Engels, 1890

Préface de 1892 à la « Situation de la classe laborieuse en Angleterre »

1842-1844

En 1842, s’ils divergent, Engels de son côté concluant deux articles sur la prédiction de deux révolutions, l’une bourgeoise en Prusse et l’autre, sociale en Angleterre, et Marx, rejetant encore le communisme, les deux abordent le socialisme scientifique déjà par le même biais :

-critique de la conception néo-hégélienne de l’Etat

-découverte de l’existence des classes sociales

-analyse des effets inhumains de la concurrence et de la propriété privée

Trajectoire pensée similaire, un mouvement critique allant de :

Religion > philosophie > Etat > société > politique > économie politique > propriété privée

L’aspect théorique dominera chez Marx pour aboutir sur la Critique de la philosophie du droit de Hegel en fin 1843 début 1844. Alors que pour Engels, c’est l’aspect pratique qui dominera, la critique de la société bourgeoise anglaise.

Où se trouve l’origine de la théorie de la plus-value ?

Marx considère, comme Hegel, que l’Etat devrait être « la réalisation de la liberté ». Mais il remarque déjà dans ses articles sur le vol de bois, que l’Etat qui devrait être l’incarnation de l’intérêt général semble agir dans le seul intérêt de la propriété privée « et pour ce faire, viole non seulement la logique du droit mais encore des principes humains évidents » (MEGA, I, 1, 1, pp. 281-2). C’est dans une disposition pénale qu’il pressent sa théorie future de la plus-value : cette disposition attribue au propriétaire le travail du voleur pour compenser ses pertes : travail non rétribué est source des pourcentages, cad, de l’intérêt, cad, du profit (Ibid, 289-297).

Entre 1842 et 1844, le début de ses études d’économie politique à Paris, il fera le bilan de deux mouvements, la philosophie hégélienne et le socialisme utopique. Il tentera d’opérer un dépassement, au sens dialectique : tout ce qui est valable dans les positions passées reste conservé dans les positions nouvelles.

La question sociale : Découverte que « l’état du travail immédiat », cad, que la masse de ceux qui ne possèdent rien, constitue la précondition pour l’existence de la société bourgeoise (ibid, p.498). Oppose à cette pauvreté artificielle la jouissance en tant que but véritable de l’humanité Ceci constitue le conflit de l’Etat politique avec lui-même, d’où l’on peut partout déduire la vérité sociale » (Lettre à Ruge, ibid, p. 574). Dans la critique de la théorie et pratique du droit : propriété privée est « source de toute injustice », pourtant toujours pas « communiste ». Dans cette lettre de septembre 1843 à Ruge, apparaît son dernier refus du communisme. Mars 1844 : première profession de foi communiste. On peut, comme le fait Auguste Cornu (K. Marx und Friedrich Engels, tome II) mettre l’accent dans cette évolution sur le milieu socio-historique de Marx ou encore, comme Thier (Das Menschenbild des jungen Marx) sur l’influence de Moses Hess. L’auteur identifie plutôt le premier facteur comme étant déterminant : étude de la Révolution française, climat global de la société française sous Louis-Philippe, effervescence des idées progressistes, activités des sectes socialistes, premier contact avec la classe ouvrière.

Premier article sur la question juive : se propose d’examiner rapports entre émancipation politique et émancipation humaine. Conclusion de sa critique des théories politiques constitutionnelles. Joint alors l’argent à la propriété privée comme source de l’aliénation humaine (MEGA, I, 1, 1, pp.583-4, 603). Découvre aussi le prolétaire comme incarnation de l’humanité aliénée. Dans L’Introduction à la Critique de la philosophie du Droit, ce prolétariat sera l’auteur de son autoémancipation, et de celle de l’humanité. « La théorie devient elle-même une force matérielle lorsqu’elle se saisit des masses » (Introduction, Il est évident que l’arme de la critique ne saurait remplacer la critique des armes ; la force matérielle ne peut être abattue que par la force matérielle ; mais la théorie se change, elle aussi, en force matérielle, dès qu’elle pénètre les masses.).

L’autoémancipation des masses par la révolution du prolétariat reste encore imprégnée d’un certain humanisme sentimental hérité de Feuerbach, dont l’homme est abstrait conçu en dehors des conditions sociales concrètes. Suivant Feuerbach donc, pour Marx, si le prolétariat est le cœur de l’émancipation, la philosophie en est la tête, il ne le saisit pas encore comme fondement lui-même de sa capacité émancipatrice. Encore un communisme essentiellement philosophique, où il n’est pas encore saisi qu’un certain degré de développement des forces productives et de la réalisation de certaines conditions matérielles sont indispensables à la réalisation du communisme.

Engels dans son article fin 1843, début 1844, dans la revue The New Moral World de Owen, nécessité d’une révolution du système social : Anglais par la pratique, Français, politiquement, Allemands, en raisonnant sur les principes premiers.

Les deux de manière presque simultanée ont formulé que la suppression de la propriété privée était la base de la révolution sociale prolétarienne (articles dans le New Moral World, et de l’autre, Dans l’introduction à la Critique de la philosophie du Droit de Hegel).

En quoi consistent les Umrisse ?

-Esquisse d’une critique de l’économie politique (1843-44), (Umrisse) première œuvre économique de ME (par E). Rien de nouveau dans la critique, mais dépasse Owen, Proudhon et Fourier par application de la dialectique hégélienne à la réalité sociale. Conception reste cependant prisonnière des conceptions moralisatrices idéalistes : Emile Bottigelli, Genèse du socialisme scientifique, 1967, condamnation morale du commerce, de la concurrence, comme « provoquant la méfiance générale », « utilisant des moyens immoraux pour atteindre un but immoral » (MEGA, I, 2, p. 383).

-Critique du mercantilisme et de la théorie du libre-échange : Hypocrisie de la doctrine du libre-échange : que celui-ci est fondé sur un monopole, celui de la propriété privée, et que libre concurrence conduit forcément au monopole. Deuxième partie : critique faible de Ricardo. : arrive à la conclusion que la valeur intrinsèque inclut les coûts de production et l’utilité. Critique de la loi de l’offre et de la demande qui semble se comporter comme une loi de la nature. Se finit sur la critique de la loi de population de Malthus, approfondissement de la critique du capitalisme par Fourier, qui sera étayée dans la situation de la classe laborieuse. Erreurs : conception du salaire ouvrier réduit aux simples moyens de subsistance.

-Critique de Malthus : erreur de comparer l’accroissement de la population à l’accroissement de la production naturelle du sol, il faudrait plutôt le comparer à l’accroissement potentiel de la productivité agricole qui résulterait de l’applicaiton efficace de la science et de la technique modernes à l’agriculture.

-Dans cet article se rejoignent la critique de la propriété privée et du capitalisme : « la division entre le Capital et le Travail résulte inévitablement de la propriété privée », d’où s’ensuit division en classes antagonistes.

La Situation des classes laborieuses : 1845. Pas encore sur le terrain du matérialisme historique, indignation morale plus que la compréhension du processus historique le traverse ; « la lutte réelle du prolétariat constitue le seul véhicule possible du socialisme ». Rupture définitive avec le socialisme utopique.

Pouvoir social objectif : capacité d’assurer ou de paralyser la production dans son ensemble

Engels sur l’IA : « La partie achevée consiste en un exposé de la conception matérialiste de l’histoire, qui démontre seulement combien nos connaissances en matière d’histoire économique étaient encore incomplètes à cette époque » (« Ludwig Feuerbach und der Ausgang der klassischen deutschen Philosophie », Avant propos, p.334 Ausgewählte Schriften in zwei Bänden, II, Moscou 1950).

Comment faut-il comprendre le rôle du prolétariat dans la transformation socialiste ?

Les deux erreurs que font les sociologues et les économistes concernant le rôle du prolétariat en tant que véhicule de la transformation socialiste :

-ils présupposent chez Marx un déterminisme automatique entre le degré de développement industriel et le degré de développement de conscience de classe. Ceci reste à prouver, il faut démontrer que les facteurs tels que la concurrence internationale, l’érosion du monopole, avantages de salaires afférents, ne modifieront pas le comportement prolétariat.

-ils considèrent le développement de la conscience de classe, les conditions subjectives pour le renversement du capitalisme de manière rectiligne. Les condition ssubjectives et objectives au renversement du capitalisme suivent plutôt une courbe influencée par les fluctuations du cycle industriel (voir chap V). Il s’agit de savoir si périodiquement les conditions obj et subj poussent à une contestation d’ensemble.

La préface de 1892 à la « Situation de la classe laborieuse en Angleterre » montre qu’EM ont saisi « les rapports dialectiques entre le degré de développement des forces productives et le degré de développement de la conscience de classe » (24).

2. De la condamnation du capitalisme à la justification socio-économique du communisme (1844)

Les Manuscrits de 1844 marquent une étape dans l’évolution de la pensée économique de Marx. Il y est question successivement de salaire, de profit, de la rente foncière, du travail aliéné en rapport avec la propriété privée, de la propriété privée en rapport avec le travail et le communisme, des besoins, de la production et de la division du travail, de l’argent.

En quoi consiste le concept d’aliénation dans les Manuscrits de 1844 ?

Aliénation : Concept emprunté à Hegel, Schelling et Feuerbach. Dans Theorie und Praxis pp.154-6, Habermas remarque que le dépassement matérialiste de la dialectique du travail avait été pressenti par Schelling : « l’être étranger auquel appartient le travail et le fruit du travail ».

Caractère entièrement philosophique de ce concept perdu dans l’Introduction à la Critique de la philosophie du droit de Hegel. Glissement vers une problématique politique, sociale, que l’on peut traduire par le passage de l’interprétation de l’homme au monde à l’homme à la société. « L’homme aliéné n’est plus l’individu rivé à un univers de rêve religieux ou spéculatif, mais le membre d’une société imparfaite qui n’est pas en possession de toute sa dignité humaine. L’homme dans un monde déshumanisé, c’est maintenant l’homme dans une société déshumanisé » (Paul Kaegi, Genesis des historischen Materialismus, 1965, p.194-5). Mais la raison pour laquelle cette société est déshumanisée est dévoilée dans les Manuscrits de 1844 : « La société est inhumaine parce que le travail y est un travail aliéné » (29). Grâce à l’identification par Hegel de l’essentiel de la praxis humaine au travail, il n’y avait qu’un pas à faire pour Marx afin d’y « ramener » également la société et l’homme social. Or, la lecture des économistes a montré à Marx que selon eux, celui-ci constitue la source dernière de la valeur.

Partie la plus célèbre des Manuscrits : analyse des racines socio-économiques de l’aliénation. Parallèle dressé entre travail aliéné dans le capitalisme et l’homme aliéné par la religion. « Plus l’ouvrier travaille, plus il crée un monde d’objets qui lui sont hostiles et l’écrasent ». Auparavant, Marx avait identifié l’aliénation à la prorpiété privée (VOIR OU), alors que là, ses racines sont dans le travail aliéné : division du travail et de la production marchande. Le point de départ historique de l’aliénation est la division du travail, mais cela n’empêche pas qu’ensuite, propriété privée, division et production marchande soient trois variables en constante interaction.

L’aliénation n’est pas limitée à l’aliénation du produit du travail et des moyens de production, elle est également envisagée sous l’angle de l’aliénation des besoins : « Chaque homme spécule pour créer un nouveau besoin pour autrui, et pour l’obliger à de nouveaux sacrifices, pour lui imposer un nouveau rapport de dépendance, et pour le séduire à un nouveau mode de jouissance, et de ce fait, à la ruine économique…chaque nouveau produit est un vouvel élément potentiel de tromperie réciproque et de pillage mutuel ». (OU ???????). Ceci, c’est l’aspect inhumain du développement de la division du travail, qui amène à une spécialisation outrancière, provoquant une rupture dans la communication. Cette critique se retrouve dans l’IA, « alors que dans la société communiste, où chacun n’a pas un cercle exclusif d’activité, mais où chacun peut se qualifier dans chaque branche désirée. C’est dans la division du travail que le travail aliéné possède sa véritable origine. Etre aliéné c’est avoir un cercle exclusif d’activité, ne pas l’être c’est donc soit de n’avoir pas de cercle d’activité ou un cercle non-exclusif, une absence de limitation dans la pratique des activités, un nomadisme praxique caractérise la forme non aliénée du travail humain.

Communisme philosophique devient sociologique : fondé sur une analyse de l’évolution des sociétés et de sa logique.

Dans Zur Kritik der Nationalökonomie (1er Manuscrit) : Marx toujours partisan de la critique positive, humaniste et naturaliste de Feuerbach. Dans les Manuscrits, c’est un humanisme qui reçoit un contenu socio-économique précis : identifié au communisme qui dépasse propriété privée, division du travail et travail aliéné. Distinction dans Zur Kritik der Nationalökonomie entre communisme primitif et communisme en tant que dépassement positif de la propriété privée. Le deuxième propose un dépassement positif de toute aliénation, donc le retour de l’homme, de la religion de la famille, de l’Etat, vers sont être humain, cad, social (p.128). Double présupposé : socialisation des moyens de production, suppression de la propriété privée et un degré de développement élevé des forces productives. Ce double présupposé marque un progrès remarquable avec les textes antérieurs, et ceux des socialistes utopiques. Sera développé davantage dans l’IA, mais idées déjà présentes chez le suisse Schulz.

Zur Kritik : commence avec critique de la pauvreté provoquée par la propriété privée. Ce point de départ se distingue de celui adopté dans tous les ouvrages classiques d’économie politique qui partent d’une analyse de la richesse créée par la production des marchandises. Marx reprendra ce point de départ dans Le Capital. Dans Zur Kritik, la pauvreté produite par la propriété privée vient tout droit du salaire et de ses lois d’évolution.

Qu’est-ce que la théorie du salaire et quand Marx la fonde-t-elle ?

La théorie du salaire de Marx commence dans les Manuscrits de 1844, il se fonde sur la théorie classique Smith-Ricardo-Malthus. Le salaire a tendance à tomber au niveau de subsistance le plus bas. Mais cela ne provient pas, à la différence de Malthus-Ricardo, d’une loi de l’accroissement de la population, mais de la séparation des ouvriers et de leurs moyens de production.

Cette « loi » des salaires se développe en trois mouvements divergents lors des phases du cycle économique :

Dépression : baisse sous effet du chômage (l’armée industrielle de réserve), grande misère

Boom : demande de main d’œuvre dépasse offre, concurrence entre capitalistes accentuée, augmentation des salaires, phase favorable aux ouvriers. Nombre de capitalistes décroît, nombre d’ouvriers augmente, le capital s’accumule et se concentre. Extension du machinisme, réduction de l’ouvrier à l’état de machine animée, la machine rentre en concurrence avec lui. Mais surproduction amenant au chômage et donc baisse des salaires. – > augmentation de salaires exclusivement provisoires, et devant être effacées par logique du système. Schéma modifié 10 ans plus tard.

Expansion maximum de l’accumulation des capitaux : salaires stationnaires, à un niveau bas, thèse textuellement reprise de Ricardo.

Loi de la paupérisation relative : reprise de Schulz dans Die Bewegung der Produktion : les marchandises dont le salaire doit réaliser le valeur peuvent connaître baisse de valeur rapide ayant pour origine l’accroissement de la productivité, cad, la contre valeur du salaire peut être produite en un temps plus court.

Pas encore distinction entre capital constant et capital variable, encore même distinction que Smith entre capital fixe et capital circulant.

Ecueil des Manuscrits : Le problème de la valeur et de la plus-vale n’est pas réglé, cad, qu’il n’a pas encore saisi ce qui’il y avait de rationnel dans la théorie classique.

