La logique de l’apparence chez Marx. Sur l’interprétation de Clara Ramas San Miguel du fétichisme et de la mystification capitalistes, par Óscar Cubo Ugarte

Depuis la traduction en langue espagnole des œuvres de Michael Heinrich a lieu un véritable renouveau de la lecture de Marx dans le monde hispanophone. Cet article rend compte des articulations principales des lectures qui en résultent, en particulier celle proposée par Clara Ramas San Miguel.

RÉSUMÉ. Les notions de fétichisme et de mystification constituent les deux aspects fondamentaux de l’analyse par Marx des formes d’apparence propres aux sociétés capitalistes. Ces concepts ont une valeur architectonique dans la structure interne du projet de Marx d’élaborer une critique de l’économie politique. Ce travail prétend exposer et discuter les apports interprétatifs ouverts par le livre de Clara Ramas San Miguel, Fétiche et mystification capitalistes. La critique de l’économie politique de Marx, publié en 2021 aux éditions Siglo XXI.

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Une nouvelle lecture de Marx : Michael Heinrich, par Óscar Cubo Ugarte

Récension du livre de Michael Heinrich, Critique de l’économie politique. Une introduction aux trois livres du Capital de Marx, faisant suite à sa parution en Espagne en 2008, article publié dans Logos. Anales del Seminario de Metafisica, vol. 42, 2009.

La parution en castillan du texte du professeur Michael Heinrich (Freie Universität Berlin) aux éditions Escolar y Mayo est une double raison de se réjouir pour le lecteur hispanophone : en premier lieu, parce que c’est la première parution en castillan d’un texte de Michael Heinrich, qui est l’un des auteurs les plus remarquables de ce que l’on connaît en Allemagne comme la « nouvelle lecture de Marx ». Et en second lieu, parce qu’est mise à la disposition du public une splendide traduction en espagnol de César Ruiz Sanjuán, qui est à la fois le prologue et la contextualisation de l’œuvre et du travail du professeur évoqué. Il s’agit d’une lecture critique des trois volumes du Capital de Karl Marx qui se distancie clairement du « marxisme dogmatique » et de ses simplifications économicistes et déterministes, lesquelles firent de cette œuvre de K. Marx la source d’inspiration principale d’une « économie politique marxiste » qui servit à justifier la réalité politico-sociale de ce qu’on a appelé le « socialisme réel ».

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La théorie de la forme et le développement des formes : Fétichisme, méthodologie et théorie sociale dans les nouvelles lectures de Marx, Par Chris O’Kane

Par Chris O’Kane 1

Introduction

À bien des égards, le livre Sur le marxisme occidental de Perry Anderson est emblématique du traitement du marxisme occidental, du moins dans la littérature anglophone. Comme les contributions de Jay et Jacoby, pour Anderson, le marxisme occidental a pris fin dans les années 1960. Si l’on peut dire qu’une telle périodisation enregistre le recul de Marx par ceux qui se sont appropriés l’héritage du marxisme occidental – comme la deuxième génération de la théorie critique de l’École de Francfort – ou ceux qui ont rejeté ses « méta-récits » pour un ensemble de méta-récits plus suspects – c’est-à-dire la condition postmoderne – elle néglige aussi les développements souterrains ultérieurs de la pensée marxiste. Néanmoins, la comparaison que fait Anderson, entre parenthèses, entre Theodor W. Adorno et Louis Althusser peut être considérée comme apportant un éclairage sur les similitudes frappantes entre les deux nouvelles lectures de Marx élaborées par les étudiants d’Adorno et d’Althusser, qui ont été effectivement ignorées par les chercheurs anglophones (et francophones ?). Dans ce qui suit, j’étaye ces similitudes. Je tente également d’ébranler les motifs d’incompatibilité entre ces nouvelles lectures. Enfin, j’indique certaines façons dont ces deux nouvelles lectures ont été utilisées pour se compléter de façon fructueuse dans la récente théorie marxienne allemande.

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avec Maximilien Rubel Combats pour Marx 1954 – 1996 une amitié, une lutte – de Ngô Van, 1997

Un texte très informatif et riche qui retrace le parcours de Maximilien Rubel, au travers notamment des compte rendus des séances du Groupe communiste de conseils, qui publie les Cahiers de discussion pour le socialisme de conseil. On y retrouve la nature des discussions mais aussi des contributions de Rubel dans ce groupe. Il est autant celui qui assure une communication avec d’autres groupes à l’international, que celui qui propose de véritables chantiers de réflexion. Rédigé par son ami Ngô Van, le texte montre aussi à quel point Rubel entretient des liens d’amitié forts avec ses camarades politiques. A lire ici.

