Recension: Marx’s Ethical Vision de Vanessa Chris Wills (2024)

La question de l’éthique marxienne et dans l’histoire du mouvement ouvrier est centrale. Elle a en particulier été soulevée par des auteurs français, aux antipodes desquels se trouvent Althusser et Rubel. Un livre vient nous apporter une vision particulière, dont on peut cependant d’ores et déjà identifier certains écueils, comme l’importance conférée à la dialectique, ou au matérialisme historique. Ne nous y arrêtons pas et lisons la recension parue sur Marx & Philosophy et rédigée par Sam Ben-Meir.

Vanessa Christina Wills, Marx’s Ethical Vision, Oxford University Press, New York, 2024. 298 pp., ISBN 9780197688144

 

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A-t-on (vraiment) bien lu Engels ? – Christophe Darmangeat

Un billet de Christophe Darmangeat (LaHuttedeclasse) – Avec le titre de ce billet, je paraphrase celui d’un article de Florian Gulli, récemment paru dans la revue La Pensée, et qui propose de revenir sur le livre d’Engels, L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État. Selon Florian Gulli (dont je profite au passage pour saluer l’intérêt et la rigueur de ses écrits, par exemple sur les questions du racisme ou de l’intersectionnalité), Engels aurait souvent été mal lu, sur deux points essentiels. Le premier est la situation des femmes dans les sociétés préétatiques ; le second concerne les raisons du passage à la patrilinéarité, ce qu’Engels appelle, à la suite de Bachofen, la « défaite historique du sexe féminin ».

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Marxologue, marxiste ou marxien ?

Maximilien Rubel

Deux lettres de Maximilien Rubel à Cornelius Castoriadis et Edgar Morin

Dans deux lettres adressées l’une à Cornelius Castoriadis (1981) alors qu’il glisse dans un antimarxisme de bon aloi, l’autre à Edgar Morin (1960) qui venait de revenir sur son expérience stalinienne dans une célèbre Autocritique (1959), Maximilien Rubel, éditeur et commentateur de Marx, revient sur ce que l’idéologie fait du leg du penseur révolutionnaire et comment les termes pour qualifier le rapport à Marx peuvent eux-mêmes être source de confusion.

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Collection des « petits cahiers smolny »

14 x 21 cm / 16 pages

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Affinités électives : le néolibéralisme et le mouvement eugéniste, par Lars Cornelissen

https://www.perc.org.uk/perc2023/wp-content/uploads/2023/10/taylor-smith-PW563QTHnHg-unsplash-1024x683.jpgBien que lors de la récente crise sanitaire, la nature eugéniste du projet néolibéral soit apparue aux yeux du grand public, ce n’est pas le cas pour certaines autres lignes de continuité, telles que le racisme des politiques anti-immigration, ou les politiques d’austérité. Dans cet article, Lars Cornelissen s’appuie sur l’ouverture d’archives de l’Eugenics Society pour analyser les proximités du mouvement eugéniste avec les milieux politiques et économiques.

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Recension: La fin de l’utopie, Herbert Marcuse, 1968

La fin de l'utopie par Herbert Marcuse: Bon Couverture souple (1968) | Bouquinerie Le FouineurLa fin de l’utopie, Herbert Marcuse, 1968

Le livre La fin de l’utopie est un compte rendu d’une série de conférences-débats tenue par Herbert Marcuse à l’Université libre de Berlin Ouest du 10 au 13 juillet 1967.

Une reproduction de l’allocution introductive du philosophe précède les échanges avec les personnes présentes. Parmi eux se trouve notamment Rudi Dutschke, le syndicaliste, mais de nombreuses autres personnalités de la gauche radicale, maoïste ou anti-parlementaire allemande. Il est étonnant de remarquer que l’un des ouvrages cités régulièrement dans les échanges est Le livre des abolitions de Karl Korsch qui vient tout juste de paraître aux éditions de l’Asymétrie.