La Sainte Famille :

Encore conception éclectique de la valeur, correspondant à celle des Umrisse :

p.128, edition Mehring : « La valeur est au début apparemment déterminée de manière rationnelle par les oûts de production d’une chose et par son utilité sociale. Par après, il s’avère que la valeur est une détermination purment accidentelle, qui n’a pas nécessairement de rapports ni avec les coûts de production ni avec l’utilité sociale. »

Passages sur Proudhon : déclenchent une polémique deux ans plus tard, qui permettra à Marx d’exposer l’ensemble du mode de production capitaliste. « Proudhon reste encore prisonnier des hyptohèses de base (Voraussetzungen) de l’économie politique qu’il combat. »

Dépassement du point de vue erroné de Engels dans les Umrisse sur les rapports entre salaires et profits. Ces deux revenus se rapportent de manière hostile l’un à l’autre.

Quel tournant marque l’IA ?

IA : Reprise au niveau économique de ce qui est dit dans Zur Kritik, mais avec précisions comme :

-Division du travail comme source aliénation humaine

-« Le communisme n’est pas un idéal sur lequel la réalité doit se remodeler. Nous appelons communisme le mouvement réel que dépasse la situation actuelle. »

-Que sous le poids des contradictions capitalistes, les forces productives deviennent forces de destruction.

Dans l’IA, trois apports réels à la progression :

-vue plus dialectique du capitalisme et du commerce mondial (premiers signes dans Zur Kritik). La généralisation des rapports marchands n’est pas que mutilation généralisée des individus, mais aussi un enrichissement potentiel pour eux, en ce que leurs possibilités alors limitées à l’ignorance provenant de leur existence locale, s’ouvre au possible d’autres hommes dans d’autres régions.

-développement unviersel des besoins humains préparé par l’industrie, et devant être réalisé par le communisme. Rapport de l’homme avec les choses, nuancé car pensé dialectiquement. Dans Les Manuscrits de 44, ce rapport est pensé exclusivement négativement, dans l’IA, développement de toutes les possibilités humaines implique développement universel de ses jouissances, aussi dans les Gundrisse).

-Mode de distribution de la société future : à chacun selon ses capacités devient à chacun selon ses besoins. Répété dans la Critique du programme de Gotha.

C’est à partir de l’IA que les deux compères établissent le lien qui deviendra inéluctable entre aboliton de la production marchande et avènement de la société communiste. Toute théorie politique laissant subsister production marchande sont étrangères à théorie marxiste.

Où trouve-t-on la première définition du matérialisme historique ? Comment, et en quelles grandes étapes se développe-t-elle ?

-Définition du matérialisme historique (déjà une dans l’Introduction à la Critique de l’Eco pol)

3.Du refus à l’acceptation de la théorie de la valeur-travail (1844-1847)

L’évolution de la pensée de Marx passe d’une rejet à l’acceptation de la théorie de la valeur-travail, c’est ce qui constitue selon l’auteur, le reflet de l’attitude de Marx à l’égard de l’école classique. Entre 1844 et 1847 se change radicalement sa position sur la théorie de la valeur-travail. Plus ou moins explicitement rejetée dans sa version classique (notes critiques à sa première étude systématique de l’économie pol, MEGA, I, 3, pp.409-583) puis acceptée trois ans plus tard dans La Misère de la philosophie.

Dans quelle paradoxe manifeste s’ancre la critique de la notion de valeur ricardienne ?

Ce qui choque Marx dans sa première rencontre avec Ricardo et l’école classique, c’est l’opposition apparente entre les effets de la concurrence (fluctuations des prix suivant jeu offre/demande) et la stabilité relative de la « valeur d’échange », déterminée par quantité de travail nécessaire à la production. Mais imprégné de dialectique, il se demande si c’est bien ce qui est apparent qui est vraiment l’expression la plus directe de la réalité, l’abstraction ne renfermerait-elle pas une vérité en définitive beaucoup plus concrète que l’apparence ?

Apparemment, les prix du marché varient constamment, MEGA, I, 3, p.531 : « La véritable loi de l’économie politique, c’est le hasard, du mouvement duquel nous, les savants, fixons arbitrairement quelques moments sous forme de lois. ». Si prix de vente tombe en dessous coûts de production : fabricant est éliminé de la concurrence ; si ce prix s’élève trop fortement au dessus des coûts de production, surprofit pour le fabricant, et donc, concurrents supplémentaires, surproduction temporaire et donc, rebaisse des prix. LES COUTS DE PRODUCTION S’AVERENT ETRE EMPIRIQUEMENT L’AXE DES FLUCTUATIONS DES PRIX.

Passage copié de La Richesse des Nations : « Ce n’est point avec de l’or ou de l’argent, c’est avec du travail que toutes les richesses du monde ont été achetées originairement, et leur valeur, pour ceux qui les possèdent et qui cherchent à les achanger contre de nouvelles productions, est précisément égale à la quantité de travail qu’elles les mettent en état d’acheter ou de commander. (Rich.des Nat., I, pp.60-61, MEGA, I, 3, p.458). Cependant, pas de notes critiques sur ce passage, seulement avec Ricardo que commence polémique contre la théorie de la valeur-travail.

Ricardo n’intègre pas dans la détermination de la valeur la demande. Il réduit la loi de l’offre et de la demande à deux phénomènes de concurrence : la concurrence entre fabriquants qui détermine l’offre et celle des consommateurs qui détermine la demande. Mais cette dernière « se dissout en pratique dans des considérations sur la mode, les caprices et le hasard » (MEGA, I, 3, p.493). Valeur des marchandises (encore =prix) pour M vient : apport de travail + prix des matériaux.

Comment Marx élabore-t-il la théorie de la valeur-travail ?

Contre la théorie de la valeur-travail, plus fondamental : l’écopol doit faire abstraction de la concurrence. POURQUOI ? Les lois de l’écopol réclament pour avoir une cohésion, de considérer le réel comme accidentel, et les abstractions comme ayant plus de réalité. Critique de la valeur du travail dans la théorie ricardienne en ce qu’elle réduit celle-ci à la subsistance de l’ouvrier, en excluant d’autres besoins, et ceci afin d’entériner les distinctions de classes.

Que fonde en droit l’analyse de la valeur-travail ?

Critique de la politique et de l’économie politique : ouvrage jamais paru et dont le manuscrit est perdu, Engels le presse le 20 janvier 1845 à finir cet ouvrage, pour lequel il conclut un contrat le 1er février avec l’éditeur C.W. Leske. Il commence à être rédigé vers la fin de la rédaction de La Sainte Famille. Voyage de six semaines en Angleterre, nouvelle rencontre systématique avec l’écopol. Découverte de l’usage social-révolutionnaire que des écrivains socialistes anglais font de la théorie valeur-travail et de leur critique de Ricardo. T.R. Edmonds, William Thompson (MEGA I, 6, pp.597-622). Critique plus tard par Marx de l’analyse de la valeur-travail comme ce qui créé un « droit de l’ouvrier à tout le produit de son travail ».

L’homme d’affaire et malthusien John Cazenove dira de la théorie ricardienne de la valeur-travail en 1832 : « Que le travail soit la seule source de richesse, voilà ce qui semble être une doctrine aussi dangereuse que fausse, puisqu’elle fournit malheureusement un levier à ceux qui cherchent à représenter toute propriété comme appartenant aux classes laborieuses, et la part reçue par d’autres comme du vol ou une fraude à l’égard des ouvriers » (cité dans Ronald L. Meek, Studies in the Labour Theory of Value, 1956, p.124). Marx gagnera un point de vue bien plus favorable à l’égard de la théorie de la valeur-travail.

Par quoi est déterminée la valeur de la marchandise ? Quel est son rapport au temps de travail ?

Juillet 1845 : encore une certaine neutralité vis-à-vis de cette théorie témoigné par des notes de lecture de Babbage. C’est dans l’IA (début 1846) qu’apparaissent deux passages précis marquant l’acceptation de cette théorie : « dans le cadre de la concurrence le prix du pain est déterminé par les coûts de production et non par le bon vouloir des boulangers » (critique à Stirner) (p.388) et p.420, « Et même en ce qui concerne la monnaie métallique, elle est déterminée purement par les coûts de production, c’est-à-dire par le travail ».

C’est par une analyse concrète des tendances d’évolution historiques des rapports entre l’offre et la demande dans le mode de production capitaliste dans leur lien avec le natural price de Ricardo qu’est mis en évidence le fait que la valeur n’est pas déterminée par des lois du marché mais par des facteurs immanents à la production elle-même.

C’est donc par un détour par les études historico-philosophiques que ME en sont arrivés au point de départ de la théorie classique de la valeur-travail pour la reformuler : le travail (abstrait) est l’essence de la valeur d’échange, parce que dans une société fondée sur la division du travail, il constitue le seul tissu conjonctif permettant de comparer mutuellement et de rendre commensurables les produits du travail d’individus séparés les uns des autres.

Dans Misère de la philosophie : Marx ricardien. Il le cite dans sa théorie concernant la détermination de la valeur ou du prix naturel par les frais d’entretien des hommes (p.23-24). Mais au même moments séparation avec Ricardo dans lettre à Annenkov du 28 décembre 1846 : les économistes bourgeois font l’erreur de voir des catégories éternelles dans ce qui ne sont que des lois pour un certain développement historique, pour un développement déterminé des forces productive (in Briefe über das Kapital, p.22). En saisissant au travers du matérialisme historique le noyau rationnel de la théorie de la valeur-travail, c’est le caractère historiquement limité de toute loi économique qui est simultanément mis en évidence. Autrement dit, c’est un rapport social qui s’applique en dernière analyse à toutes les catégories économiques.

Dans le Capital : ce sera le temps de travail qui sera le critère de la répartition des produits dans une société socialiste, à l’opposé de la répartition par l’échange fondée sur le travail et la propriété privée. Le refus est radical pour Marx d’identifier la valeur d’échange comme expression indirecte de la comptabilité du temps de travail. Lors du remplacement de la propriété privée par les producteurs associés (société coopérative), la production marchande cessera pour faire place à une comptabilité directe en heures de travail :

« Le producteur reçoit donc individuellement – les défalcations une fois faites – l’équivalent exact de ce qu’il a donné à la société. Ce qu’il lui a donné, c’est son quantum individuel de travail. Par exemple, la journée sociale de travail représente la somme des heures de travail individuel; le temps de travail individuel de chaque producteur est la portion qu’il a fournie de la journée sociale de travail, la part qu’il y a prise. Il reçoit de la société un bon constatant qu’il a fourni tant de travail (défalcation faite du travail effectué pour les fonds collectifs) et, avec ce bon, il retire des stocks sociaux d’objets de consommation autant que coûte une quantité égale de son travail. » (Critique du programme de Gotha, 1875, p.5)

« D’un côté, sa distribution dans la société règle le rapport exact des diverses fonctions aux divers besoins; de l’autre, il mesure la part individuelle de chaque producteur dans le travail commun et en même temps la portion qui lui revient dans la partie du produit commun réservée à la consommation. » (Le Capital, t. I. p. 90).

Il ne faut pas comprendre que Marx affirme que le temps de travail détermine la valeur, et que donc tout travail social vivant prendrait nécessairement la forme de travail abstrait créant de la valeur (Milentije Popovic), mais le socialisme ne vise pas à humaniser la production marchande, mais bien la supprimer. Misère de la philosophie, p.44 : « La détermniation de la valeur par le temps de travail, c’es-à-dire, la formule que M. Proudhon nous présente comme celle qui devrait régénérer l’avenir, n’est que l’expression scientifique des rapports économiques de la société actuelle… ».

4.Une première analyse d’ensemble du mode de production capitaliste (1846-1848)

Entre fin 46 et début 48, quatre ouvrages rédigés par ME : Misère, Grundsätze des Komm (Engels), Travail salarié et Capital (M), Manifeste : plus une vue partielle de la société bourgeoise axée sur misère du prolétariat. Plutôt une vision qui examine lois d’apparition du capitalisme, ses mérites historiques (celui d’avoir par exemple rendu possible la suppression de toutes les classes, grâce à l’essor des forces productives), assise du mouvement ouvrier et communiste sur la base scientifique du matérialisme historique (premier exposé du matérialisme historique dans Misère de la philosophie, Otto Ruhle). D’un point de vue économique, ces trois ouvrages convergent, pour constituer un ensemble.

Lors de cette phase s’effectue la synthèse de la sociologie et de la science historique fondée sur la synthèse de la méthode logique dialectique et historique. Ce type de synthèse a récemment à nouveau été tentée par Talcott Parsons. « Dans le cadre d’une sociologie hautement formalisée, et d’une théorie générale de l’action, il traite l »cnonomie comme un cas spécial d’un système social, spécialisé dans l’accroissement de l’adaptabilité du système plus large » (Economy and Society, 1957, p.6-7, 21.). Mandel comprend cette tentative comme un échec : 1) caractère a-historique 2) incapacité à comprendre la nature contradictoire de tout système social 3) tendance apologétique par rapport à la réalité du capitalisme contemporain. Simple généralisations de traits essentiels d’une économie capitaliste.

Au cœur de cette période se trouve Misère de la philosophie, critique à Proudhon, par exemple, pp.34-38, démontre l’erreur de Proudhon de lier l’intensité du besoin physique et l’accroissement de la productivité du travail qui fabrique les marchandises devant satisfaire ce besoin. Liens avec Proudhon : Passe par une admiration sincère (ouvrier autodidacte au style hardi), puis une déception profonde, car Proudhon ne le suit pas dans une appropriation critique sérieuse de l’économie politique classique, puis vingt ans plus tard, un jugement plus serein qui maintient tout de même une critique des thèses erronées de Proudhon.

Misère de la philosophie est un ouvrage qui présente pour la première fois une vue d’ensemble des origines, du développement, des contradictions et de la chute future du régime capitaliste. La ligne critique qui consiste à combattre la mystification qui consiste à créer des catégories immuables proclamant éternel l’état des choses commencée avec Hegel est conservée par Marx dans sa critique de Proudhon.

Travail salarié et capital : Série d’articles parus dans la Neue Rheinische Zeitung en 1849 qui sont la reproduction de conférences que Marx avait tenues en 1847 devant l’association ouvrière de Bruxelles. Dans cet ouvrage Marx tend vers l’essentiel de sa théorie de la plus-value, sans utiliser ce terme et sans être précis. « L’activité productive de l’ouvrier non seulement restitue ce qu’il consomme, mais donne au travail accumulé une valeur plus grande que ce qu’il possédait auparavant ».

Grundsätze des Komm : Ecrit pas Engels en le 13 et 27 otobre 1847 pour la section parisienne de l’Association des Justes. Manifeste Communiste, en novembre 1847.

Comment naît et se développe historiquement le capital ?

Origine du capital : dans l’accumulation des capitaux facilitée par la découverte de l’Amérique et l’importation en Europe de ses métaux précieux qui provoqua chute des salaires et des rentes foncières féodales et une hausse des profits. Chute des rentes foncières provoque des « licenciements » de personnel dans la noblesse, de nombreux mendiants, apparaissent et sont embauchés dans les manufactures (remarqué par Hegel). Manufactures crées par les commerçants, non par des artisans. Le mode de production ainsi né représente avant tout de nouveaux rapports de production sociaux (Misère de la phi, p.117). Effectivement, le capital est un produit commun qui ne peut être mis en mouvement que par l’activité commune de beaucoup de membres. Ce qu’ont saisi ME c’est que ce nouveau mode de production a une nature profondément révolutionnaire. C’est même un hymne qui est chanté à l’époque bourgeoise dans le Manifeste Communiste : « La bourgeoisie ne peut exister sans boulverser constamment de manière révolutionnaire les instruments de travail, donc les rapports de production, donc tous les rapport sociaux ». « Les prix bon marché de ses marchandises sont l’artillerie lourde, avec laquelle elle fait s’écrouler des murailles de Chine, avec laquelle elle amène à la capitulation la xénophobie la plus tenace des barbares…elle les oblige à introduire chez elles la soi-disant civilisation, c’est-à-dire à devenir bourgeoises » (Grundsätze, p.206, mais aussi dans les Grundrisse, p.311-313).