Présentation de nouvelle parution: Lexique Marx II, « Révolution », L. Janover, M. Rubel, Smolny 2021

Ce vendredi 30 avril 2021 paraît le deuxième volume du « Lexique Marx ». Cet ouvrage s’inscrit dans le projet de publication des articles commis par Louis Janover et Maximilien Rubel entre 1978 et 1985 dans les « Etudes de marxologie » en vue d’un « Lexique Marx ». Il réunit deux articles qui divisent en deux ce deuxième volume du projet éditorial porté par le collectif d’édition Smolny.

Il est indiscutable que la conception que l’on a de la société socialiste implique d’emblée celle du mouvement qui y mène, la révolution. Pour autant, on ne peut pas se satisfaire de déclarations semblables à celles que l’on peut glaner dans l’Idéologie allemande comme « le communisme, c’est le mouvement réel qui abolit l’état actuel ». Si l’on sait que Marx se qualifiait lui-même de « révolutionnaire », on sait donc moins quel sens il entendait prêter à ce qualificatif dont il s’est fréquemment revendiqué.

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Maximilien Rubel, éditeur de Marx dans la Bibliothèque de la Pléiade (1955-1968), Aude Le Moullec-Rieu, 2015

Maximilien Rubel un itinéraire de révolutionnaire (1905 – 1996)Une position de thèse passionnante, qui interroge cette étrange situation de l’édition de Marx et Engels en France au travers d’une analyse de l’histoire de l’édition de ses oeuvres dans la collection de La Pléiade chez Gallimard sous la direction de Maximilien Rubel.

« La France, contrairement aux pays de langues russe, allemande, anglaise et italienne, ne dispose pas d’édition de référence des écrits de Marx et Engels. Ces derniers souffrent en français d’une grande dispersion éditoriale : les textes les plus emblématiques existent dans plusieurs traductions concurrentes, quand d’autres ne sont plus disponibles. Bien qu’inachevée, c’est l’édition des Œuvres de Marx dans la Bibliothèque de la Pléiade, établie par Maximilien Rubel et publiée de 1963 à 1994, qui offre le corpus le plus riche d’écrits de Marx en français, dans une édition et une traduction unifiées.

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Le communisme de la traduction : Karl Marx: Notes sur James Mill, Alain Patrick Olivier, 2019.

AusgabeDans ce texte introductif à la traduction des notes de Marx en 1843 sur le livre Eléments d’économie politique de James Mill, Alain Patrick Olivier revient sur les enjeux qui entourent la traduction de Marx. Il s’agit ici d’un problème bien spécifique: ce sont des notes prises en allemand sur le livre de Mill traduit en français. C’est un court essai de traduction qui, comme l’auteur le relève, « qui soulève des problèmes de traduction plutôt qu’il ne les résout ». Très instructif.

Paru dans La mer gelée, Le nouvel Attila, 2019, Numéro Or/Nummer Gold, pp.98-107.

A lire ici.

Engels, éditeur du Capital (Rubel, 1968)

Extrait de l’introduction au tome II des Œuvres de K. Marx dans la Pléiade

Marx n’a pas laissé de testament écrit. Il semble qu’à l’approche de sa fin, il ait donné à sa fille cadette des instructions orales et désigné Eleanor et Engels comme « exécuteurs testamentaires ». On a déjà vu quel stimulant intellectuel Engels savait être pour son ami. Marx avait pu l’apprécier aussi comme juge littéraire. C’est Engels qui, lisant les épreuves du Livre I, avait réclamé plus d’exemples historiques à l’appui des résultats dialectiques, critiqué sévèrement la composition du volume, ses divisions et subdivisions, la disproportion des chapitres, etc. 1. Marx avait toutes raisons de s’en remettre à lui.

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Introduction à Marx, Pascal Combemale, La Découverte, 2006 (2018).

Introduction à Marx - Pascal Combemale | Cairn.info

Parsemé d’encadrés mettant le focus sur des notions-clés en proposant des synthèses sur les débats actuels et anciens sur ces notions, l’ouvrage déroule l’oeuvre et la vie de Marx sans considérer son œuvre « comme un système clos, achevé, sans failles » 1. Cette approche de l’évolution de la théorie et de la critique de Marx est essentielle et peut correspondre à une certaine analyse de l’élaboration du Capital en deux phases: la première étant celle des six livres, qui s’étend des années 1850 aux années 1861-1863, incluant les Grundrisse, la Contribution et les Théories sur la plus-value, et la seconde, le Capital en quatre livres, s’étendant de 1863 à 1881, incluant les Notes sur Wagner 2. Cependant, l’auteur ne parvient pas toujours à tenir cette promesse  dans sa « reconstruction », il identifie par exemple un « fil directeur » qui pourrait être la « critique de l’aliénation, à condition de ne pas en faire un invariant anthropologique » 3.