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La nouvelle édition du livre II du Capital par la GEME

Le Capital, livre 2 – Les éditions sociales

Les éditions sociales ont fait paraître en février 2024 une nouvelle traduction du livre II du Capital. Ce livre comporte une histoire complexe, dans son élaboration, son niveau d’analyse et sa réception que cette nouvelle édition permet de saisir.

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Recension: Marcello Musto, Les dernières années de Karl Marx. Une biographie intellectuelle (1881-1883)

Marcello Musto, Les dernières années de Karl Marx. Une biographie intellectuelle (1881-1883)

Dans ce livre, Marcello Musto rend son corps, sa complexité, sa puissance et son implacable exigence scientifique à celui dont le nom plane au-dessus de toutes les luttes contre le capital. Traduit moins de sept ans après sa parution (en 2016) en plus de vingt langues, ce petit livre de Marcello Musto est paru aux éditions PUF en 2023, traduit par Anthony Burlaud. Nous allons voir en quoi ce petit ouvrage trouvera une place de choix dans le rayon « Introductions à Marx » de votre bibliothèque.

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Variations marxologiques: Kliman vs Heinrich, par Matthijs Krul

Article paru en 2013 sur Notes and Commentaries

Cette note de lecture de 2013 a généré une série de réactions, nous commençons ici à les traduire.

Les annales de l’économie politique marxiste, y compris sa critique, font état d’un grand nombre d’arguments abscons, opaques et carrément distants sur des points de détail. Cela est dû en grande partie à l’habitude persistante des arguments marxistes de prendre la forme de disputes sur le « vrai Marx », sur ce que Marx a « vraiment dit », plutôt que d’être des arguments sur les mérites des théories en tant que telles.

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Recension de Fred Moseley, Marx’s Theory of Value in Chapter 1 of Capital: A Critique of Heinrich’s Value-Form Interpretation, par Peter Green

Recension

Peter Green

Fred Moseley, Marx’s Theory of Value in Chapter 1 of Capital: A Critique of Heinrich’s Value-Form Interpretation, Palgrave Macmillan, London, 2023. 167 pp., €42.21
ISBN 9783031132094

Marx’s Theory of Value in Chapter 1 of Capital de Fred Moseley est un livre relativement court, paru dans le cadre de la série « Marx, Engels et Marxismes » avec une limite de 60 000 mots. Dans le cadre de ces contraintes, Fred Moseley a livré une interprétation de la théorie de la valeur de Marx dans le chapitre 1 du Capital, remettant en question le commentaire désormais largement influent de Michael Heinrich dans Comment lire le Capital de Marx ?) publié en anglais en 2021.

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Comment lire le Capital de Marx ?, Michael Heinrich – recension

Recension de Ksenia Arapko1

How to Read Marx's Capital: Commentary and Explanations on the Beginning  Chapters: Heinrich, Michael: 9781583678947: Amazon.com: BooksDans la préface de la première édition du livre I du Capital, Karl Marx écrit : « En toute science, c’est toujours le début qui est difficile. C’est donc la compréhension du premier chapitre, notamment de la section qui contient l ‘analyse de la marchandise, qui causera le plus de difficulté 2 ». Il n’est donc pas étonnant que face à ce début difficile, Louis Althusser ait, comme il est bien connu, encouragé le premier lecteur à mettre de côté la première section sur « Les marchandises et la monnaie » et à n’y revenir qu’après avoir lu le reste de l’ouvrage. Et même alors, de le faire « avec d’infinies précautions, […], en sachant qu’elle restera toujours extrêmement difficile à comprendre, même après plusieurs lectures des autres sections, sans le secours d’un certain nombre d’explications approfondies 3 ».

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Lire les Grundrisse. à propos du livre de David Harvey, A Companion to Marx’s Grundrisse, Verso, 2023.