D’où provient l’accumulation de richesse et que cela implique-t-il pour la condition ouvrière ?

Ces descriptions ne font que mieux souligner les contradictions que le capitalisme produit en même temps, car il s’y développe le prolétariat. La concentration de la misère provient d’une concentration de richesse sociale. Cette richesse a pour élément de base la marchandise.

La valeur de la marchandise est déterminée par le temps de travail nécessaire à sa production.

Entre 46-48 : pas encore de distinction entre temps de travail socialement nécessaire et temps de travail tout court. Pas de distinction non plus entre force de travail et travail, nommé « vente de travail », « prix du travail ». Corrigé fin 1850 dans les Grundrisse et les Theorien über den Mehrwert.

Or, travail a été transformé en marchandise, la seule chose que les prolétaires possèdent c’est cette force qu’ils doivent vendre pour obtenir des moyens de subsistance. La valeur de cette marchandise (encore natural price ricardien en 1847) sera déterminée par la quantité de travail nécessaire à sa production, cad, à celle de ses moyens de subsistance, pour maintenir en vie « l’espèce des prolétaires » (Elend der Phi, p.24-25). Le niveau du salaire dépend du rythme d’accumulation des capitaux (« Arbeitslohn, Kleine ökonomische Schriften, pp.231-232).

Thèse admise encore à cette époque par EM : loi générale de la baisse des salaires à long terme. Définie dans Arbeitslohn et Travail salarié et capital : au cours de l’évolution le salaire ouvrier tombe dans un double sens : premièrement, relatif, en rapport avec le développement de la richesse générale, deuxièmement, absolu, la quantité de marchandises que l’ouvrier reçoit en échange devient de plus en plus réduite. Ce phénomène est provoqué par la concurrence entre les ouvriers qui augmente constamment, mais aussi les impôts et les tromperies de commerçants. Théorie de la paupérisation absolue et relative.

Loi de l’accumulation du capital élaborée sur la base de l’idée de l’économiste John Barton. Loi qui découle « de la nature des rapports entre Travail et Capital » : « au cours de la croissance des forces productives la partie du capital productif, qui est transformée en machines et matières premières, cad, le capital entant que tel, croît en une proportion plus forte que la partie (du capital) qui est destinée aux salaires, cad en d’autres termes : les ouvriers doivent se partager, par rapport au capital productif dans son ensemble, une partie toujours plus petite de celui-ci. La concurrence en devient d’autant plus violente. » (Arbeitslohn, Kleine ökonomische Schriften, p.242). Mandel note ici une erreur, par exemple si le capital variable augmente en termes absolus de 10% par année, alors que la main d’œuvre salariée n’augmente que de 5%, la part moyenne revenant à chaque salarié peut augmenter (p.59).

Première esquisse de la loi de l’augmentation de la composition organique du capital. En découle la loi de la chute tendantielle du taux moyen de profit (loi fondamentale du développement du mode de production capitaliste).

Cause des crises périodiques de la surproduction : déjà identifiée par la concentration simultanée de richesse et de misère à deux pôles de la société. Ces crises démontrent que les rapports de propriété et de production capitalistes sont devenus à leur tour des freins du développement des forces productives. (Kommunistische Manifest, p.31).

5.Le problème des crises périodiques

Tableau de l’année 1848 :

Révolution de février en France

Révolution de mars à Berlin

Retour en Allemagne de ME

Publication du quotidien Neue Rheinische Zeitung, première interdiction

Eclatement et défaite de la révolution en Italie et en Hongrie et à Vienne.

Victoire de la contre révolution à Berlin

Dissolution de l’assemblée nationale allemande

Interdiction définitive de la Neue Rheinische Zeitung

Expulsion de Marx d’Allemagne

Quelles sont les origines du mouvement révolutionnaire et comment s’articule-t-il aux crises de la surproduction ?

Leur engouement premir à ces mouvements révolutionnaires et l’optimisme qui caractérise l’esprit du révolutionnaire laissera place à une critique impitoyable de leurs propres illusions. Ils écrivent le 1er novembre 1850 dans la Neue Rhein-politiscch-ökonomische Revue « Une nouvelle révolution n’est possible qu’à la suite d’une nouvelle crise ». Ils sont arrivés à cette conclusion par l’étude de la marche cyclique de la production capitaliste. Etude portant surtout sur la crise de 1847 et la phase de prospérité qui en suivra, et sur le crise de 1857 (articles dans le New York Daily Tribune).

Marche cyclique est présente dans Situation de la classe laborieuse, Misère de la phi, Manifeste Communiste, dès les notes de lecture de 1844. Contradiction qui n’est pas vue par Ricardo et Say, entre tendance du Capital à développement illimité des forces productives et limites étroites imposées par celui-ci à la consommation des classes laborieuses. : distinction entre demande physique et demande solvable.

IA : crise de la surproduction n’a pas pour cause une surproduction physique mais des perturbations de la valeur d’échange (pp.417-8, 557).

Quand est formulée pour la première fois l’idée d’appropriation des forces productives des moyens de production ?

Dans Les Luttes de classes en France 1848-1850 :

« Dans le premier projet de Constitution, rédigé avant les journées de Juin, se trou­vaient encore le “ droit au travail * ” première formule maladroite où se résument les exigences révolutionnaires du prolétariat. On le transforma en droit à l’assistance *, or, quel est l’État moderne qui ne nourrit pas d’une façon ou de l’autre ses indigents ! Le droit au travail est au sens bourgeois un contresens, un désir vain, pitoyable, mais derrière le droit au travail, il y a le pouvoir sur le capital, derrière le pouvoir sur le capital l’appropriation des moyens de production, leur subordination à la classe ouvrière associée, c’est-à-dire la suppression du salariat, du capital et de leurs rapports réciproques. » (p.29)

En 1850 EM publient une série d’articles dans la Neue Rheinisch-Politisch… qui relèvent d’une analyse précise de la conjoncture au travers de l’analyse des évènements politiques et économiques. Dans leur analyse du rapport entre investissements et créations de nouvelles entreprises menant à la crise de la surproduction, ils émettent la thèse selon laquelle si c’est la spéculation qui semble, débridée, être la cause de la crise après 1845 en Angleterre, ce n’est en dernière analyse qu’une crise de la surproduction (2008).

Caractère double de l’or : équivalent général de toutes les marchandises et marchandise dont valeur fluctue avec l’évolution de la productivité dans l’industrie aurifère.

Le rôle de débouché de substitution : nom donné par Luxemburg dans Die Akkumulation des Kapitals au rôle de l’Etat dans une conjoncture économique, pouvant par les fournitures de l’armée et le développement de l’industrie de guerre compenser le recul des exportations (cas pour Marx de la guerre de Crimée, sous estimé par Marx).

Au cours de l’étude de l’année de crise 1857-58 Marx découvre les rapports entre la durée du cycle et la durée de reproduction du capital fixe.

La théorie du cycle décennal du cycle capitaliste a fait l’objet de théories dites des crises périodiques. Notamment celle de Tugan-Baranowsky (Studien zur Theorie und Geschichte der Handelskrisen in England, 1901, une analyse de R. Luxemburg dans l’Akkumulation pp.239-244). La dynamique du cycle pour Marx provient d’une double cause : concurrence capitaliste et son caractère irrégulier des investissements et dans le retard que la demande solvable des masses prend sur a capacité de production globale de la société.

6.Perfectionnement de la théorie de la valeur, de la théorie de la plus-value et de la théorie de la monnaie

De 1852 à 1856 Marx doit renoncer à ses études économiques

1857 : Analyse des faits et gestes de la crise et élaboration des traits fondamentaux de l’analyse économique. S’ensuivront Contribution à la Critique de l’Economie politique, Grundrisse, Théories sur la plus-value. Ensemble des travaux préparatoires à l’élaboration du Capital.

Grundrisse : rédaction commencée en septembre 1857. De novembre 1857 à fin juin 1858 contributions les plus importantes au développement de la science économique. Ses travaux consistent alors à essayer de démontrer le caractère spécifiquement social et non absolu du mode de production capitaliste, à partir du phénomène simple de la marchandise (22 jullet 1859 dans lettre à Engels).

Contribution à la critique de l’écopol : matérialisme historique. Caractère trop abstrait, comme le remarque Engels. S’y trouvent les contributions qui seront analysées dans le détail dans les Grundrisse. Les Grundrisse ne seront connus qu’après la seconde guerre mondiale.

Dans Travail salarié et Capital : pas de distinction entre force de travail et travail. Or, l’analyse scientifique de la plus-value résulte de la découverte d’une valeur d’usage spécifique de la force de travail. Notion de plus-value : pas encore présente ni dans Misère, ni dans Manifeste Communiste, ni dans Travail salarié.

Perfectionnement de la théorie de la valeur, et valeur-travail avec sa formulation dans les Contributions la théorie du travail abstrait, créateur de valeur d’échange. Dans l’Introduction, il y décrit la méthode dialectique qu’il a employée pour découvrer la catégorie du travail abstrait.

Travail concret : créé valeur d’usage

Travail abstrait : produit valeur d’échange, c’est la fraction du temps de travail social globalement disponible dans une société de producteurs de marchandises.

Si travail constitue l’essence de la valeur d’échange, quelle est alors la valeur d’échange du travail ? La valeur d’échange ne devient-elle pas alors la mesure de la valeur d’échange ?

Or, s’il fallait une journée de travail pour maintenir en vie un ouvrier pour une journée, le capital ne pourrait pas exister, car la journée de travail s’échangerait contre son propre produit, et le capital ne pourrait pas se valoriser en tant que capital, et ne pourrait donc pas subsister…Mais si une seule demi-journée de travail suffit pour maintenir en vie un ouvrier pendant toute une journée de travail, alors la plus-value résulte d’elle-même… » (Grundrisse, p.230).

Ce n’est donc pas l’échange qui créé la plus-value, c’est un processus, grâce auquel le capitaliste reçoit gratuitement sans échange ou équivalent du temps de travail cristallisé en valeur. Ce processus c’est la jouissance par le capitaliste de la valeur d’usage de la force de travail, pouvant produire de la valeur au-delà de sa propre valeur d’échange.

« Valeur d’usage pour le capital, le travail n’est que valeur d’échange pour l’ouvrier, (seule) valeur d’échange disponible. La valeur d’usage d’une chose ne concerne pas son vendeur en tant que tel, mais ne concerne que son acheteur. » (Grundrisse, pp.213-4).

Théoriquement la distinction se présente tel quel :

La valeur d’échange de la force de travail, c’est le salaire, la valeur de toutes les marchandises nécessaires à la reconstitution de la force de travail.

La valeur d’usage de la force de travail c’est celle de fournir pour son acheteur du travail gratuit, au-delà du point où elle a produit l’équivalent de sa propre valeur d’échange.

Historiquement :

Le problème revient à l’analyse de la formation du prolétariat moderne, de l’armée industrielle de réserve, de la séparation des moyens de travail, de la transformation du sol en propriété privée, cad, crétaion d’une classe sociale dans l’obligation d’accepter la vente de sa force de travail au prix de marché.

Pour que l’argent devienne capital et que le travail devienne travail salarié, cad, produisant du capital il faut :

1)une existence subjective séparée des moments de sa réalité objective, cad, les conditions du travail vivant, les moyens d’existence, les moyens de vie, les moyens de subsistance. Cela signifie-t-il qu’au préalable ceux-ci doivent ne pas être accessibles ? Que cette séparation est en fait la condamnation à la survie ?

2)le travail cristallisé (la valeur) doit consister en une accumulation de suffisamment de valeurs d’usage pour créer les conditions matérielles a)de la production de produits nécessaires pour la reproduction b)pour absorber le surtravail ?

3)un rapport d’échange libre, la circulation monétaire, entre les deux parties. C’est un rapport qui est alors fondé sur une valeur d’échange et non des rapports de domination et d’asservissement. La production ne fournit pas immédiatement les vivres aux producteurs, l’intermédiaire est alors l’échange. Ce rapport est nécessaire en ce que le rapport entre les deux parties, si elles n’échangent que du travail cristallisé est impossible.

Ceci est l’analyse dans les Grundrisse du caractère historiquement déterminé de la plus-value et du travail salarié.

Mais si valeur d’échange des marchandises est déterminée par le temps de travail qu’elles contiennent, alors comment concilier cela avec le fait empirique que les prix de ces marchandises soient déterminés par la loi de l’offre et de la demande ?

Cette contradiction, celle qui a été d’ailleurs identifiée entre le tome I et III du Capital, « n’est rien d’autre qu’un écho vulgaire de cette vieille objection à la théorie ricardienne, qui oppose les prix de marché à la valeur d’échange » (p.85, en réf. A Eugen von Böhm-Bawerk et Pareto). C’est un problème qui est en réalité déjà résolu dans les Grundrisse donc, par la théorie de la concurrence des capitaux développée sur la base de la théorie de la péréquation du taux de profit et de la formation des prix de la production sur la base de la concurrence entre es capitaux.

Quatrième et dernière objection à Ricardo : si la valeur d’échange est le temps de travail contenu dans les marchandises, comment des marchandises qui ne contiennent pas de temps de travail peuvent-elles avoir une valeur d’échange ? Cad d’où provient la valeur d’échange des forces de la nature ? Solution se trouve dans la théorie de la rente foncière, dont la solution est pratiquement identique à celle de la résolution de la péréquation du taux de profit.

1860 : année consacrée à la rédaction de Herr Vogt.

Entre automne 1857 et début 1859 : perfectionnement de la théorie de la monnaie, critique systématique de celle de Ricardo. Deuxième chapitre de la Contribution à la Critique de l’économie politique.

Cette théorie n’est rien d’autre que l’application logique de la théorie de la valeur-travail à la monnaie. Si la valeur d’échange de toutes les marchandises ne représente que des quantités de travail socialement nécessaires, alors évidemment, monnaie n’est pas un simple moyen de circulation, intermédiaire (Ricardo), mais également une marchandise (Theorien über den Mehrwert, vol. II, p.500).

Théorie quantitative de la monnaie de Montesquieu, Hume et ensuite Ricardo : que la hausse et baisse des prox dépend d’un accroissement ou d’une réduction de la masse monétaire en circulation : pas valable pour monnaie en tant que métaux précieux. Car cette monnaie ayant une valeur intrinsèque, elle ne peut modifier par ses propres mouvements les prix des autres marchandises. Fluctuations des prix : mouvements primaires. Hausse ou baisse de la monnaie en circulation : dérivés. (Zur Kritik, p.97). Une baisse des prix provoque le stockage de la monnaie, une augmentation, ramène des masses supplémentaires de métaux précieux vers la circulation.

Distinction cependant entre les lois qui gouvernent circulation de la monnaie métallique et de celles qui gouvernent la circulation de la monnaie papier dite « signes monétaires ». Quantité d’or en circulation dépend du prix des marchandises, alors que pour les signes monétaires, c’est de leur propre quantité que dépend la valeur (Zur Kritik, p.114).

La monnaie papier n’est qu’un intermédiaire de remplacement d’une masse d’or ayant sa valeur propre. Ce qu’elle doit donc conserver c’est son rapport d’équivalence, sa valeur propre fluctuant selon celle de ce qu’elle représente. Mais dans une économie mondialisée, la monnaie plus que simple moyen de circulation de marchandises est un moyen de payement général. Le développement du mode de production capitaliste fait croître le crédit, ce qui implique un changement de fonction de la monnaie qui devient plus moyend e payement que moyen de circulation. (Zur Kritik, p.144).

En quoi consiste la définition du mode de production capitaliste ?