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Dick Howard, Marx. Aux origines de la pensée critique, Le bien commun, 2001.

Marx : Aux origines de la pensée critique: Amazon.fr: Howard, Dick: LivresDick Howard est un professeur retraité, il est édité en France notamment dans la revue « Esprit » au sujet des USA, sur Habermas (2015), André Gorz (2014), dans la revue « Projet », dans la revue du MAUSS, et Critique. Il est notamment connu pour son livre Aux origines de la pensée politique américaine (Hachette Pluriel 2008). Il a étudié avec Paul Ricoeur à Paris, a travaillé avec Claude Lefort, Castoriadis et Habermas. On peut notamment lire cet article de lui : Lectures de Marx par la Nouvelle gauche en 1968.

L’ouvrage propose un retour au « Marx philosophe », sa critique de l’économie politique aurait en effet été la brèche dans laquelle a pu se glisser le totalitarisme. Cette idée est un lieu commun bien erroné, qui sous-tend en général les entreprises théoriques ayant pour ambition de retrouver la philosophie de Marx, autrement dit, de le vider de son contenu politique révolutionnaire. L’auteur reconnaît dans l’introduction sa dette à l’égard de Castoriadis et Lefort, présence que nous retrouvons dans un discours constant sur « le » politique, assez peu voire pas du tout défini, et surtout dans le chapitre conclusif : « Critique, utopie et politique démocratique ».

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Relire Le Capital, PUF, 2009, Ouvrage coordonné par Franck Fischbach

Marx. Relire Le Capital - Franck Fischbach - Débats philosophiques - Format  Physique et Numérique | PUFCet ouvrage, publié en 2009 aux PUF rassemble différents articles sur Marx, et non sur le Capital comme le suggère le titre. Franck Fischbach annonce dans la présentation générale qu’il ne s’agit pas de se limiter à une exégèse de Marx et de constater que tel ou tel auteur aurait fait des « contre-sens » sur Marx 1. Il ne s’agit donc pas de critiquer le ou les marxismes « au motif qu’une telle critique serait le préalable nécessaire à l’ouverture d’un accès au texte même de Marx, comme si ce texte reposait quelque part tel un trésor inaccessible à ceux qui commenceraient par le débarasser de toutes les scories accumulées par le temps » 2. En effet, les contre-sens dans l’histoire du marxisme, comme celui de Lukacs avec la théorie de la réification, ont été productifs.

Pourtant, les articles qui composent l’ouvrage vont faire ce détour par les lectures dans le marxisme du texte de Marx, ce qui est une démarche assez naturelle en fait, de même que de les interroger. Par ailleurs, les articles qui composent cet ouvrage vont, pour la plupart, bien proposer des lectures qui comportent des contre-sens, serait-on alors en droit de les interroger dans leur rapport au texte après cette présentation ?

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Les oeuvres de Marx et Engels en anglais (Marx Engels Collected Works)

Vous trouverez aux liens suivants les volumes des oeuvres de Marx et Engels en anglais. A noter que nombreuses sont leurs publications dont la langue originale était l’anglais. Pour plus de précision, il est donc parfois plus approprié de se référer aux Marx Engels Collected Works (MECW) plutôt qu’aux MEW, qui en présentent donc une traduction.

 

 

 

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Maurice Dommanget, L’Introduction du marxisme en France, 1969

En 1969, il existe encore assez peu de contributions francophones sur ce sujet: la manière dont effectivement Marx a été lu et a été présent dans le mouvement ouvrier en France. Et aujourd’hui encore. Une des premières contributions sur la pénétration du marxisme en France date de 1947, elle est d’Alexandre Zévaès. On trouve aussi quelques indications dans l’Histoire du socialisme européen d’Elie Halévy (quelques chapitres) en 1948, et dans la Tragédie du marxisme de Michel Collinet (quelques passages), aussi de 1948 ou encore dans Karl Marx et la Commune de Jean Bruhat, (in Cahiers du Bolchevisme, 1933) et enfin Karl Marx et le mouvement ouvrier français après la Commune d’André Ferrat, (in Cahiers du Bolchevisme, 1933). Par la suite, les différentes évolutions qu’ont pu connaître le marxisme ne s’interrrogent plus spécifiquement sur la manière dont Marx a effectivement imprégné ou non les milieux ouvriers. Cette étude de Maurice Dommanget, aussi courte soit-elle, nous permet de dresser un triste constat: Marx allait rester longtemps inconnu en France dans les milieux ouvriers.