A Companion to Marx's Grundrisse - Reading Marx's Capital with David Harvey

Les Grundrisse

Dans les écrits portant sur Marx, nombreux sont ceux qui font référence aux Grundrisse, manuscrits de Marx rédigés entre 1857 et 1858. On retrouve ce texte dans la littérature marxiste évoqué par citations, comme on le fait souvent pour les écrits de Marx, mais plus particulièrement avec ses manuscrits non publiés. Ainsi, comme les Manuscrits de 1844, on pioche aisément de ça de là une très belle citation ou formule, qui peut être en soi excellente, il faut le dire. Mais bien souvent ce « syndrôme des manuscrits » comme on pourrait appeler cette tendance au cherry picking, revient à piocher dans un tas de citations sans forcément faire grand cas du statut spécifique du texte, ni de son contexte théorique et critique. Il ne s’agit pas d’affirmer qu’il faudrait gloser plus sur le texte, mais plutôt d’être plus au clair avec ce qu’on y cherche, c’est-à-dire ce qu’on cherche à prouver, à montrer. C’est ce qu’on pourrait appeler l’intention parfois aussi politique, stratégique, elle-même prise dans des rapports sociaux bien contemporains, qui porte l’interprétation du texte.

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Le socialisme avant Marx, récension

Aucune description disponible.

Manfred Hahn, Hans Jörg Sandkühler (éds), Sozialismus vor Marx, Pahl Rugenstein, 1984.

Pour comprendre Marx, il convient de saisir le champ de ce qu’était le socialisme dans le mouvement ouvrier naissant de son époque, et la conscience qui avait émergé déjà avant les écrits de Marx sur la nécessité de renverser intégralement les rapports sociaux spécifiques au capitalisme. Pour ce faire, il est avant tout nécessaire de se défaire de la dénomination « utopique » pour qualifier les socialismes avant Marx.

L’appellation de « socialisme utopique » est particulièrement fameuse en ce que le court texte Socialisme utopique et socialisme scientifique d’Engels ou le Manifeste communiste, constituent les lectures les plus répandues au sein des mouvements politiques se revendiquant de ces auteurs.

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Comment la lutte de classe a créé Noël

Comment la lutte de classe a créé Noël 1

Souvent présenté comme une récupération chrétienne de fêtes païennes, le Noël tel que nous le fêtons semble n’avoir qu’une longue histoire diffuse dont il serait impossible véritablement de dater le commencement. Pourtant, cette manière de le fêter est intimement liée à la naissance de notre société moderne, du capitalisme industriel, et du salariat généralisé.

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Edito de la revue PROKLA n°159, 2010

A-M-A’ s’ouvre avec un article de la PROKLA issu de son numéro spécial consacré à Marx en 2010 (vous pourrez trouver des extraits de cet article d’Alex Demirovic ici). Voici ici reproduit une partie de cet édito qui resitue la pertinence d’une réflexion sur Marx dans un contexte qui n’est pas fondamentalement différent depuis 2010.

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Le Chapitre 1 comme début et comme fin de la critique marxienne, par Charles Lugiery

George Grosz, Der Spießer-Spiegel, 1925.

Relire Le Capital aujourd’hui, c’est se confronter à des problèmes nouveaux. Si le mode de production capitaliste tel que le décrit Marx est encore le nôtre, il est évident qu’une partie du matériel empirique, sur lequel il s’appuie, doit être renouvelé. En outre, les découvertes en sciences sociales qui ont été faites après Marx doivent également servir pour compléter voire corriger les quelques considérations historiques et anthropologiques que l’on trouve dans les textes marxiens de critique de l’économie politique. Si les sociétés se sont transformées, on voit malgré tout qu’il demeure beaucoup de choses sur lesquelles le théoricien allemand peut nous apporter un éclairage. Ainsi, dans les formations sociales contemporaines, la forme-marchandise reste la forme prise par la quasi-totalité des produits du travail1, et le salariat reste le destin de la majorité des individus. On peut dès lors considérer qu’à côté d’analyses historiques, il y a dans Le Capital, une analyse du capitalisme pris dans sa moyenne idéale.