Erreur : « Ce qui est spécifique du capitalisme, c’est l’appropriation de cette plus-value par l’individu possesseur des moyens de production, c’est-à-dire l’appropriation privée du surproduit… » (Maurice Godelier, Rationalité et irrationalité en Economie, 1966)

Ce n’est pas ce à quoi se limite la définition du capitalisme, ce n’est pas la simple appropriation privée de la plus-value. « La théorie marxiste du capital définit le capitalisme par la transformation des moyens de production en capital et de la force de travail en marchandise, c’est-à-dire par la généralisation de la production marchande. » (Mandel, p.96). Ainsi, un socialisme où les moyens de production resteraient des marchandises impliquerait la possibilité encore de crises périodiques de surproduction, et où la force de travail resterait marchandise ne serait qu’un capitalisme d’Etat, quand bien même la propriété privée des moyens de production serait abolie. (ibid).

Ainsi, Mandel en vient à identifier la construction d’une société socialiste au déperissement de la production marchande, qui est un mode de production antérieur au capitalisme, mais qui survit pendant la phase de transition.

7.Les Grundrisse ou la dialectique du temps de travail et du temps libre

Avec la Contribution à la critique de l’Economie politique, les Grundrisse constitue le point culminant avant le Capital de l’œuvre économiqe de Marx. Le capital est traité dans le Capital en quatre parties : processus de production du capital, processus de circulation du capital, l’unité des deux (capital et profit) et l’histoire critique des doctrines économiques. Rosdolsky identifiera 13 variantes du plan du Capital entre 1857 et 1868.

Dans les Grundrisse se trouvent les contributions essentielles à la théorie économique de Marx : perfectionnement de la théorie de la valeur, de la plus-value, et de la monnaie.

Y apparaissent aussi :

-p.289, distinction entre capital constant (dont la valeur est conservée par la force de travail) et capital variable (dont la valeur est accrue) ;

-pp.219-343 : représentation de la valeur d’une marchandise comme la somme de trois éléments : capital constant, capital variable, plus-value (c + v + pl)

-pp.417-8 : accroissement de la masse annuelle de la plus-value par le racourcissement du cycle de circulation du capital

-pp.311-2 : division de la plus-value en plus-value absolue et relative et en surtravail absolu et relatif (pp.264-5).

-pp.217-362 : théorie de la péréquation du taux de profit.

Qu’est-ce qui ne se trouve pas dans les Grundrisse alors ?

La théorie de la chute tendancielle du taux moyen de profit et de la reproduction ne sont pas du tout mûres.

Qu’est-ce qui s’y trouve mais n’a pas été repris dans le Capital ?

Ce qui caractérise les Grundrisse c’est une analyse et un exposé d’une série de « couples dialectiques » tels que marchandise-argent, valeur d’usage-valeur d’échange, capital-travail salarié etc… Marx fait remarquer dans une lettre du 14 janvier 1858 à Engels, qui la relecture nouvelle de la Logique de Hegel imprègne son actuelle méthode d’investigation. Comme le fera remarquer lénine, ce qu’inaugure Marx, c’est l’application de la méthode de recherches dialectiques qui permet à Marx de placer les phénomènes économiques dans un contexte économique global.

« Toute économie se dissout en dernière analyse dans une économie du temps ». Ceci s’applique autant aux sociétés de classes et celles où déjà la production a été réglée collectivement.

« Moins la société a besoin de temps pour produire du blé, du cheptel, etc., plus elle gagne du temps pour d’autres productions matérielles ou spirituelles. De même que chez un individu, l’universalité de son développement, de sa jouissance et de son activité dépend de l’économie du temps (Zeitersparung)… Economie du temps, de même que répartition planifiée du temps de travail…voilà ce qui reste donc ma première loi économique sur la base de la production collective. » (Grundrisse, p.89).

En quoi l’économie du temps diffère-t-elle de la mesure des valeurs d’échange (produits du travail) par le temps de travail ?

La mesure des valeurs d’échange par le temps de travail ne s’effectue qu’au niveau d’une différence quantitative, alors qu’il existe également une différence qualitative. Si on limite la différence à celle quantitative cela implique l’identité de leur qualité. L’économie du temps est la mesure quantitative des travaux qui implique l’identité de leur qualité (Grundrisse, p.89-90). La différence avec la mesure des valeurs d’échange par le temps de travail se situe-t-elle alors dans le fait que dans la mesure des valeurs d’échange est prise en compte la différence qualitative des travaux des individus ? (p.104).

Distinction entre temps de travail nécessaire et excédentaire, superflu, disponible :

« Tout le développement de la richesse se fonde sue la création du temps disponible ». Aux niveaux les plus productifs de l’échange, ce qui est échangé ce n’esr que du temps superflu, ne s’étendant d’ailleurs qu’aux produits superflus. « Dans la production fondée sur le capital, l’existence du temps de travail nécessaire est conditionnée par la création du temps de travail superflu » (Grundrisse, p.301-2).

Capital cherche accroissement de la masse laborieuse, cad, nombre de personnes auxquels est garanti temps de travail nécessaire. « dans la seule mesure où elle produit en même temps du surtravail, du travail « superflu » de son propre point de vue » (p.104). C’est ainsi que s’explique la tendance à créer une armée industrielle, une population superflue, garantissant qu la population laborieuse fournisse du travail superflu. La baisse des salaires signifie l’augmentation de la plus-value, qui n’est alors rien d’autre que du travail superflu du point de vue du travailleur.

Autre aspect du travail superflu : il est source de jouissance pour une aprtie de la société à condition qu’il devienne travail forcé pour une autre partie.

« …c’est parce qu’un individu ou une classe d’individus sont obligés de travailler davantage qu’il est nécessaire pour satisfaire leurs besoins fondamentaux – parce que du surtravail apparaît d’un côté – que le non-travail et la richesse apparaissent de l’autre. » (Grundrisse, p.305)

« Le développement du surtravail chez la classe ouvirère, cela implique déjà au sein du mode de production capitaliste le développement du temps libre chez le capitaliste » (p.105). Son temps est la négation du temps de travail.

Avec le développement de l’autamation, Marx voit la disparitioon progressive possible du temps de travail nécessaire à la création de la richesse. Le temps de travail disparaîtrait même du processus de la production, faisant alors de l’homme un simple surveillant, régulateur de ce processus (Grundrisse, p.592).

Mais dans le mode de production capitaliste ce progrès apparaît sous la forme d’une énorme contradiction : « plus la production immédiate de la richesse humaine s’émancipe du temps de travail humain, plus sa création effective est subordonnée à l’appropriation privée du surtravail humain, sans laquelle la mise en valeur du capital et toute la production capitaliste, deviennent impossibles. » (Mandel, p.107).

Ainsi, « Le surtravail de la masse a cessé d’être la condition du développement de la richesse générale, de même que le non-travail d’une petite minorité a cessé d’être la condition du développement général de la tête humain. De ce fait s’effondre la production fondée sur la valeur d’échange. » (Grundrisse, p.593).

Les contradictions du capitalisme s’expriment donc notamment par le fait qu’il cherche à réduire au maximum le temps de travail nécessaire à la production tout en posant le temps de travail comme seule mesure et source de richesse.

Marx, un optimiste inébranlable de la technique ? Avis de Kostas Axelos, mais qui sous estime la nature dialectique de la pensée marxiste : les forces productives risquent de se transformer en froces destructives si les rapports de production capitalistes ne sont pas renversés.

8.Le « mode de production asiatique » et les préconditions historiques de l’essor du capital

La théorie du mode de production asiatique a certainement été développée par ME sous l’influence de trois courants : Mill et Jones, récits et mémoires consacrés aux pays d’Orient, études entreprises sur la communauté du village dans d’autres parties du monde.

Toutes ces études s’inscrivaient dans une analyse du commerce extérieur de la Grande-Bretagne, pour laquelle les marchés orientaux jouaient un rôle croissant de débouché pour l’industrie britannique. La société orientale subit des boulversements profonds suite à cette expansion des exportations.

Hypothèse de travail d’un mode de production asiatique se trouve dans trois lettres de 1853 et quatre articles publiés dans le New York Daily Tribune :

1)absence de propriété privée du sol (des champs cultivés pour l’Inde notamment)

2)De ce fait résulte que la communauté villageoise conserve une force de cohésion essentielle

3)Cette cohésion interne ancienne a encore augmentée et maintenue dans l’union intime entre agriculture et industrie.

4)Mais dans ces régions, l’agriculture réclame des travaux hydrauliques imposants qui réclament un pouvoir central régulateur et entrepreneur de grands travaux.

5)De ce fait, l’Etat et une classe particulière concentre la majeure partie du surtravail dans ses mains

9.La mise au point de la théorie des salaires

S’effectue dans Travail salarié et capital, dans misère de la phi, et Manifeste communiste, en partie sur la théorie erronnée de Ricardo.

La théorie ricardienne des salaires, largement inspirée de Malthus fait état d’un mouvement d’offre et de demande de main d’œuvre essentiellement stimulé par le processus démographique. Hausse des salires mène à procréation plus poussée, ou du moins baisse de la mortalité infantile, ce qui augmente forces productives et provoque la baisse des salaires. Mais la chute des salaires provoque à nouveau diminution de forces productives, et donc augmentation des salaires.

Or, limite son analyse à celle de l’offre (et encore !) de main d’œuvre pas en considération demande. Il fait, de plus abstraction du processus de prolétarisation de producteurs uqi disposaient de leurs moyens de production ou d’échange.

De plus, le facteur temps est escamoté dans son analyse, la chute de la mortalité infantile n’ayant, en gros que des répercussions une quinzaine d’années plus tard, selon l’âge d’embauche. La théorie de Malthus-Ricardo présuppose donc une stagnation à long terme de la demande de main d’œuvre. Ceci est en contradiction manifeste avec les phénomènes de révolution industrielle, d’industrialisation, de croissance économique sous le capitalisme en général.

Théorie selon laquelle le salaire a tendance à tomber vers le minimum vital physiologique et de s’y maintenir, reprise par des socialistes utopiques, comme Lassale :

Loi d’airain des salaires de Lassale est celle de la détermination du salaire en terme d’offre et de demande de travail : « le salaire moyen reste toujours réduit à la subsistance qui est nécessaire pour l’existence et la procréation d’après les habitudes d’un peuple » (Lassale, Offenes Antwortschreiben an das Zentralkomitee zur Berufung eines allgemeinen Deutschen Arbeiterkongresses zu Leipzig, 24.04.1863).

C’est dans les Umrisse zu einer Kritik einer Nationalökonomie du jeune Engels (1843), est émise une théorie des salaires qui sera maintenue jusqu’au second exil en Angleterre de Marx. Engels condamne comme « infâme et ignoble » la doctrine de Malthus, mais en adopte tout de même les conclusions : « Au travail ne revien que ce qui est strictement nécessaire, les moyens de subsistance tout nus… » (MEGA, I, 2, p.401). Mais ce fait ne provient pas d’un mouvement démographique, mais économique : la concurrence universelle dans laquelle les ouvriers sont plus faibles que les capitalistes, et même remplaçables par des machines. Argument encore marginal dans les Umrisse, sera alors central dans les œuvres de jeunesse de ME. Dans le premier Manuscrit de 1844, Marx affirme que le capitalisme réagira contre toute augmentation des salaires en remplaçant les ouvriers par des machines, le travail vivant par le travail mort ; chez le jeune Marx, cette tendance du capital à substituer le travail mort au vivant devien tle moteur de l’accumulation du capital et de la baisse des salaires. En 1846 il affirmera dans une lettre à Annenkov que « Depuis 1825, l’invention et l’application des machines n’est que le résultat de la guerre entre les maîtres et les ouvriers ». Leur théorie explique la baisse des salaires par l’accumulation du capital.

Dans les Manuscrits de 1844, Marx affirme qu’une haute conjoncture est favorable aux ouvriers, permettant d’avoir moins d’offre que de demande de force de travail. MAIS, la logique du système capitaliste produit vite le résultat inverse, car l’accumulation des capitaux fait tomber de nombreux producteurs indépendant dans la condition prolétarienne, accroissant alors l’offre de main d’œuvre. (1er Manuscrit).

Donc, dans Misère de la phi, Arbeitslohn, Travail salarié et Cap, et Manifeste Comm, pour EM, la tendance générale des salaires en régime capitaliste est de baisser et de tomber au minimum physiologique de subsistance. Donc, le prix naturel pour Marx, du travail (de la force de travail) c’est le salaire minimum conçu comme notion physiologique. Cf Manifeste p. 32.

Revision de cette vision : Dans les Grundrisse (57-58), ce qui distingue l’ouvrier de l’esclave, c’est qu’il peut élargir le cercle de ses jouissances en période de bonne conjoncture. Implicitement il admet que la valeur de la force de travail incut deux éléments : physiologique plutôt stable, et l’autre élément variable considéré comme nécessaire pour la reproduction de la force de travail, d’après les besoins croissants acquis par les ouvriers (Grundrisse, pp.197-8). Le capital a la tendance de pousser l’ouvrier à remplacer ses besoins naturels par des besoins historiquement créés (p.231).

L’accumulation du capital implique la création de nouvelles branches industrielles donc la création d’emplois nouveaux et de besoins nouveaux et la propagatio,n de ces besoins dans des milieux de plus en plus larges (Grundrisse, p.312). C’est ainsi quele capital a un double effet sur la valeur de la force de travail, en ce qu’elle inclut également de nouvelles marchandises devant satisfaire ces nouveaux besoins). C’est dans son exposé au Conseil Générale de l’Association générale des Travailleurs les 20 et 27 juin 1865 que Marx expose de manière complète sa théorie des salaires : « La valeur de la force de travail est composée de deux élements, dont l’un est purement physique et l’autre historique ou social. » (in Salaires, prix et profits, 1945, pp.23-24). Marx en déduit que si la limite minimum du salaire peut être définie il n’en est pas de même aussi aisémanet pour la limite maximum, qui est celle qui laisse subsister suffisamment de profit pour qu’il soit encore intéressant pour le capital d’embaucher.

De quoi dépend la détermination concrète du niveau des salaires ?

Des vicissitudes de la lutte des classes, forces respectives déterminées objectivement, notamment par la fluctuation de l’offre et de la demande de la main d’œuvre.

Dans le Capital : l’armée de réserve industrielle est régulatrice du niveau des salaires. (normalement autour de 611, mais pas trouvé, non plus dans la mew23, chercher dans chapitre Salaire).

10.Des Manuscrits de 1844 aux Grundrisse : d’une conception anthropologique à une conception historique de l’aliénation.

Comment résumer l’évolution des conceptions économiques de Marx de 1843-44, étude systématique de l’économie politique jusqu’au lendemain des Grundrisse (après 58) ? Premièrement, il a abordé l’économie en termes philosophiques suivant la critique matérialiste par Feuerbach de Hegel, mais aussi de Feuerbach par Hegel, lui permettant d’introduire une dimension historico-sociale absente chez Feuerbach. Ainsi, Les Manuscrits constituent la rencontre entre philosophie et économie politique. C’est avec les éléments de la philosophie du travail de Hegel que Marx effectuera cette confrontation (Voir Naville pour Hegel et la philosophie du travail, De l’aliénation à la jouissance).