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Sur la traduction en français du Capital

Le Capital Livre I Tome 1 - Poche - Karl Marx, Joseph Roy - Achat Livre ou ebook | fnac

La traduction de Joseph Roy/Karl Marx, absolument à éviter…

La traduction en France du Capital a connu une histoire assez singulière. Marx lui-même a relu cette traduction, disposant de connaissances suffisantes en français, il a pu rectifier les contresens les plus manifestes que Joseph Roy avait fait. Pourtant, tout aussi bon connaisseur du français qu’il ait pu être, la traduction est une discipline littéraire qui entre temps s’est affinée, et améliorée, si bien qu’il a été rapidement évident que, d’un point de vue traductologique, cette traduction souffrait de profondes insuffisances. Elle est cependant encore largement utilisée et répandue comme édition de référence. De nombreux auteurs l’ont pris comme référence, comme Guy Debord, les invitant à des lectures de Marx s’éloignant considérablement de l’intention initiale, qu’il est possible de voir résumée dans le sous-titre: critique de l’économie politique.

 

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Marx avant Marx, Recension par Sonia Dayan Herzbrun de Karl Marx et la naissance de la société moderne, Michael Heinrich.

 Recension parue le 19 janvier 2020 sur le site enattendantnadeau.fr

Karl Marx et la naissance de la société moderne, de Michael HeinrichL’ouverture des archives a permis, depuis 1975, d’accéder progressivement à tous les textes de Marx et d’Engels, y compris des lettres et des manuscrits inédits, et d’en envisager l’édition. Ce que l’on appelle maintenant la MEGA2 (Marx-Engels-Gesamtausgabe) pourrait comprendre finalement plus de cent vingt volumes. Michael Heinrich a su exploiter cette mine pour révéler aux lecteurs des aspects inconnus de Marx, comme sa fréquentation des tavernes ainsi que ses essais poétiques, et faire revivre le monde dans lequel il évoluait, avec ses contraintes, ses espoirs, ses débats d’idées.

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Relire Engels. Retour sur la recension engelsienne de la Contribution à la critique de l’économique politique de Marx, par Michael Heinrich

Friedrich Engels — WikirougeRelire Engels. Retour sur la recension engelsienne

de la Contribution à la critique de l’économique politique de Marx

Michael Heinrich

Traduction parue sur le site de Contretemps avec pour titre « Comment faire la critique de l’économie politique ? Relire Engels (et Marx) »

Friedrich Engels est né le 28 novembre 1820 à Barmen (actuellement Wuppertal). Ami et collaborateur indéfectible de Karl Marx, inlassable militant révolutionnaire, il a très longtemps été considéré à l’égal de Marx comme l’un des fondateurs du marxisme. Pourtant, au XXe siècle, dans le marxisme hétérodoxe occidental, Engels a régulièrement été critiqué: il serait en effet à l’origine de la déviation scientiste et dogmatique du marxisme, et de ce fait responsable de tout ce qu’il y aurait à rejeter dans le marxisme. 

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Lexique Marx – I, de Louis Janover et Maximilen Rubel – Avant propos des éditeurs

Les régimes d’oppression et d’exploitation qui se réclamaient du marxisme pour légitimer leur politique ont pour la plupart disparu 1, mais ils ont laissé dans leur sillage une confusion dans les idées critiques que l’absence de référence directe n’a souvent fait qu’aggraver. Cette confusion touche tout à la fois à la méthode d’exploration du réel (le « mensonge déconcertant » dont parlait Anton Ciliga 2 ayant la vie dure et faisant des rejetons étonnants dans le monde moderne) et à ce que nous pourrions appeler la « mise en perspective » : la capacité à se situer et à se reconnaître dans un processus de transformation sociale à vocation révolutionnaire — bref un authentique projet d’auto-émancipation des exploités, et partant, de l’humanité elle-même.

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About the movie The young Karl Marx, Michael Heinrich, 2018

The Young Karl Marx

Written in English by Michael Heinrich; edited by Alex Locascio. on MR online: here

This a very professional movie made by a leftist director (Raul Peck), starring a number of rather good actors. It covers the time between 1842, when Marx was the chief editor of the Rheinische Zeitung, and early 1848, when the “Communist Manifesto” was finished. The movie focuses not only on the friendship between two young men whose theories became later enormously influential, Karl Marx and Frederick Engels; it also considers the relationships of these two men with their female partners, Jenny von Westphalen and Mary Burns, and the important role these women played. Compared with some older productions from Soviet Union and East Germany, this movie is much better in all respects.

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