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L’enquête ouvrière de Marx (Rubel, 1957)

Maximilien Rubel.Extrait de Karl Marx: essai de biographie intellectuelle, par Maximilien Rubel (1957), livre basé sur sa thèse de doctorat (1954). A lire aussi ici.

Destiné à inaugurer une vaste enquête sur la situation des ouvriers des villes et des campagnes en France, le Questionnaire rédigé par Marx en 1880 était censé fournir un nombre de réponses suffisant en vue de l’établissement de monographies professionnelles qui devaient plus tard être réunies en volume (45). Ce qui distin­guait essentiellement l’enquête projetée des tentatives analogues faites antérieurement en France, c’était son caractère de classe : les ouvriers étaient exhortés à se livrer eux-mêmes et pour leurs fins propres à une description de leur situation économique et sociale (46). Dans un préambule, Marx insiste fortement sur ce côté révolution­naire et autoéducatif de l’entreprise, en soulignant que seuls les ouvriers peuvent décrire « en toute connaissance de cause les maux qu’ils endurent » ; « eux seuls, et non des sauveurs providentiels, peu­vent appliquer énergiquement les remèdes aux misères sociales dont ils souffrent » (47).

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Recension : L’enquête ouvrière, Karl Marx, 1880, LitPol, 2018

L'enquête ouvrière – La Librairie belgeContrairement aux autres écrits de Marx, qu’ils soient des articles ou des livres, on ne trouvera pas explicitement ici une pensée développée finie. Ce questionnaire propose simplement des outils permettant de donner à sa vie une forme qui répond à des nécessités qui doivent encore être identifiées. Il est l’écrit de Marx le plus décentré qui soit, le plus en quête de la source d’organisation collective : il fournit une méthode pour prendre le temps de s’interroger sur sa vie et ses conditions de vie, qui sont pour l’essentiel des conditions de travail.

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Critique de l’économie politique et activité syndicale : aujourd’hui, à quoi nous sert le Capital de Marx ? – Les Utopiques n°19, 2021, par Ivan Jurkovic

Envisagé par son auteur comme « le plus redoutable missile qui ait jamais été envoyé à la tête des bourgeois » 1 le Capital est pourtant, bien plus que ses autres textes, resté dans l’ombre des marxismes populaires et de parti. Véritable flop éditorial historique, seuls quelques groupes d’ouvriers isolés s’en saisissent dès sa parution pour constituer des cercles de lecture tant l’ouvrage semble difficile et érudit 2. On se passera rapidement de sa lecture pour lui préférer des livres de « vulgarisation », comme le célèbre Abrégé du Capital de Cafiero qui, bien qu’approuvé par l’auteur rhénan, comporte de profondes lacunes. S’ensuivra l’avènement du marxisme de parti dont l’orthodoxie se passe de tout rapport sérieux et précis à Marx, et en particulier au Capital.

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Maximilien Rubel – La première édition du Capital. Note sur sa diffusion (1968)

Dans cet article de 1968 paru dans la Revue historique, Maximilien Rubel retrace l’histoire de la parution et de l’édition du Capital, et cherche à trouver des raisons plausibles à son échec éditorial. Il nous permet notamment de comprendre comment Marx était perçu à son époque et en quoi cela a pesé sur la diffusion d’un ouvrage, qui en plus de cela, pose des difficultés de lecture certaines. Fin connaisseur de Marx, Rubel nous ouvre délicatement la porte d’une situation historique et politique qui n’a ni vu passer ni senti exploser le missile que le Capital aurait dû être…

 

[Revue historique vol. 239 iss. 1] Maximilien Rubel – La première édition du Capital. Note sur sa diffusion (1968)