Dès 1805-6, Hegel établit le rapport entre téléologie humaine et causalité naturelle que l’homme utilise dans son travail. Dans la Science de la logique, travail présetné comme forme originelle de la praxis humaine. Dans la Phénoménologie de l’Esprit, le travail est « le désir enrayé » (gehemmte Begierde, Phäno des Geistes, S.148). Il développe une véritable dialectique des besoins et du travail, en tant qu’aliénant et aliéné : aliénant car opère par extériorisation d’une capacité humaine, provoquant une perte, aliéné parce qu les besoins sont toujours en avance sur la production (§193 de La Philo du droit). Or, il ne faut pas croire que la nature anthropologique du travail aliéné réside dans le fait qu’il ne voyait pas les contradictions sociales produites par la société bourgeoise, comme le montre le passage anticipateur des tendances générales de l’accumulation capitaliste dans le Capital :

« …l’accumulation des richesses augmente d’un côté, de même qu’augmente de l’autre côté la singularisation (Vereinzelung) et la limitation (Beschränkung) du travail particulie, et donc la dépendance et la misère de la classe liée à ce travail. » (§243 Philo du droit)

Dans l’Esthétique, description de l’aliénation de toutes les classes sociales :

« Voici qu’apparaissent au sein de cete formation industrielle et de l’emploi réciproque des autres formations, ainsi que leur refoulement, en partie la plus dure férocité de la pauvreté, en partie, si la misère doit être éloigné, des individus qui doivent paraître riches, de façon à être libérés du travail pour leurs besoins et à pouvoir s’adonner à des intérêts plus élevés. Dans cette abondance, le reflet constant d’une dépendance sans fin a été éliminé et l’homme est d’autant plus éloigné de tous les hasards du gagne-pain, qu’il n’est plus intégré dans son milieu le plus proche, qui ne lui paraît plus comme son œuvre. Tout ce qui l’entoure n’est plus créé par lui, mais…produit par d’autres que lui. » (Band I, p.255-6).

La nature anthropologique de cette théorie repose sur le fait qu’il fasse reposer l’aliénation sur la nature de l’homme, et que d’autre part, il n’admet pas que la contradiciton qui résulte de l’opposition entre richesse et pauvreté pisse conduire à l’élimination de cette aliénation par une transormation des structures de la société.

Si Marx paraît utiliser les mêmes instruments pour son analyse que ceux de Feuerbach et Hegel, c’est pour arriver à des résultats différents : la rencontre de Marx avec l’Economie politique n’est pas une rencontre de la philosophie, comme l’affirme Althusser, une philosophie qui résoudrait la contradiciton entre paupérisation croissante et richesses croissantes, en la pensant au travers du concept de travaim aliéné (Pour Marx, p. 157-8). Mais plutôt avec Marcuse :

« La transition de Hegel à Marx est, à tout point de vue, une transition à un ordre différent de vérité, qui ne peut être interprété en termes de philosophie. » Marcuse considère que tous les concepts de la théorie marxistes sont des catégories sociales et économiques de Hegel, alors que toutes les catégories économiques et sociales de Hegel, sont toutes des concepts philosophiques. Des catégories de Marx, Marcuse dit « Ils expriment la négation de la philosophie, bien qu’ils le fassent encore en langage philosophique » (Marcuse, Reason and Revolution, p.258).

Effectivement, le point de départ de Marx dans sa critique du concept du travail aliéné n’est pas le concept lui-même, mais dans la constatation pratique de la misère ouvrière. De plus, sa conclusion est nullement philosophique : « Pour dépasser l’idée de la propriété privée, la pensée communiste suffit amplement. Pour dépasser la propriété privée réelle, il faut une véritable action communiste ». (Introduction à Zur Kritik)

Les Manuscrits consituent une œuvre de transition, avec ses contradictions. La considérer telle, ce n’est pas l’inscrire forcément dans une lecture analytico-téléologique, préparatrice à l’œuvre de maturité. Mais il n’est pas pour autant possible de la considérer sous l’angle de tranches idéologiquement cohérentes, sous prétexte de considérer « chaque idéologie comme un tout » (Althusser, Pour Marx, p.59)

Marx découvre l’aliénation dans le domaine religieux (annexe à sa thèse de doctorat), puis dans le domaine juridique en ce que l’intérêt privé aliène l’homme de la collectivité, il situe l’origine de l’aliénation générale dès la Critique du Droit d’Etat chez Hegel, dans la propriété privée. Puis dès la Contribution à la critique de la phi du droit de Hegel, que l’aliénation humaine est fondamentalement une aliénation du travail humain.

Le travail aliéné est le produit d’une forme particulière de la société, dans la société contemporaine, le travail aliéné c’est le travail qui n’est plus propriétaire des produits de son travail (Zur Kritik, p.98). Dans ce passage le travail aliéné est réduit à la division des société en classes, à l’opposition entre Capital et Travail, il est réduit à la propriété privée. Mais le manuscrit s’arrête à ce niveau de développement et bifurque alors pour situer dans la nature humaine, et la nature tout court même plutôt que dans une forme spécifique de la société humaine l’origine du travail aliéné (Zur Kritik, p.102-7).

Mais Naville remarque que justement, l’aliénation n’est pas que fondée en société, mais aussi en nature, et que c’est justement car elle a un caractère naturel qu’elle est une « discordance transitoire au sein de la nature elle-même, qu’elle peut être surmontée et que l’appropriation naturelle peut être retrouvée » (Naville, De l’aliénation à la jouissance, p.152).

Pourtant cette solution est toujours spéculative, pas fondée empiriquement. Dès l’IA, la source du travail aliéné est la division du travailet de la production marchande (déjà dans le 3ème Manuscrit, Zur Kritik 153-4, et IA, 29-32). Le caractère fétichiste des catégories économiques dans Le Capital est réduit au rapports marchands, cad, de propriété privée, isolant producteurs et propriétaires même avant l’avènement du capitalisme.

Partant donc d’une conception anthropologique (Manuscrits), il en arrive à une historique de l’aliénation (IA). Polémique est apparue sur le concept d’aliénation dès publication en 1932 des Manuscrits provoquée en premier lieu par des philosophes bourgeois révisionnistes, s’en distinguent trois positions aujourd’hui :

1)contestation de la différence entre Manuscrits et Capital, toutes les thèses sont déjà à y trouver (Fromm, Rubel,Bigo, Calvez, Bartoli)

2)contre le Marx du Capital, trouvent que dans les Manuscrits, le travail aliéné est, dans les Manuscrits plus intégralement proposée, lui donnant une dimension éthique, anthropologique ou même philosophique. (Landshut et Mayer, Intro aux Manuscrits en All. )

3)que les analyses du travail aliéné des Manuscrits sont soit en contradiction avec celles du Capital, mais qu’en plus étaient un obstacle pour Marx afin d’accepter la théorie de la valeur-travail. Les extrémistes (Althusser) diront que l’aliénation est même un concept « prémarxiste » que ce dernier a dû dépasser avant d’arriver à une analyse scientifique de l’économie capitaliste. (Jahn, années 40 et 50, point de vue des PC, Cornu, Bottigelli, Buhr)

Hyppolite : réduction de la théorie de Marx à une indignation morale, mais il y a bien une autonomie de l’analyse économique.

Mandel voit dans de nombreux passages des Grundrisse une théorie marxiste de l’aliénation en continuité avec l’IA et dépassant les contradictions des Manuscrits.

Dans la société primitive, l’impuissance des hommes devant les forces de la nature est source d’aliénation sociale, idéologique et religieuse. Dès l’apparition d’un surplus économique sont créées les conditions matérielles de l’échange, de la division du travail et de la production marchande. L’individu devient alors aliéné du produit de son travail. Cette aliénation est économique, elle s’ajoute aux autres constatées à l’état primitif. L’aliénation économique produit l’aliénation politique, avec l’apparition de l’Etat et des phénomènes de violence et d’oppression. Cette aliénation multiple atteint dans le système de production capitaliste un point culminant : « La transformation de tous les objets en marchandises, leur quantification en valeurs d’échange fétichistes (devient)… un processus intense qui agit sur chaque forme objective de la vie » (Lukacs, Geschichte und Klassenbewusstsein, p.187). Nouvelle dimension de l’aliénation économique gagnée dans l’aliénation technique : l’ouvrier n’est pas seulement aliéné par ses instruments de travail, mais il s’opposent à lui comme force hostile étrangère (poupées qui parlent).

Helmut Fleischer : le concept d’aliénation doit plutôt qu’être uniqueent conçu comme être des rapports nés d’unités préléablement intégrées, comme une sorte de perte, il faut plutôt le considérer dans un sens prospectif, comme ce qui signale qu’on reste en retard par rapport à ce qui est déjà possible (Umrisse einer Philosophie des Menschen, 1967). Mais il faut limiter cette juxtaposition entre anticipation et projection, en ce qu’il y a une composante de conditions historiques.

11.Désaliénation progressive par la construction de la société socialiste, ou bien aliénation inévitable dans la société « industrielle » ?

La théorie marxiste de l’aliénation a connu une mystification à la source double : d’un côté, les idéologues de la bourgeoisie ont tenté d’exhiber les traits les plus repoussants du capitalisme afin de représenter celui-ci comme un drame universel. L’aliénation devient une conception anthropoloigique pleine de résignation et de désespoir. L’autre source se trouve du côté des idéologues staliniens qui ont cherché à démontrer que l’aliénation n’existe plus dans l’Union Soviétique. Les idéologues bourgeois ont pu utiliser cette rhétorique contre les idéologues staliniens en démontrant que l’aliénation existe bien en Union Soviétique, et qu’a fortiori elle appartient à la la société industrielle.

Pour Manfred Buhr, le fait que l’aliénation soit un phénomène historiquement limité implique que sa validité se limite à l’époque capitaliste, or cela est faux. L’aliénation subsiste dans la mesure où subsistent la production marchande, l’échange de la force de travail contre un salaire strictement limité et calculé, l’obligation économique de cet échange, la division du travail.

Pour Marx, le phénomène d’aliénation, affirme Ernest Mandel, est antérieur au capitalisme, il est lié au développement insuffisant des forces productives, à l’économie marchande, à l’aconomie monétaire et la division sociale du travail. Toute division du travail qui condamne l’homme à n’exercer qu’une seule profession est aliénante.

Dans Critique de la Vie Quotidienne, Henri Lefebvre entrevoit un continuel balancement entre aliénation, désaliénation et aliénation nouvelle. Il affirme donc qui’l faut complètement particulariser, historiser et relativiser le concept d’aliénation (II, p. 209). Or, cette tentative de ralativisation du concept supprime la possibilité de sa négation intégrale et en ce sens l’absolutise. Cette historisation est donc un échec, car elle transforme en fait l’aliénation en un phénomène immanent à la société humaine (même s’il a différentes formes).

Les prémisses du raisonnement de Marx : dépérissement de la production marchande, de l’économie monétaire, de la division du travail dans un cadre mondial, et sur la base d’un développement très élevé des forces productives.

Source générale de la survie du phénomène d’aliénation dans la première phase du socialisme : degré de développement insuffisant des forces productives et la survie des normes de distribution bourgeoises qui en découlent (formulé par Marx dans Kritik des Gothaer Programms, p.16-7, pas trouvé la formule exact, juste en rapport au droit, p.6).

Marx est parti de la volonté d’une critique de l’ensemble de la société bourgeoise prise dans sa totalité, ce qui l’amena à formuler quelques lois générales pour toutes les sociétés humaines. Une de ces lois c’est le fait que les rapports de production constituent en quelque sorte « le système anatomique » de la socéiété (Mandel, p.206). Ce que Marx considérait comme l’œuvre majeure de sa vie c’est de donner un fondement scientifique à l’aspiration et à la lutte socialistes du prolétariat (Mandel, p.207).

Commentaire de K. Marx & F. Engels, L’idéologie allemande, I, « Feuerbach »

Commentaire de K. Marx & F. Engels,

L’idéologie allemande, I, « Feuerbach »

Ce texte rédigé de concert par Marx et Engels en 1845-1846 s’inscrit dans une tradition de pensée à laquelle ils cherchent à répondre. Cette tradition c’est celle des philosophies de l’histoire, et particulièrement celle dont ils héritent conjointement de par leur formation allemande, celle de Hegel et de ses élèves. Mais plus encore que cette critique ciblée, ce que les auteurs mettent en œuvre ici, c’est une critique du fondement de toutes les philosophies de l’histoire, de la philosophie de l’histoire en tant que telle, pour y substituer une approche objective, qui s’attache aux faits. Au cœur de cette critique se trouve formulée une tension cruciale entre deux axes dont l’indossiciabilité est le propre de la théorie marxiste : les dimensions descriptive et normative.

Il s’agit pour Marx et Engels dans ce texte de montrer ce qui est déterminant dans le processus de développement historique. L’enjeu réside dans la détermination des éléments matériels et de leur influence dans le mouvement de l’histoire, ce qui revient à critiquer un fatalisme historique sous-jacent à l’idéalisme, c’est-à-dire, à rendre leur rôle aux acteurs de l’histoire. Or, en explicitant ce qui est déterminant par une approche descriptive il est simultanément énoncé où réside la force motrice du développement historique, et par conséquent, par qui et comment cette force est mise en œuvre. Ainsi, il est affirmé apparemment paradoxalement que si c’est l’ensemble des conditions matérielles d’existence des hommes (rapports de production, à la nature, aux individus) qui explique l’histoire, la force motrice de l’histoire, ce ne sont pas ces conditions. Elles expriment plutôt la force d’inertie de l’histoire. Ce qui constitue la force motrice de l’histoire c’est la formation de consciences révolutionnaires.

Afin de démontrer ce qui est à faire, il faut identifier ce qui est déterminant pour l’action. Or, pour pouvoir prescrire il faut avant tout décrire, et c’est ainsi que, passant d’une démarche descriptive en premier lieu de la méthode du matérialisme historique, puis ensuite de celle de l’historiographie elle-même, les auteurs en tirent les conséquences pratiques qui sont impliquées, en réalité toujours déjà dans leur conception matérialiste de l’histoire, en ce que celle-ci est en soi avant tout un ensemble de pratiques. La description de la méthode a un contenu prescriptif elle-même puis, explicitation de ce que cela « montre », puis ce que cela implique en termes normatifs (ce qu’il faut faire). Le mouvement s’effectue du descriptif au normatif, puis du prescriptif théorique (ce qu’il ne faut pas penser) au prescriptif pratique (ce qu’il faut faire) pour revenir à la signification théorique de ce renversement (ce que cela rend impensable).

La tâche à laquelle s’attèle les deux auteurs est semblable à celle que les philosophies de la vie se sont donnée : trouver un chemin afin de revenir au mouvement de la vie qui a été figé dans les concepts (par exemple, Georg Misch ou Wilhelm Dilthey), pour Marx et Engels, comprendre la pensée à partir de la vie dont elle est la pensée. Il s’agit donc en un premier moment de déterminer par quoi s’explique l’histoire. Autrement dit, expliciter en quoi la conception traditionnelle est invalide. Pour cela les auteurs explicitent pourquoi l’histoire ne s’explique pas par des idées ou une idée.

L’histoire se laisse aisément, voire par une tendance naturelle, mystifier, et ceci en ce qu’elle est un résultat. Ce résultat est constitué par les actions des individus qui leurs paraissent à eux-mêmes comme la manifestation d’une puissance extérieure, en ce qu’effectivement, ce qui s’y réalise ce ne sont pas les désirs de chacun mais une sorte de combinaison d’actions moléculaires. Conçue comme une succession d’époque, l’histoire se présente selon les polémistes plutôt comme une succession de « modes de production ». Le matérialisme dont se réclame Marx au début de l’ouvrage est ce qui est impliqué par sa position sur l’histoire : « Nous ne connaissons qu’une seule science, celle de l’histoire (p.14). Conditionnée par la base matérielle, cette base subit également des influences de facteurs idéels tout en étant le produit de l’action historique. Cela signifie que le développement de la production détermine la transformation des rapports sociaux, les formes diverses de domination de classes, et les modes d’existence matérielle et morale de tous les individus. Le sens du matérialisme défendu alors est à comprendre en tant que critique des conceptions idéalistes de l’histoire. Et effectivement, le titre de l’ouvrage fait référence à la mystification sociale et au produit nécessaire de la société bourgeoise qu’est la philosophie allemande à l’époque de Marx et Engels. On peut dire donc que dans le cadre du développement de la pensée de Marx et d’Engels, cette ouvrage marque l’amorce d’une analyse scientifique des conditions objectives et concrètes de la lutte dont ce passage est représentatif.

La tension première qui traverse ce passage de l’Idéologie allemande est épistémologique, ce qui est caractéristique de cet ouvrage, en ce qu’il annonce l’idée d’une science de l’histoire. Cette approche est la conséquence nécessaire de ce qui est constaté au paragraphe précédent, qui clame que tout renversement révolutionnaire se doit de « balayer toute la pourriture du vieux système qui lui colle après et de devenir apte à fonder la société sur des bases nouvelles. ». Ce geste consiste en un rétablissement de « l’ordre réel », tel que le formulait déjà Engels dans La Sainte Famille : « L’histoire ne fait rien, elle ne possède pas de « richesse énorme », elle « ne livre pas de combats » ! C’est au contraire l’homme, l’homme réel et vivant qui fait tout cela, possède tout cela et livre tous ces combats… [l’histoire] n’est rien d’autre que l’activité de l’homme poursuivant ses fins. » (VI, 2). Il s’agit donc d’un point de vue épistémologique de déterminer les causes à rattacher à un ensemble d’effets dont la somme constitue un processus, une marche, celle de l’histoire humaine. L’histoire est comprise comme l’étude du « système de liens matériels entre les hommes qui est conditionné par les besoins et le mode de production ». Pour cela, il est nécessaire de poser cette question en termes épistémologiques, car elle est « jusqu’ici » restée aux prises avec une fatale aporie. Effectivement, la « marche de l’histoire » est jusque-là comprise comme le processus de déploiement de l’esprit à lui-même. Or, si l’histoire s’explique par le déploiement de la Conscience de soi en temps qu’Esprit de l’esprit, cette explication doit non seulement chercher des catégories dans chaque période, et expliquer la pratique par l’idée, mais surtout n’est-il pas alors exclut par là même que l’histoire n’est pas faite par les hommes ? Peut-on pour l’expliquer faire abstraction de ce qui en réalité est déterminant, les circonstances et les hommes ? Cette tension épistémologique fonde la nécessité d’une nouvelle conception de l’histoire portée par un corpus d’affirmations explicitées en un premier moment par les auteurs.

Se déplaçant sur le terrain des idées, celui de leurs adversaires, Marx et Engels accèdent à la matérialité de la genèse, non seulement de l’histoire, mais également des idées. En un certain sens, ils privent leurs adversaires de leur sol, pour y substituer le leur, celui « du procès réel de la production » (l.2), « de la production matérielle de la vie immédiate » (l.3), ou encore « la pratique matérielle » (l.19), etc… Cet artifice argumentatif à la puissance redoutable est indissociablement un fondement pour la méthode que prônent les auteurs afin d’expliquer l’histoire.

Cette méthode permet de relier généalogiquement (« engendre ») les différentes formes d’existence matérielles et idéelles de l’homme pour en faire des modes particuliers de la production (Manuscrits, p. 145). Le mode de production désigne encore, comme dans les Manuscrits de 1844, le mode de vie en vigueur à une époque déterminée (IA 15). Cette méthode qu’ils décrivent permet d’expliquer le développement de la « forme des relations humaines » (l.4), que les auteurs nomment également « la société civile » (l.6) aussi bien que toutes les autres productions théoriques, notamment l’Etat. L’Etat devient par cela une « représentation » du procès réel de la production « dans son action ». S’ensuit que l’Etat constitue la forme des relations humaines en tant qu’elles sont liées et engendrées par le mode de production matérielle de la vie immédiate. L’Etat, ce n’est donc pas, le résultat « fantastique » de la génération du Genre par lui-même, comme l’écrivent les auteurs un peu plus tôt, et concevant par là-même la société comme un sujet qui dans une perspective idéaliste spéculative est un Esprit qui se révèle progressivement à lui-même, qui s’élève de la contingence propre à la matérialité par l’effort incessant provoqué par son incarnation sensible.

La particularité de cet Esprit dont se distinguent les auteurs à travers cette phrase, c’est son unité. Effectivement, pour Hegel, ce qui constitue la totalité, c’est « l’esprit du temps », un principe unique « qui s’exprime dans l’état politique comme il se manifeste dans la religion, l’art, les mœurs sociales,… » (Introduction à l’Histoire de la philosophie). Or, pour Marx et Engels, s’il y a unité, c’est seulement dans le fait que la base prenne toujours de nouvelles formes, c’est-à-dire, qu’elle engendre toutes les diverses productions théoriques, les formes de conscience, etc… Cette base n’a alors plus rien d’un esprit « substantiel d’une période, d’un peuple, d’un temps » (ibid). Plutôt que de s’expliquer par lui-même, c’est-à-dire, de se réaliser soi-même pour devenir absolue Conscience de soi à elle-même révélée, ces stades de l’histoire sont engendrés. L’engendrement est le mode de reproduction propre à une espèce, qui établit un lien de filiation, ce qui montre bien le caractère vital de ce processus (rappelons-nous « Ce n’est pas la conscience qui détermine la vie, mais la vie qui détermine la conscience »). Mais cette critique de la conception de l’Etat permet également d’en dégager l’illusion hégélienne de sa rationalité. De plus, « l’illusion étatique » (terme apparaissant dans La Critique de la philosophie du droit de Hegel) soutient toute forme d’émancipation nécessairement illusoire, car elle s’effectue sous la forme de la citoyenneté abstraite, telle qu’elle apparaît dans la révolution politique française de 1789. A un autre niveau encore, mais qui suit scrupuleusement les conséquences des prescriptions méthodologiques, cet Etat n’est qu’une idéalité au sein de laquelle des intérêts de classe, par le recours à l’universalisation, s’expriment.

Ainsi est articulé le renversement de la conception de l’histoire, en suivant une méthode qui ne ramène plus la matérialité à une détermination idéelle du type de la prise de conscience par la Conscience de soi par elle-même, pour devenir esprit de l’Esprit. Sa méthode est de ne prendre en compte que la composante des modes de production et des formes qui les caractérisent, qu’ils prennent la forme d’institutions ou encore d’idées. Jusqu’à présent les auteurs se sont limités à décrire ce par quoi doit être expliquée l’histoire, en ayant plutôt considération pour ce qui constitue sa base, et ce qui est véhiculé par la conception idéaliste, sans encore expliciter la signification de ce nouveau principe explicatif pour l’histoire elle-même. L’histoire n’avait donc pas été considérée jusque-là (l.26) en terme de « science » (le terme n’est pas dit dans le passage, mais l’aspect méthodologique et la prétention à l’objectivité le suggèrent) qui doit faire l’objet d’une refonte afin de ne pas se leurrer sur les causes efficientes dans l’objet de son étude. Mais qu’est-ce que cette conception nous « montre »-t-elle (l.29) ?

Effectivement, il n’est alors plus question de la conception de l’histoire, mais immédiatement de l’histoire elle-même, ce qui en constitue par exemple « la force motrice » (l.27). Il est bien question non pas de la conception de l’histoire mais de ce que cette conception « montre », par exemple, sur sa possible finalité. Si elle s’explique par le développement du processus « réel » de la production quelle est la force motrice de l’histoire, ce qui fait qu’elle change ? En écrivant que la « force motrice de l’histoire » est la révolution, il est non seulement dit, et ceci explicitement, que ce n’est pas la critique intellectuelle qui est l’origine de changements de formes des liens matériels et du mode de production (inclus la vie idéelle) mais également, que le procès réel de la production n’est qu’une base. En tant que base, elle n’est donc pas, par distinction au renversement révolutionnaire, une force motrice, mais une force inertielle. Et effectivement, en ce qu’elle conditionne chaque stade en en faisant un « résultat » composé de forces productives à partir duquel les hommes vont agir. Ainsi, cette base conditionne tout en rendant possible une modification les conditions d’existence d’une nouvelle génération. Elle est bien ce mouvement qui sans frottement se poursuit à l’infini. Cette base constitue simultanément l’ensemble des conditions de possibilité, que d’impossibilité, et en cette formulation devient visible que l’évaluation de l’une ou l’autre des tendances répond à la question « Que puis-je faire ? ».

L’enjeu de ce moment purement descriptif est donc de ne pas tomber dans un déterminisme qui mènerait au fatalisme, c’est-à-dire, à l’inaction politique, radicalement opposé au projet marxien d’émancipation. En effet, une approche déterministe prônerait la toute-puissance des causalités auxquelles les hommes sont soumis. Ces causes sont ici réunies sous le terme « circonstances » (l.36, 40, 41) lesquelles « impriment un développement déterminé » (l.38-39) et pour éviter l’écueil susmentionné sont posées comme elles-mêmes produites par les hommes : « les circonstances font tout autant les hommes que les hommes font les circonstances » (l.40-41). Dans cette phrase se concentre la tension identifiée comme constitutive entre la dimension descriptive (scientifique) et normative (révolutionnaire) de la théorie de Marx et Engels.

Ainsi, l’histoire est constitué de « stades », qui se présentent comme un résultat matériel « double ». Ce caractère double correspond à une opération logique de division du concept « stade » en deux autres exclusifs qui recouvrent totalement le domaine de validité du premier. Cette dichotomie provient d’une considération générique d’une part et holiste de l’autre du stade historique. Premièrement, le stade génériquement observé est considéré comme ce qui est « donné » dans un double aspect, d’un côté comme « la somme » de forces productives, de l’autre, comme des « rapports » à la nature et rapports entre les individus. La force productive, c’est la puissance des individus agissant, la force du travail vivant. Les rapports entre les individus et à la nature constituent les rapports de production, c’est-à-dire, « la forme des relations humaines liée à un mode de production » (l.4). Toutes ces composantes ont été « créées » (« geschaffen ») historiquement, c’est-à-dire qu’elle n’ont pas l’immanence (toujours médiatisée tout de même) de « la vie immédiate » (l.3). Le stade historique est ici considéré comme résultat donc quantitatif et structurel, une somme, et un ensemble de formes (des rapports et leur développement). Deuxièmement, holistiquement, c’est « la masse » qui constitue la totalité d’un stade, comprenant non pas des forces productives mais des forces de production ainsi que des capitaux et des circonstances. Etonnamment, la traduction inverse les termes de Produktionskräften en forces productives et Produktivkräften en forces de production (MEW Bd. 3, 38), ce qui n’a pas le privilège de rendre clair le lieu où nous verrons, se rencontrent ces deux dimensions. Le stade historique considéré en tant que somme et ensemble de formes est considéré à l’horizon de son origine, des différents rapports constitutifs pour celui-ci, alors que dans la considération massique, il n’est pas question de forme ou de somme, mais d’unités encore indistinguées et indivisibles, c’est-à-dire, d’hommes, d’argent réel déposé dans des coffres, mais surtout le lieu du possible : du circonstanciel.

Que le stade considéré d’un point de vue massique soit le lieu du circonstanciel exprime, qu’en distinction, le circonstanciel ne se trouve pas dans le stade considéré quantitativement et formellement. Le stade considéré comme tel est appréhendé dans la nature historique de l’ensemble des formes dont il est constitué qui ne sont pas circonstancielles, et par conséquent, ne répondent pas à la contingence afférente à cette notion, mais sont nécessaires. C’est donc en tant que somme et ensemble de formes que les stades de l’histoire peuvent être appréhendés « scientifiquement », c’est-à-dire comme répondant à des lois pouvant faire l’objet d’une science, mais surtout, tel qu’il est formulé : « dictent » (l.37). Alors que ces stades considérés comme « masses » ne dictent pas mais peuvent se faire « modifier » par les nouvelles générations. La dualité entre normatif et descriptif se dédouble : c’est la dimension normative de l’histoire qui rend possible sa description (elle dicte), mais c’est en ce qu’elle est un ensemble qui ne répond qu’aux lois des hommes qui la constituent actuellement (pouvant modifier), qu’elle n’est pas descriptible, mais répond à une nécessité d’ordre moral et appelant un discours normatif sur ce qui doit être réalisé.

C’est dans cette perspective que peut être totalement comprise la phrase « les circonstances font tout autant les hommes que les hommes font les circonstances » (l.41-42). Il n’est pas question des mêmes circonstances, mais d’une part des circonstances comme somme et ensemble de formes, et de l’autre des circonstances comme masse. La nature mathématique du terme « somme » n’est pas choisie par hasard, associée à la mathématique est la rigueur scientifique, alors que du côté de la masse, s’il y a certainement la nature scientifique de la physique qui peut également apparaître, ne faut-il pas plutôt y voir mise en avant la matérialité, et avec elle la maléabilité de l’objet désigné ? Une masse n’a pas de forme, mais le stade historique qualitatif et formel est bien considéré sous l’angle d’un ensemble de formes. La masse est informe et demande à être manipulée, elle est un ensemble d’atomes qui connaissent une certaine concentration rendant possible des liaisons et des ruptures. Les premières circonstances sont donc l’objet d’une science méthodique visant à mettre à jour les lois à l’œuvre dans l’histoire, et les deuxièmes, ce sont celles qui sont l’objet de la manipulation. Or, les comprendre ainsi implique le risque toujours très proche de les substantialiser et d’accorder à chacune de ces natures du stade historique une sorte d’autonomie. Cette autonomie disparaît quand on observe la manière dont ces deux dimensions du stade historique se rencontrent : quand les rapports de production se retrouvent en inadéquation avec les forces productives. Les rapports de production s’insèrent bien dans le stade historique considéré comme somme et ensemble de formes, alors que les forces productives appartiennent bien plutôt à ce stade considéré comme masse (d’où notre impression que traduire « Produktionskräften » par « forces productives » pour le stade considéré comme somme soit inapproprié).

Cette approche que nous avons appelé « dichotomique » et dont la non-exclusivité des termes nous fixe les limites de cette appellation, tout en la justifiant, est amenée par les auteurs au niveau de la production intellectuelle. Il est remarquable qu’à nouveau il est question du stade historique considéré comme somme de « forces » et « formes de relations sociales » (l.41). Ces forces nous les avons identifiées plus haut à la force inertielle de l’histoire, par distinction à la force motrice, ce qui recoupe encore la distinction somme, ensemble de formes/masse par inertie/moteur. Ainsi, la force correspondante au stade considéré comme somme et ensemble de formes est l’inertie alors que la force correspondante au stade considéré comme masse est motrice. Le stade historique comme somme et ensemble de formes correspond alors à ce que les auteurs résument dans les termes « données existantes » (l.44). Le stade considéré comme tel exerce donc la force inertielle qui s’exprime au travers d’idéologues. Ainsi, par cette conception du stade et de la nature de la force qu’il exerce, c’est le chemin vers la remontée à ce qui est l’origine vitale du concept de « substance », et d’ « essence de l’homme » qui est ouvert.

La fin de cette partie entre en résonnance avec son commencement : en identifiant ce qui constitue la force motrice de l’histoire, les auteurs en avaient exclu la Critique, ce contre quoi à nouveau ils s’adressent, mais en ayant révélé entre temps que la production intellectuelle de leurs adversaires n’est que le produit de la force inertielle, et non de la force motrice. Les philosophes qui se révoltent contre cette base ne la touche pas, et cela est rendu visible par le fait que les hommes qui vivent sur cette base, qui devrait être commune, ne sont pas affectés par ces révoltes idéelles. Ces philosophes ne sont pas anonymes : ils se révoltent « en qualité de » écrivent les auteurs. C’est-à-dire, que c’est en se considérant d’une manière particulière soi-même, se donnant un nom hégélien de « Conscience de soi » et stirnerien, d’ « Unique ». Par cette référence, les auteurs montrent que eux s’adressent bien à quelqu’un, mais à un quelqu’un qui se prend pour un « autre chose ». C’est un processus d’autopersuasion, d’illusion, dirons-nous même, d’aliénation négative qu’ils mettent ici à jour : ces philosophes se révoltent contre la base concrète en l’appelant « substance » et en se prenant pour des « Conscience de soi » ou des « Unique ». La portée polémique du texte résonne ici sans aucun doute, mais sans pour autant abandonner la substance (!) de la critique adressée, mais la renforcer, lui donner « du corps ».

La troisième partie nous propose une pensée du changement. Le stade considéré comme somme et ensemble de formes devient alors « conditions de vie » (l.51). Il s’agit de d’identifier dans quelle mesure le stade historique qualitatif et formel « détermine si » (l.52-53). Dans ce passage, les auteurs élargissent encore la définition du stade historique quantitatif et formel pour le constituer comme le fondement « absolu ». Effectivement, le stade historique en tant que somme et ensemble de formes devient la base « de tout ce qui existe » (l.55). Ce que le stade historique considéré comme tel, et identifié à la « base concrète » (l.44), rend possible ou impossible, c’est donc sa propre anihilation : le stade historique quantitatif et formel, c’est ce qui détermine si « la secousse révolutionnaire…sera assez forte pour renverser les bases de tout ce qui existe » (l.53-55).

La secousse révolutionnaire, c’est ce qui a été identifié comme la force motrice de l’histoire, se distinguant alors de la Critique intellectuelle (l.26-27). Elle est constituée à nouveau d’une somme et d’une masse, d’une somme de « forces productives » et d’une « masse révolutionnaire qui fasse la révolution » (l.56-58). Si on retrouve les mêmes catégories que celles par lesquelles avaient été définis les stades historiques, la seconde, celle de masse gagne une profondeur remarquable : elle est « consciences ». Dans une certaine mesure, c’est bien la pluralité de la conscience qui se révèle être ici être mise en potre à faux à la « Conscience de soi » hégélienne. Ainsi, la force motrice de l’histoire est la formation de consciences, c’est le fait de donner une forme à la masse. Quelque part on voit encore ici se rencontrer les deux dimensions, quantitative et formelle avec celle massique, mais à un autre niveau, celui où la masse prend forme. C’est uniquement par ce moyen que la masse peut agir sur elle-même, et devenir malléable, c’est en étant « formée ». C’est donc considérée comme consciences que la masse peut agir sur elle-même, et transformer jusqu’aux bases quantitatives et formelles qui constitue « tout ce qui existe ». C’est donc en passant d’une masse indistinguée et indivisible à des consciences formées, et par là se distinguant les unes des autres, que la secousse révolutionnaire peut avoir lieu, tout en étant intimement liée aux « forces productives existantes », le donné.

Mais les auteurs vont un peu plus loin encore, car l’indétermination caractéristique du « faire la révolution » est en réalité insatisfaisante. Ce qui se « reproduit régulièrement dans l’histoire » (l.53-54), qui stricto sensu, suit comme un astre une trajectoire sur une orbite régulière, revêt fortement l’aspect d’une force inertielle, justement, non caractéristique de la révolution. Pour être véritablement force motrice donc, la révolution telle qu’elle est ici présentée doit être orientée : « contre » une même chose, ses conditions d’existence, mais sur trois niveaux différents.

Le premier niveau de l’orientation du mouvement révolutionnaire se situe à la contingence « des conditions particulières de la société passée » (l.59). C’est-à-dire, ce qui constitue la base du stade historique considéré quantitativement et formellement, comme l’agencement de la « somme » des forces de production, et des formes afférentes à un mode de production particulier. Ce niveau peut être qualifié de la dimension sociale de la production de l’existence, en ce que c’est l’ensemble des formes que prend cette production et reproduction. Dans un mouvement rétrograde il faut cependant « remonter » à un autre niveau « antérieur » (l.60). Cet autre niveau, c’est celui de la « production de la vie ». C’est ce qui a été identifié de manière moins elliptique au début de ca passage comme constituant le point de départ de la base de la conception de l’histoire proposée : la base étant le « développement du procès réel de la production » et son point de départ « la production matérielle de la vie immédiate » (l.1-3). Ainsi, se tourner contre la production de la vie, c’est interroger la dimension historique des rapports que les hommes nouent, et remettre en question, en dernière instance la dimension naturelle qui pourrait lui être attribuée, tel que le firent Ricardo et Smith. Ces derniers effectivement tenaient pour naturel ce que Marx se borne à reconnaître comme une simple étape (IA, p.14-15). Mais c’est églament une des pierres de touche de l’historiographie marxiste qui est mise en évidence ici : il y a production et reproduction des moyens d’existence pour la simple raison que les hommes doivent vivre. C’est ce qui peut être qualifié comme le point de départ matérialiste. C’est le stade où il n’est pas encore question d’économie et de ses superstructures.

Or, ce n’est pas encore contre le « fondement » que se dirige la révolution. Ce fondement, les auteurs l’appellent « l’ensemble de l’activité » dans lequel se fonde donc le « point de départ de la base » de l’historiographie. Si les auteurs ici précisent l’ensemble de l’activité, c’est qu’auparavant les domaines évoqués contre lesquels la révolution doit se tourner, ne recouvraient pas « l’ensemble », mais en présentaient des fragments. Ainsi, l’ensemble des agissements humains ne se résume pas à la production de la vie matérielle immédiate, ou encore à la production de conditions particulières. Car l’ensemble des activités humaines ne se limite pas à la production et reproduction matérielles, mais comprend aussi, tel qu’il est explicité au début de ce passage « l’ensemble des diverses productions théoriques et des formes de la conscience, religion, philosophie, morale, etc. » (l.9-10). On touche ici à la signification de « formation » en tant qu’acquisition par une masse indistinguée de la forme de la pluralité de consciences, ces consciences ayant donc également à se tourner contre ce qui est de même nature qu’elles. L’idée semble tout de même étrange, que le fondement de la production de la vie se trouve dans l’ensemble des activités théoriques. En réalité, elle ne l’est pas, car ici, par l’insertion de toutes les activités dans le processus de renversement révolutionnaire, c’est une congénialité qui se révèle, bien plutôt qu’une prédominance. Le fondement identifié contre lequel les consciences révolutionnaires doivent se tourner correspond donc à la totalité des activités, c’est-à-dire, ne doivent pas se limiter à une des activités humaines. Si une distinction a lieu, elle n’est par conséquent que formelle et non substantielle. Ainsi, l’homme n’est pas scindé entre son activité productive et reproductive matérielles et son activité « théorique » de production de consciences et de ses formes. Cela correspond à l’entreprise des auteurs qui en assignant une origine matérielle à la production des idées entérinent en réalité leur indissociabilité.

La possibilité même d’un renversement total des bases de tout ce qui existe est constituée par l’ensemble de ces « conditions » (l.63). De préciser cela permet aux auteurs de rappeler que l’énonciation de ces conditions ne suffit pas, que cela n’a qu’un caractère idéel. L’idéalité de cette énonciation qui revient donc en réalité à faire de ce bouleversement une « Idée » ne peut donc avoir aucune influence par elle-même. Par elle-même, puisque doivent également être réunies les conditions énoncées. L’idée n’est donc pas vidée de sa force et de son effectivité possible sur la réalité matérielle, mais elle répond en quelque sorte à ces conditions pour les montrer en tant que conditions du bouleversement. Ce que l’idée peut faire, c’est donc exprimer le lien qui n’est pas immédiatement visible entre les différents éléments composant la période dans laquelle pourrait avoir lieu ce bouleversement. Pour justifier cela, les auteurs se fondent sur « l’histoire du communisme » (l.65). Une phrase du Manifeste du Parti Communiste (1848) nous éclaire sur la signification que doit prendre cette histoire mais surtout du rapport des idées soient-elles communistes ou non dans le processus historique : « Lorsqu’on parle d’idées qui révolutionnent une société tout entière, on énonce seulement ce fait que, dans le sein de la vieille société, les éléments d’une société nouvelle se sont formés et que la dissolution des vieilles idées marche de pair avec la dissolution des anciennes conditions d’existence. » (MPC, p.20). Ainsi, l’histoire du communisme dont il est question ici, c’est celle de l’énonciation par les classes dominantes d’idées qui permettent de résoudre l’acuité des antagonismes de classes, ou bien d’une simple réactualisation des idées pour qu’elles correspondent aux nouvelles conditions d’existence. Plus précisément, ce sont le socialisme féodal, qui en énonçant la nécessité d’un renversement s’illusione (« Ils déguisent si peu, d’ailleurs, le caractère réactionnaire de leur critique que leur principal grief contre la bourgeoisie est justement de dire qu’elle assure, sous son régime le développement d’une classe qui fera sauter tout l’ancien ordre social. » MPC, p.21) ou encore le socialisme petit-bourgeois réactionnaire et utopique, le « vrai » socialisme allemand, etc… Dans un certain sens, le fait qu’ils n’aient pas pris en compte la composante matérielle implique qu’ils n’aient pas perçu la réelle force de l’idée révolutionnaire.

Ce qui a été énoncé donc dans ce passage était la « base réelle » qui avait jusque-là toujours été absente des conceptions de l’histoire (l.67). Dans le dernier paragraphe, c’est presque une forme de modestie qui transparaît, comme si les auteurs n’avaient simplement que réintroduit le réel dans l’histoire. Ce réel, ce sol, cette base, permet d’avoir un point de départ assuré et empirique pour comprendre ensuite toute genèse des productions humaines. Cette genèse, c’est le mouvement réel, appelé la « marche » (Verlauf) par les auteurs ayant en français la double signification du mouvement réel, mais aussi, de fonctionnement (« Comment ça marche ? »). Saisir la logique interne de l’histoire, c’est donc saisir ce qui fait qu’elle se meuve, ce qui doit la mettre en branle : les conditions de la révolution prolétarienne.

En partant de la résolution d’une question épistémologique, par la prescription d’une méthode d’observation du développement de l’histoire, les auteurs ont émis deux thèses : premièrement, la nécessité de ne s’attacher qu’à la vitalité à l’origine de toutes les productions humaines en ce que cette méthode prend uniquement en compte la composante des modes de production et des formes qui les caractérisent et deuxièmement, que ce fondement empirique rend possible une observation objective, c’est-à-dire, une science de l’histoire comme l’étude du « système de liens matériels entre les hommes qui est conditionné par les besoins et le mode de production ». Cette prescription méthodologique a ensuite débouché sur des considérations sur l’histoire elle-même, autrement dit, les conséquences qu’elle implique sur ce qu’est l’histoire. Comprendre ce qu’elle est revient à en identifier ce qui constitue son mouvement : la force motrice. Celle-ci se retrouve en porte-à-faux avec une force inertielle qui n’aboutit pas à des ruptures dans le mouvement de l’histoire mais seulement à des soubressauts qui permettent la réadaptation des modes de production aux forces productives. Cette distinction permet de penser la force de l’idée et l’influence de la prise de conscience dans son lien avec les conditions contre lesquelles elle s’élève.

Une distinction dans la détermination des stades historiques entre quantitatif, formel et massique est ce qui a permis de situer au niveau de l’étude historique la différenciation entre force motrice et inertielle. Cette distinction a pu rendre l’articulation cruciale entre déterminantes externes au bouleversement de toute chose existante (stade historique formel et quantitatif absolutisé) et les déterminantes appartenant au mouvement réel des hommes, dont la force motrice elle-même est la prise de conscience. En résulte que la formation de la masse informe des forces productives en consciences combinée à un ensemble de conditions, la base formelle et quantitative, mais aussi la direction et la radicalité de l’entreprise révolutionnaire. On peut dire qu’il en résulte que c’est un « moment » qui rend possible de renverser tout ce qui existe, un moment dans lequel se combinent déterminantes objectives et subjectives.

La réduction au théorique et le confinement de la critique à l’ordre du concept est caractéristique de la pensée des Jeunes Hégéliens qui n’est autre qu’une formulation sublime du fatalisme régnant au cœur des consciences des nouvelles générations. C’est contre ces idéologues et simultanément pour la formation de la conscience des nouvelles générations que ce texte prend les armes. Afin d’effectuer cette critique, une évidence apparaît : l’ineptie de dissocier la description de l’histoire du devoir de former des consciences révolutionnaires. Dans ce passage de l’Idéologie allemande, c’est donc par ce moyen que « l’immanence de la prospective » est apparue. C’est-à-dire, l’immanence du diagnostic à la formulation des conditions de la transformation, émettant par là l’idée que comprendre l’histoire et ce qui peut la transformer sont inséparables. Cette immanence est déjà succintement condensée dans la 11ème thèse sur Feuerbach, qui dit en substance qu’interpréter le monde c’est rendre intelligible ce qui importe : le transformer. C’est ce qui sera encore formulé plus tard dans la Postface de 1873 à la 2nde édition du Capital : « l’intelligence positive de l’état de choses existant… inclut du même coup l’intelligence de sa négation. » (p.17-18).

« Virtuosité » de la maîtrise du general intellect. Note de lecture de Paolo Virno, Grammaire de la multitude, Pour une analyse des formes de vie contemporaines

« Virtuosité » de la maîtrise du general intellect.

Note de lecture de

Paolo Virno, Grammaire de la multitude, Pour une analyse des formes de vie contemporaines

 

Après le mouvement de Seattle, le fossé qui séparait les partis communistes traditionnels des « mouvements sociaux » trouva une assise théorique dans le concept de « multitude ». Inscrit dans la ligne pragmatiste-pluraliste de Deleuze et Foucault, les théories autour de la multitude prirent corps dans un premier livre de Negri et Hardt, Multitude1. Ainsi, le livre de Paolo Virno se trouve dans la droite ligne de l’analyse de ce qui n’est pas réductible à une essence (comme la classe ou le capital), au profit d’une appréhension des phénomènes tels qu’ils se donnent, et ceci tout en se voulant être une actualisation du projet marxien de lutte des classes. Notons tout de même que Paolo Virno se distingue de la lecture de Negri et Hardt, en ce que pour lui, le concept de classe peut bien être le synonyme de multitude.

Dans ce livre, Paolo Virno prétend donc faire une analyse des dimensions concrètes d’une forme de vie qui n’est pas le peuple homogène constitué d’individus individués, pris comme totalités finies, mais de ce qui s’appelle la multitude : les individus en cours d’individuation, et qui, dans ce processus sont soumis à des conditionnements autant comportementaux que grammatico-linguistiques. Cette analyse lui permet d’instituer comme principe explicatif la notion de general intellect. Cette notion qui se trouve dans les Grundrisse de Marx lui permet de rendre compte d’une expansion du capitalisme dans les sphères de l’intimité individuelle, qui a le mérite de rendre compte de processus de soumission au mode de production capitaliste. C’est un concept qui permet de répondre à la problématique volonté générale de Rousseau, en indiquant que ce n’est non pas les volontés qui réunissent les producteurs, mais l’intellect. Il permet également une réélaboration matérialiste du concept aristotélicien de noûs poietikos (l’intellect productif) (p.28). En résultent bien entendu de nouvelles perspectives émancipatrices indéniables, de par la paradoxale réhabilitation d’un individu qui ne possède plus uniquement une force de travail, mais aussi une force de maîtrise du general intellect dans lequel il baigne. Il s’agit donc pour Paolo Virno de mettre en lumière où se situent les nouveaux rapports de pouvoir et de production.

Partant d’une analyse philologique, Paolo Virno situe historiquement la disparition du concept de multitude. Ce concept, qui se présente chez Spinoza comme la clef de voûte des libertés civiques, se retrouve chez Hobbes comme caractérisant l’ennemi du peuple : la forme que prend une révolte des citoyens. Or, si cette entité politique est exclusivement pensée, à partir de Hobbes, de manière négative, comme ce qui peut ripper la machine politique, il s’agit de mettre à jour la manière dont elle a survécu à la création des Etats centraux. Mais cette forme de vie qui n’a jamais disparue nécessite une exploration minitieuse de toutes les dérivations qu’ont pris les rapports politiques classiques liés à la notion de peuple. Ces rapports se déclinent en ceux de la dialectique bien trop connue peur/sécurité, puis au niveau de l’expérience humaine, dans une subdivision largement acceptée et qui pourtant « ne tient plus » entre Travail, Politique et Pensée, analyse qui aboutira finalement à une « analyse de la subjectivité de la multitude » (p.15).

L’auteur tente donc, selon ses mots, de faire la physionomie des dimensions concrètes d’une réalité nouvelle qui se trouve dans une « région médiane »: la multitude. Il la définira comme « la manière d’être qui prévaut aujourd’hui » tout en prévenant, « mais comme toutes les manières d’être, elle est ambivalente, c’est-à-dire qu’elle contient la perte et le salut, l’acquiescement et le conflit, la servilité et la liberté » (p.14). D’où la nécessité d’une attention particulère. Paulo Virno part d’une « conviction », celle selon laquelle les couples de catégories régnant en politique ont littéralement « explosés » : « ce qui était strictement divisé se confond et se superpose » (p.12). Cette explosion touche à tout l’échiquier politique et montre par cela une communauté de matrice conceptuelle dépassant les divisions partisanes. Ces couples de catégories qui se confondent à présent sont ceux public/privé (libéral), collectif/individuel (démocratico-socialiste), citoyen/producteur (Rousseau, Marx), un/multiple (logique).

L’auteur le rappelle, la pensée libérale a domestiqué cette entité politique qu’est la multitude en la relèguant à la sphère dite privée, c’est-à-dire en la dépossédant de voix, la rendant ainsi « aphasique et écarté des affaires publiques » (p.12). Ce rejet dans la sphère privée est également caractéristique pour la classification de l’intellect, comme le montre la vie théorique aristotélicienne2. L’« archaïque multitude » survit également dans la pensée démocratico-socialiste dans le couple collectif-individuel, voire même seulement dans l’individuel. Ceci est manifeste selon lui, en ce que l’individuel se trouve pour cette pensée ineffable, comme la multitude. L’individu est ce qui est agité de ces forces incontrôlables et n’est pas encore soumis aux exigences du collectif. Il est regrettable qu’à cet endroit Paolo Virno ne soit qu’allusif. On peut l’excuser en constatant que nous avons cette intuition, qu’effectivement, si elle existe, la social-démocratie véhicule idéologiquement ce type de rapports de conflit entre individu et collectif.

De plus, ceux chez qui on pourrait trouver une grande aide, et qui tentèrent d’investir le terrain sauvage des processus de subjectivation font une erreur. Effectivement, les « post-modernes » opposeraient le « bon multiple » à la « mauvaise unité », alors qu’il faudrait bien plutôt voir dans quelle mesure la multitude redéfinit l’Un. Mais quel est cet Un ? Renversant la manière habituelle de penser, qui suit celle de la fondation des Etats nations, il ne s’agit donc plus de le penser « comme une promesse mais comme une prémisse » (p.13). Que cela signifie-t-il ? Que cet Un n’est plus une fin idéale à laquelle on doit tendre (telos transcendant) ou l’Etat, mais un déjà-donné, voire quelque chose qui se trouve derrière nous : « le langage, l’intelligence, les facultés communes du genre humain » (p.13). L’unité est donc déjà réalisée et présente, elle est ce qui permet tout échange doué de sens.

Paolo Virno poursuit son démantèlement des catégories politiques classiques par l’actualisation de l’expérience vécue par la multitude post-fordiste qui s’écarte intrinsèquement de la rhétorique sécuritaire classique. La dialectique entre crainte et protection repose sur une expérience originaire littéralement absente qui se traduit en une « ligne de partage » qui a disparue. On pourrait croire, en suivant Kant (« sublime » de la Critique de la Faculté de juger) ou Heidegger (distinction entre crainte ontique et angoisse ontologique), qu’il est possible de distinguer entre la peur relative et la peur absolue, l’une d’un danger particulier, comme la perte de son poste de travail, et l’autre liée au monde, dans ce qu’il a d’indéterminations, d’imprévus, celui qui est source d’insécurité permanente (p.18). Selon cette distinction se dessinent deux craintes, l’une circonscrite, et l’autre indéterminée. C’est au sein de la communauté, qui a bâti contre les dangers circonscrits un ensemble d’usages et de coutumes répétitives, qu’apparaît la peur déterminée, alors que la crainte indéterminée, elle, « fait son apparition quand on s’éloigne de la communauté d’appartenance, des habitudes partagées » etc… (p.19), et connaît comme réponse par exemple la mystique.

Trois raisons sont à l’origine de la disparition de cette ligne de partage dans l’expérience vécue par la multitude : l’expérience de l’angoisse à l’extérieur de la communauté repose sur l’idée selon laquelle il y aurait des « communautés substantielles » desquelles, éloignés, nous nous retrouverions face au « monde ». Une communauté substantielle implique l’idée d’un dedans stable face à un dehors instable, mais selon l’auteur, les mouvements brusques, l’innovation incessante que connaissent nos générations se traduisent par une superposition des expériences : « Quand je perds mon travail, je dois affronter, bien sûr, un danger bien défini qui suscite une crainte spécifique ; mais ce danger factuel se teinte immédiatement d’une angoisse indéterminée » (p.20). A l’auteur d’en conclure que les communautés substantielles qui amortissaient la relation au monde se sont dissolues.

Si la peur est un sentiment public au sens qu’il concerne plusieurs membres d’une communauté, et l’angoisse ne renvoie qu’à une intériorité de l’individu, alors il est nié la nature bien trop commune d’une expérience actuelle. Car, suivant la thèse de Heidegger, à l’origine de l’angoisse il y a cette expérience du « ne-pas-se-sentir-chez-soi », qui, bien loin d’être individuelle, est en réalité largement partagée, et de ce fait, ne recoupe plus la distinction faite plus haut. La multitude en aquiert par cela le trait distinctif d’être « réunie par le danger du « ne-pas-se-sentir-chez-soi », de l’exposition plurilatérale au monde (p.22).

La troisième critique de la dialectique crainte/protection part d’une aberration dans la chronologie dont on s’en fait. Suivant les analyses de l’anthropologue Arnold Gehlen, le schéma stimulus-réponse est complètement erroné dans la compréhension du rapport crainte/protection. Plutôt que d’être tout d’abord en contact avec un danger pour ensuite élaborer des stratégies de protection, il est manifeste que cela soit en un premier lieu que nous nous protégions, pour seulement ensuite identifier les différents périls possibles. Par cette chronologie, il est bien plus aisé de rendre compte des dynamiques du cycle infernal des protections, se démultipliant en degrés, les secondes visant à être des antidotes aux premières.

Ainsi, Paolo Virno dégage une « manière d’être » de la multitude : d’être en oscillation continuelle entre des stratégies d’assurance différentes (p.24). Mais surtout, il relève que la condition ordinaire de la multitude est cette incertitude et précarité, une « vie en tant qu’étranger », ce ne-pas-se-sentir-chez-soi qu’Heidegger situait dans une intimité de l’expérience de l’angoisse, alors qu’il faut bien plutôt voir qu’il appartient aujourd’hui aux sentiments partagés, et en ce sens « publics ». (p.21, p.113)

Les lieux communs constituent l’ossature effective, et celle-ci n’apparaissant pas en tant que telle de la trame de notre « vie de l’esprit », ce sont les « formes logico-linguistiques génériques qui fondent tout discours » (p.25). Ce qui apparaît en tant que tel, ce sont, suivant l’expression d’Aristote, « les lieux spéciaux », ces manières de parler spécifiques que l’on adopte selon les lieux, les sphères que l’on rencontre (église, parti, AG).

Sans doute le livre réclamerait une précision philologique plus poussée, mais on ne peut vraiment en blâmer l’auteur, qui se contente, et toujours explicitement d’utiliser les concepts qui lui semblent le plus opératoires pour penser cette forme de vie qu’est la mutlitude. Ainsi, serions-nous aisément troublé de l’usage fait de Heidegger, et ceci, même si l’auteur prévient avoir « simplifié » la traduction Vezin. Il serait en réalité quelque peu déplacé de faire une glose philologique polémiste, alors que l’objectif n’est qu’une mise à jour des concepts décrivant la réalité sociale et politique d’aujourd’hui.

Le general intellect : deus ex machina ?

Le titre du livre, Grammaire de la multitude indique qu’il sera question de l’ensemble des règles conventionnelles (variables suivant les époques) qui déterminent un emploi correct (ou bon usage) de la langue parlée et de la langue écrite. L’objet du livre, bien plus qu’être la multitude, est ce qui la lie normativement, conventionnellement. Avec ce présupposé donc, que c’est la convention, sous toutes ses formes qui lie l’ensemble prépolitique.

Le general intellect c’est l’Un déjà-donné, ce quelque chose qui se trouve derrière nous et qu’en début de livre, Paolo Virno identifiait comme « le langage, l’intelligence, les facultés communes du genre humain » (p.13). La multitude est déjà unifiée veut nous dire l’auteur en ce sens là. Il ne s’agit pas de penser la singularité des processus de subjectivation, ou l’individu individué, mais ce qu’il y a de commun dans ces processus. Evidemment, on se doute que ce commun, dès lors qu’il est reconnu comme tel, doit faire l’objet d’un processus de réappropriation. Ce processus doit passer par l’identification des moyens (de production), puis leur réappropriation. Ils sont déjà ce qu’il y a de plus collectif, la collectivisation à déjà eu lieu à ce niveau-là. Ce qui devra faire l’objet de réappropriation c’est donc, en premier lieu, les cartes de ce lieu commun. En connaissant toutes les sphères sur lesquelles il s’étend, nous pourrions prétendre, au moyen des instruments (ici conceptuels) adéquats, en reprendre possession.

Il semble que le développement effectué par Paulo Virno à partir de la multitude n’a qu’un seul et unique but : rendre compte de l’étendue couverte par la notion de general intellect. Ainsi, l’Etat est ce general intellect dépourvu sphère publique et « qui exerce la pression d’un pouvoir impersonnel et despotique » (85). Le general intellect se déplace dans les sphères « pré-individuelles », c’est-à-dire, le fonds biologique (81), et la langue « historico- naturelle » (82). Les deux se distinguent, en ce que le premier ne peut être singularisé, ce n’est jamais un « je » individuel qui sent qui voit, qui touche, écrit Virno en citant Merleau-Ponty, alors que le second est bien un lieu privilégié d’individuation. Ainsi, la langue a le double caractère d’être une faculté, et en ce sens, un pouvoir dire, et de l’autre, l’espace d’une énonciation particulière, une puissance indéterminée. De ce point de vue, la langue est ce qui permet le saut du pré-individuel à l’individuel : le processus d’individuation. Mais ce qui est remarquable c’est le troisième aspect du pré-individuel : le rapport de production dominant, et ce ci par le fait qu’il mobilise « les qualités les plus universelles de l’espèce : perception, langage, mémoire, affects » (83).

« Le general intellect est le savoir social devenu principale force productive, c’est l’ensemble des pradigmes épistémiques des langages artificiels, des constellations conceptuelles qui innervent la communication sociale et les modes de vie » (100).

Paolo Virno entend le general intelellect comme une interaction des savoirs, initiatives, subjectivités et forces-inventives de la société et de ses membres.

Marx comprend le general intellect comme « l’ensemble des connaissances qui constituent l’épicentre de la production sociale, et ensemble, ordonnent tous les milieux de vie » (118). Ce que Paulo Virno retient du Fragment sur les machines tiré des Grundrisse, c’est son caractère peu « marxiste ». Et ceci en ce que dans ce passage, Marx relègue le travail productif parcellarisé et répétitif à une forme résiduelle pour considérer comme principale force productive le savoir scientifique. C’est donc la loi de la valeur, selon laquelle la valeur d’une marchandise est déterminée par le temps de travail qui est incorporé en elle, qui est remise en question.

Mais qu’en est-il de la classe qui fait un métier de communication, qui est dans la diffusion d’art, car voici ceux que Paolo Virno a en tête quand il parle de « multitude ». En effet, il y fait allusion, une première fois sur la virtuosité, et une seconde en évoquant Benjamin, et Heidegger. Mais les comportements qu’il montre vont bien au-delà de l’activité salariale, ils décrivent l’espace privé dans ce qu’il a de public. L’intime dont l’ « in- » disparaît. Car si seuls certains corps de métier sont touchés par ce type de fonctionnement de manière immédiate, en ce qu’il fait partie de son fonctionnement en propre, de mettre en valeur leurs « facultés sociales », c’est l’ensemble des rapports sociaux qui en ont l’empreinte. Comment s’effectue ce passage d’un type de rapport social isolé et encadré dans une entreprise dans un mode de production déterminé, à un rapport généralisé de tous avec chacun ? C’est bien simple. Le paradigme post fordiste sur lequel s’appuie Paulo Virno, a pour caractéristique principale de s’être transformé en machine de la recherche scientifique. Tout ce qui est capté par le capital, ce sont les forces inventives, les rhapsodies effectuées par les virtuoses que nous sommes. Un ballet que nous effectuons, de plus, tous sur les mêmes pas, qu’en ajustements progressifs nous avons réussi à établir. Un exploit de l’amer goût d’un échec. Alors certainement d’un côté nous sommes les plus actifs, par notre brassage incessant du general intellect, mais d’un autre, c’est cette activité qui est productrice de plus-value. Il ne reste plus qu’à définir la philosophie comme cette activité, faite à un plus haut niveau, de brassage de general intellect. L’Eldorado du capital est alors la philosophie.

En Italie, l’usage de la conceptualité marxienne issue des Grundrisse pour chercher à réinvestir la subjectivation politique des ouvriers remonte à 1969. Elle est inaugurée par Raniero Panzieri, qui créé alors la revue opéraïste Quadri Rossi. C’est contre le déterministe objectiviste défendu par la 3ème Internationale, notamment au travers du Parti Communiste Italien, que des théoriciens comme Panzieri tentent d’encadrer le mouvement ouvrier et étudiant naissant dans les années 70. L’usage du general intellect exalte à l’opposé la « révolution subjective ». Le mouvement opéraiste se brise alors sur la question du passage des luttes autonomes ouvrières aux luttes politiques, si bien que dès 1963, deux élèves de Panzieri se séparent de lui pour fonder la nouvelle revue Classe operaia.

Pour penser un engagement politique aujourd’hui ou envisager une lutte émancipatrice qui intègre des sujets qui ne se comprennent pas encore comme révolutionnaires, il faut donc partir de cette analyse de Virno. La grammaire qu’il établit permet de remettre en question la rhétorique politicienne, militante, pour tenter de construire le pont entre le militantisme et « la langue que parlent les gens ». La grammaire de la multitude doit donc devenir celle de toute entité politique sans transcendants, qui doit avant tout accepter que chacun de ses membres est déjà uni par et surtout dans cette grammaire, et que si discussion ou participation éventuelle, intérêt, ou désir de lutte on peut éveiller, cela ne sera possible qu’à la mesure de la maîtrise et de la « virtuosité » que l’on a du general intellect.

1 Michael Hardt, Antonio Negri, Multitude. Guerre et démocratie à l’âge de l’Empire, La Découverte, 2004. La rupture entre l’engagement par des structures partisanes et un niveau subjectif de résistance se trouve en réalité plus en amont dans l’exaltation de la révolution subjective contre le déterminisme objectiviste du marxisme, exaltation qui trouva son assise théorique avec Panzieri contre la 3ème Internationale au travers de la fondation de la revue Quaderni Rossi en 1961. (voir André Tosel, Le marxisme de 20ème siècle, p.75 s.)

2 Pour la question du rapport entre vie intellectuelle et vie politique, séparation des sphères privées et publiques chez Aristote, voir aussi Arendt, La condition de l’homme moderne, p.50.